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— Qu’est-ce que c’est ? insisté-je, troublé par le mutisme du Gros.

— On dirait que ça débloque, la machinerie, murmure le Gros.

Nous tendons l’oreille. M’est avis qu’il se berlure, le Dodu. Sa monumentale biture de la nuit a laissé des traces dans ses cages à miel. Les vibrations du submersible n’ont pas varié de rythme.

— Penses-tu, ça baigne dans l’huile, Béru.

— J’en suis pas si sûr, objecte mon compagnon.

Et d’ajouter :

— Ça nie ferait tarter mochement de finir mes jours glorieux dans c’t’boîte à sardines, au fond de l’océan.

— Je vous en prie, sermonne le professeur Lavoisier-Mélanie-Canot, sont-ce des paroles à tenir !

Béru s’apprête à répliquer par une tirade de grand style lorsque le commandant réapparaît. Il a l’air plus sombre que le négatif d’une photographie de Yul Brynner.

— Messieurs, nous dit-il, un incident d’une extrême gravité vient de se produire…

— Quand je le disais, s’exclame Bérurier, je sentais bien que les moteurs déconnaient. J’ai l’oreille mécanicienne, moi, m’sieur le professeur. Ça serait la dynamo qui rechargerait plus que je n’en hisserais pas autrement surpris !

D’un geste agacé le commandant l’interrompt.

— Deux de mes marins sont morts, annonce-t-il sinistrement.

— Ah, bon, je craignais que ce fusse plus grave, ne peut s’empêcher de lancer le Gros.

Cette annonce nous pétrifie littéralement.

— De quoi sont-ils morts, commandant ? je demande.

— Je l’ignore. On vient de les découvrir dans le poste d’équipage. C’était le moment de leur quart, comme ils ne se présentaient pas, on est allé les appeler et on les a trouvés inanimés.

— Haie tonsure kil soie maure ? rébuse Béruse.

— Hélas, lamente l’officier. Je les ai examinés, les malheureux sont absolument privés de vie.

— Alors c’est qu’ils sont vraiment morts, admet le Gros.

— Puis-je les voir ? sollicite le professeur.

— J’allais vous en prier, répond le commandant Prosper Hiscaupe, lequel décidément s’exprime d’une façon un tantinet soit peu surannée.

Nous nous joignons tous aux deux hommes, de manière à composer un petit groupe, et nous gagnons le poste d’équipage, situé, comme tous les postes d’équipage, à l’avant du bâtiment.

Le spectacle est extrêmement déprimant. Les pauvres matelots, dans l’étroit local, sont raides et noirs, avec les yeux exorbités.

— Mais on a étranglé ces hommes, m’exclamé-je, en connaissance de cause, car au cours de ma prestigieuse carrière il m’a été donné de voir des morts par strangulation.

— On dirait plutôt qu’ils ont péri axphyxiés, rectifie le professeur.

Je m’apprête à lui objecter que la strangulation est une forme d’asphyxie, mais il précise son point de vue.

— Asphyxiés par l’inhalation d’un gaz toxique, assez foudroyant…

Il hume l’air du poste d’équipage avec circonspection et hoche la tête…

— Le système de ventilation du bord a déjà expulsé tous les relents pouvant subsister, enchaîne Lavoisier-Mélanie-Canot, néanmoins je suis à peu près certain de ne pas me tromper.

Je m’abîme dans la louche contemplation de ces deux morts. Des cadavres dans un sous-marin, croyez-moi, c’est terrible.

— Qui étaient ces garçons ? demandé-je au commandant.

L’officier à des larmes aux yeux.

— Des types très bien. Mon équipage a été trié sur le volet et cela fait trois ans que nous naviguons de conserve.

— Il est certain qu’ils ont été assassinés, a priori que pouvait-on attendre de leur mort ?

Il réfléchit.

— Je ne vois qu’une seule explication : on veut nous obliger à rebrousser chemin.

— Sans eux, la marche de l’Impitoyable est compromise ?

— Non, mais il va falloir augmenter la durée des quarts, si j’ose dire.

— Donc on peut continuer ?

— Naturellement.

— Vous avez un endroit à bord où déposer leurs corps ?

Il hoche la tête.

— Commissaire, un sous-marin n’est pas un paquebot. L’espace réservé aux vivants est trop rationné pour qu’on puisse envisager une morgue.

— Vous allez donc devoir les immerger ?

— Hélas, oui ! Je vais faire le nécessaire. Dès que nous aurons refait surface, on procédera à la cérémonie.

— Et en attendant, on procédera à une petite formalité, dit l’un des zigs de la Défense, n’est-ce pas, monsieur le commissaire ?

J’ai pigé ses intentions qui coïncident avec les miennes.

— Exact, mon cher. Vous et votre collègue allez fouiller les cabines tandis que mon collaborateur et moi perquisitionnerons dans les autres secteurs.

— Pourquoi perquisitionner ? demande timidement le blondin à moustache.

Je lui souris.

— Mais, mon bon ami, parce que le gaz toxique dont parle le professeur était bien contenu dans un emballage. Il faut que nous mettions la main sur cet aspirateur avant que le meurtrier n’ait la possibilité de le jeter à la mer. Commandant, je vous demande de ne pas refaire surface avant que nous ayons retrouvé l’objet en question. Car une chose est évidente : il y a un assassin parmi nous !

*

Une heure plus tard, nous nous retrouvons tous au mess. Nous sommes bredouilles les uns et les autres. Pas la moindre trace de capsule ou même de flacon.

Une atmosphère sinistre règne à bord. J’ai rarement connu climat plus éprouvant. Nos peaux luisent d’angoisse. Pour ma part j’ai fouillé tout mon secteur avec une minutie, un acharnement jamais égalés.

— Etes-vous certains d’avoir exploré les cabines très à fond ? demandé-je à mes collègues de la Défense.

Ils sont vexés par ma question.

— On ne peut plus à fond, rétorquent lés deux hommes. Y compris la vôtre et celle du commandant, monsieur le commissaire.

Je dénoue ma cravate. Il me semble qu’on respire plus mal, comme si le gaz mortel fusait lentement de quelque orifice caché et investissait progressivement nos poumons.

— Peut-être les a-t-on assassinés en leur faisant absorber des comprimés ? suggéré-je au savant.

Il ne semble pas convaincu.

— On trouverait des traces dans leurs bouches. Or, je les ai examinés sans rien découvrir. Il faudrait procéder à une autopsie, mais ici…

L’heure des grandes décisions a carillonné.

— Très bien, on va refaire surface, monsieur le professeur, et vous pratiquerez les autopsies sur le pont, avant l’immersion des cadavres.

C’est causé en chef, hein ? Chassez le meneur d’hommes, il revient au galop, chez San-A.

Le commandant de l’Impitoyable ordonne qu’on chasse l’eau des ballasts et, doucement, notre bâtiment pointe le museau vers les surfaces bienheureuses. Bérurier, pour la première fois de sa robuste existence, se fait expliquer le principe de l’immersion et de l’émersion dans un sous-marin. Je le lui explique avec la sobriété de termes nécessaires à sa compréhension.

— Des réservoirs de part et d’autre du barlu, mon pote. Quand on les remplit de flotte, le sous-marin sous-marine et quand on chasse l’eau des réservoirs, il remonte, a capito ? Le seul hic, c’est que lorsque tu n’arrives pas à chasser l’eau, tu restes au fond, ajouté-je.

Il hausse les épaules :