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Les deux adversaires sont déjà au centre du ring, en train de se dévisager d’un air sournois. L’arbitre qu’on a vinaigré et bassiné a repris son poste périlleux. Il vient de parler (sans la moindre rancune) au kangourou.

— Rinc-rinc haourlulu ! lui a-t-il dit, ce qui, m’explique-t-on, signifie chez ces marsupiaux : défense de frapper au-dessous de la poche ventrale.

Après quoi il se tourne vers Béru :

— Vous ne devez pas marcher sur la queue de votre adversaire, ni lui tirer les oreilles.

Il a parlé en anglais, ce qui revient à dire qu’il aurait aussi bien pu le dire en kangourou ou avec des fleurs.

Le gars Béru opine pourtant, comme s’il avait pigé. Gong !

Comme précédemment, le kangourou sautille devant son robuste vis-à-vis. Béru, bien en ligne, ne se laisse pas impressionner. Il est embusqué derrière ses poings monstrueux comme derrière les créneaux d’un château féodal. Il attend, Pépère. Prudent, un œil mi-clos, les réflexes branchés sur le 220. Soudain, sans qu’on s’explique trop pourquoi, le kangourou baisse sa garde et paraît se désintéresser de son adversaire. Est-ce l’œil béruréen qui le fascine ? Est-il impressionné par ce noble échantillon de la race humaine ? Toujours est-il qu’il met ses mains gantées à la hauteur de son bide, comme pour masser une colique.

Vzzoum !

Le direct du Mastar a jailli, en vrille, bien français, classique, pur, efficace. Le kangourou morfle le gnon à la pointe du menton et titube. La populace s’est dressée en poussant un râle d’alcôve. Superbe de self-contrôle, Bérurier place son une-deux habituel et l’animal qui a tant infligé de K.O. subit le premier de sa carrière. Il se couche sur le flanc en tricotant des cuissots.

Ce qui se passe alors est indescriptible. Le délire collectif fait éclater les verres des projecteurs. Les micros sont saturés, Guily-Guilyx est écœuré, oublié, relégué, déçu, déchu, omis, superflu, dérisoire[3]. On jette des fleurs au Gros ! Des bouteilles de scotch, des slips, des baisers, des pièces de monnaie, des cartes d’électeur, des boutons de braguettes, des cigares, des fruits, des stylos, des photos de la reine d’Angleterre, des petites filles endormies, des mèches de cheveux, des journaux, des parapluies, des bretelles, des colombes, des colombins, des dentiers encore pleins de cris, les Antimémoires de Malraux, des lunettes, des prépuces, des lézards empaillés, des paires de souliers, des paires de sous liés, des pères souillés et un catalogue de la Samaritaine. C’est l’apothéose du Dodu ! On le cerne, on l’absorbe, on le vénère, on l’humecte, on le désire, on le surhommise. Le premier gars à avoir battu Kid Punch ! La foule entonne le God save la Reine, ça le mérite. Il prend son bain de foule, mon Vaillant. Quand, après avoir subi ce déferlement d’estime il me rejoint enfin, il est épuisé par l’adulation. Rien ne fatigue plus un homme que l’admiration de ses contemporains.

— Ça s’est passé comment ? lui demandé-je, quelle diabolique astuce as-tu employée pour vaincre cet appareil à coups ?

— Oh, une bêtise, murmure l’Intrépide, pendant que l’arbitre nous baratinait, j’ai simplement cloqué mon cigare allumé dans la poche du kangourou.

Ce qui fait la force de Béru, voyez-vous, outre sa force, c’est son esprit d’initiative.

— Bon, maintenant assez de circus, on retourne chez notre correspondant.

Mais Alexandre-Benoît-le-Grand ne l’entend pas de cette oreille.

— Vas-y tout seul, je continue, c’est passionnant. Tel que c’est parti, mec, je te parie que je vais décrocher la cymbale.

Je n’insiste pas et le laisse à sa gloire, car je ne me reconnais pas le droit d’interrompre un homme en plein dépassement.

CHAPITRE III

La maisonnette de Wolfgang Hourrou est toujours plongée dans l’obscurité, et j’ajouterais même, par souci de la précision : de plus en plus, vu que la nuit ne fait que croître et s’épaissir.

Cette fois, l’inquiétude me grignote le cœur. Mon coup de sonnette, comme précédemment, déclenche les aboiements du roquet.

Cette présence animale renforce ma sale impression. J’arrive de l’autre côté de la planète pour rencontrer un monsieur chargé de me préparer une délicate expédition, et le quidam n’est pas chez lui. Voulez-vous que je vous dise ? Je déteste !

Il me paraît un chouïa farfelingue, le correspondant du Vioque. Je décide de lui laisser un mot pas piqué des hannetons et je le lui rédige au dos d’une facture de mon garagiste, dans un anglais moins académique que celui du discours prononcé au nouvel an par sa gracieuse Imagesté. Comme je glisse mon poulet sous la porté, une voix à l’accent américain demande depuis l’intérieur : « Qu’est-ce que c’est ? » Pour une surprise c’est une stupeur.

— Je voudrais voir mister Hourrou ! réponds-je.

— Qu’est-ce que c’est ? répète la voix.

Je pige tout : le dénommé Hourrou est sourdingue et n’a pas entendu mon coup de sonnette. Pourtant il ne peut être à la fois sourd, aveugle, et agent secret. Or, il faut bien admettre que la personne qui se trouve à l’intérieur est aveugle puisque la maison est sans lumière.

Moi, vous me connaissez ? J’ai toujours des réactions directes et franches. Puisqu’on ne m’ouvre pas, je décide d’entrer par mes propres moyens, aussi tiré-je de ma profonde le cher sésame que vous connaissez aussi bien que moi puisque je me suis toujours appliqué à ne pas vous le décrire avec minutie, histoire de ne pas paniquer mes lecteurs serruriers. Cric-crac. Le pêne n’insiste pas et la porte s’écarte devant moi comme un balayeur municipal devant un enterrement de première classe.

Je pénètre dans un petit living où règne le clair-obscur le moins clair et le plus obscur qu’il m’ait été donné de rencontrer (ceux de Rembrandt ressemblent à une vitrine de joaillier comparés à celui-ci). Un loulou de Poméranie (venu ici en voisin, je suppose, car la Poméranie n’est pas tellement éloignée de la Tasmanie) se précipite dans mes jambes en frétillant d’aise. Je le calme gentiment d’un coup de pompe dans la trompette, ensuite de quoi je cherche le commutateur électrique.

La lumière est, me permettant de comprendre pourquoi le propriétaire de la voix américaine n’éclairait pas et pourquoi Hourrou ne m’attendait plus. La voix est celle d’un gros perroquet vert enchaîné à son perchoir, et le dénommé Hourrou gît sur un canapé avec une série de trous à la place du cœur. Ce qui vous prouve bien, mes amis, que tout mystère comporte une explication rationnelle.

Le perroquet cligne des yeux en me dévisageant. Hourrou quant à lui garde les yeux ouverts.

Une, deux, trois, quatre, cinq, six. Six balles dans le buffet, soit le contenu d’un chargeur. C’était un grand type d’une cinquantaine d’années, aux cheveux blond cendré, et qui fumait la pipe vu qu’il en a encore une entre les dents. Une bath bouffarde en écume de mer jaunie qui représente une balle de tennis posée sur sa raquette.

On l’a arrosé par surprise et il est clamée sans faire de chichi. Sa pipe est froide, lui aussi, vu qu’il s’est éteint le premier.

Bon, jusque-là rien de bien original. Le correspondant qu’on trouve mort au rendez-vous, ça s’est fait des tas de fois, y compris dans mes précédents bouquins ; je portais encore des culottes courtes que mes devanciers avaient déjà utilisé le truc. Mais la mort n’est qu’un recommencement et si je ne sacrifiais pas de temps en temps à la tradition, vous ne seriez pas contents. Je vous dépayserai plus loin, vous allez voir, en vous pondant du jamais vu, c’est juré, promis.

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3

Au lecteur fin lettré de disposer ces épithètes dans un ordre progressif. Faut que tout le monde travaille, mes gueux ! Secouez un peu i votre paresse intellectuelle et retroussez les manches de vos méninges.