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Une masse sombre se dresse dans le matin fantomal. Bérurier marche vers nous de son pas nonchalant de promeneur du dimanche.

*

— Qu’est-ce que tu as fait ?

Ah, j’oubliais : je viens de laisser un blanc pour que vous ayez le temps de vous remettre de votre surprise ; j’espère que vous m’en saurez gré ?

Reprenons.

— Qu’est-ce que tu as fait ?

— Une petite estimation, mon pote, déclare le plantigrade. J’ai calculé que chacune des crevasses était large d’un demi-mètre au plus. Je m’ai alors dit : l’anneau dont auquel on m’a taché fait quinze centimètres de diamètre, tu me suis ?

J’ai déjà pigé, j’opine…

— Bon. Je m’ai dit de surplus que mes poucettes bien tendues devait donner quarante bons autres centimètres, et que par con c’est quand, en me plaçant à bloc de côté, j’avais une chance de me trouver seulement en bordure du rayon, mais pas dedans, tu me files toujours le dur ?

— Et comment ! Tu as échappé au laser. Mieux : il a fait fondre tes chaînes ?

— Exaquete ! Me reste plus que les bracelets !

Il se tourne vers Dominique :

— Elle est toute pâlichonne, cette gosse, c’est pour moi que vous tourniez en pot de yaourt, mon petit ange ? s’attendrit le Gros. Faut que je vous fasse la bise, alors…

Son baiser fraternel miaule dans le jour naissant.

— Vous permettez, mon lapin rose, que je prisse l’épingle qui ferme votre chemise d’homme ? C’est pour vous décabrioler…

Il joint le geste à la parole, récupère l’épingle en question et, accroupi, respirant fort du nez, la babine ruisselante à cause de son extrême concentration, il se met à bricoler le système de nos poucettes.

Un quart d’heure de persévérance, d’attention, de salive perdue, de jurons, et nous voici libres.

— Allez, on se barre ! décide Béru. Je le retiens d’un sévère :

— T’est pas louf !

Il penaude :

— Ben quoi ?

— Où irions-nous ? Seuls, en chemise et sans vivres dans cette immensité désertique dont le froid reprend possession ? Tu penses bien qu’en découvrant notre escapade, ces salauds vont sortir leurs zincs et patrouiller à tout va. Ils nous récupérerons en un rien de temps.

— Alors, tu contreproposes quoi ?

— On va regagner l’oasis du dessous, amigo.

— Charmant ! Et après ?

— On tâchera de s’y planquer. Eux croiront qu’on a mis les bouts. Pendant qu’ils organiseront les recherches, nous aviserons…

Il n’hésite pas.

— T’as raison, mec. Dans le fond, y a pas de mystère : si t’es mon supérieur, c’est parce que t’es un chouïa plus malin que moi !

Nous nous rabattons vers la grotte où émerge l’ascenseur.

CHAPITRE X

— C’est aussi bien qu’aux Galeries Lafayette, déclare Béru. Y suffit que t’appuies sur le bouton pour obtenir l’ascenseur…

On descend vers la cité radieuse. À travers les poutrelles de fer de la cage, nous découvrons l’île enchantée, silencieuse à cette heure extra-matinale. Pas la moindre patrouille en vue, pas le plus petit guetteur. Nous avons tous un gentil quartier de roche à la main, prêt à nous en servir comme francisque le cas échéant. Comme quoi, l’hérédité ne s’atténue pas tellement au fil des âges. Ça sert d’avoir eu des ancêtres gaulois.

Lorsque la cabine s’immobilise, je mets un doigt sur mes lèvres.

— Achtung, Gros, soufflé-je de part et d’autre de mon index. Je vais ouvrir brusquement, tu débouleras par la gauche, moi par la droite, et pas de cadeau aux gars qui voudraient nous barrer le chemin, hein ?

— Fais-moi un peu confiance que je suis paré pour la distribution.

— O.K. ! Go !

Je m’excuse de ces légers américanismes, mais dans les romans d’action faut toujours en mettre, ça fait plus vrai.

Je fais coulisser la porte avec brusquerie et nous bondissons hors de la cage d’acier.

Gentils amis du pauvre monde, laissez-moi vous le dire sans préambuler et avant que de déambuler : les bras nous en tombent comme sémaphore après le passage du train.

Il y a bien des veilleurs dans le camp, notamment près de l’ascenseur ; seulement ils sont morts.

Ça vous la cisaille au ras de la tige, hein ?

Ils sont morts comme sont morts toutes les précédentes victimes de ce gigantesque ouvrage : étouffés. Ils ont la langue sortie, les yeux dilatés, le visage noirâtre…

— Nom de foutre, glapit Béru, tu le vois bien que je ne suis pas l’assassin, San-A. Ceux-là, tu vas pas raconter qu’ils figurent à mon palomarès : j’étais enchaîné là-haut !

Au lieu de répondre, je me mets à marcher vers la construction où l’on nous a conduits lors de notre arrivée en ces lieux singuliers. Je fais coulisser la porte (bien obligé puisqu’elle est à glissière) et, pour vous impressionner, j’ai un haut-le-corps[30].

Deux Japonais gisent sur les coussins, aussi decédés que les gardiens. Je continue d’avancer… le docteur Chudanlmaki est étendu au travers de son lit, en pyjama de soie vert (pas le lit, le docteur), plus mort que l’arrière grand-père de Duguesclin.

Une brusque frénésie (si elle n’était pas brusque elle ne serait pas frénétique, d’accord, mais je suis pléonaste de vocation) s’empare de nous. Voilà qu’on se met à courir dans tous les sens. Et partout on bute dans des cadavres. Tout le monde est canné : les Japonais, les pas Japonais, Herr Hetick, les autres, et les cousins germains des autres ! On va de pavillon en pavillon et c’est la mort qu’on trouve. Les chats, les lions, la girafe, le crocodile, son beau-frère le caïman, les toucans, les poissons rouges, les serpents à sonnette, les serments à sornettes, les serres-mains à cornettes, tout ! Comme si une formidable épidémie avait balayé la vie dans l’oasis, soufflé comme les chandelles d’un gâteau ces existences si diverses.

— N’y aurait-il pas eu une quelconque émanation de gaz toxique ? suggère Dominique.

Elle n’a plus peur. On s’habitue à la mort. Elle s’évanouissait en voyant les premiers cadavres dans le sous-marin. Maintenant elle les enjambe.

— Plus le moindre souffle de vie ! conclut littérairement Bérurier.

J’sais pas où il a lu ce paragraphe, en tout cas il déclame :

— C’est l’anéantissement général, une sorte de fin de monde-miniature !

— Ta gueule ! lui intimé-je, c’est moi qui écris ça, rien de commun avec ton dialogue !

— Oh ! Pardon, s’excuse-t-il.

Il met ses bras en croix :

— Vous entendez ?

Nous prêtons l’oreille.

En effet, un bruit nous parvient, depuis le local où nous fûmes douchés et nourris. C’est un chant. Un chœur. Un chœur français chantant une chanson bien française…

« Si je meurs, je veux qu’on m’enterre, dans une cave, où y a du bon vin… »…

— Non, je rêve, c’est des Français ! dis-je.

— Un disque qu’est resté branché, probable, assure le Mastar.

Et pourtant c’est aviné, on perçoit des couacs, ça déraille, ça hésite, ça s’amplifie…

« Goûtons voir, oui, oui, oui. Goûtons voir, non, non, non…

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30

Dans les romans policiers, ne pas oublier avoir un haut-le-corps si l’on entend bien marquer la surprise.