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— Qui êtes-vous, madame ?

— La plus grosse putain du pays, fait le docteur en achevant de ranger son petit attirail de survie.

Loin de s’offusquer du qualificatif, la dame pousse un gloussement ravi. Maintenant ses bas sont arrimés, tendus, avec la couture bien droite. Il ne lui reste plus qu’à passer sa belle robe rose à motifs violets.

— Vous me payez en dollars ? questionne le docteur.

— Ça fait combien ?

— Quatre marsupiastres[5], soit huit dollars.

Je le cigle et il enfouille prestement l’osier.

— Vous pensez que c’est grave, docteur ?

— Non, une bonne nuit de repos suivi d’un jour de diète, et il n’y paraîtra plus. Mais votre ami devrait se surveiller un peu…

Sur ce solennel avertissement, il s’en va.

— Moi, ça sera dix marsupiastres, roucoule la radasse en s’efforçant d’introduire les paquets de gélatine lui servant à marcher dans des escarpins vernis que la plus humble des fermières françaises ne voudrait même pas utiliser comme galoches.

— Hé, doucement, ma beauté, grognai-je, selon vos propres dires, mon copain n’a pas consommé.

Elle se rembrunit.

— Et mon dérangement, hein, garçon ?

— Vous marchez au compteur ?

Elle me cligne de l’œil.

— Rien ne vous empêche de consommer à la place de votre gros soiffard d’ami, garçon, du moment que c’est payé ?

Je lui file avec effroi une pincée de dollars.

— Barrez-vous, grand-mère, lui dis-je, et ne me dites jamais plus des horreurs pareilles car ça me flanque des cauchemars.

Elle ramasse son artiche et se casse avec une dignité d’archiduchesse outragée.

Me voilà seulâbre avec mister Boit-sans-soif !

Vous ne trouvez pas que tout ça ressemble à une histoire de fou ?

Le sous-marin doit appareiller dans quelques heures. Le type chargé de nous y conduire gît devant le perchoir d’un perroquet avec plein de pralines dans la cage à éponges et Béru est dans le coma.

À part ça, faut pas s’en faire.

CHAPITRE IV

Le plus dramatique, chez les peuples sous-développés, c’est qu’ils se couchent tard. On pourrait penser le contraire. A priori, ça semblerait plus logique que les claque-becs se torchonnent au crépuscule pour remplacer la tortore défaillante, et qu’au contraire, les zaizés jouissent tardivement de leur standinge. Eh ben non ! Les mecs confortables roupillent, comme si l’oseille les fatiguait à bloc, tandis que les dépouillés draguent jusqu’à pas d’heure dans leurs quartiers misérables. Peut-être, après tout, que pour profiter de la vie faut avoir l’estom’ comme une chambre d’écho, non ? Les hommes ne se sentent bien qu’au milieu des autres hommes. Ils ont besoin du grouillement. Faut qu’ils se sentent troupeau.

Tout ce texte préambulatoire pour vous dire qu’il y a pas mèche de dégauchir une bagnole à New-Queen, au mitan de la noyé. Et pas mèche non plus de turluter à un taxi d’Hobart. La Tasmanie ne répond plus : elle pionce.

J’ai beau dire à Nelly que je dois les mettre, elle secoue la tête en rigolant.

« Closed », elle me répond.

Moi, pour donner le temps au Gravos de surmonter sa noire biture, j’ai fait un peu d’amour à Nelly. L’In the pocket s’est vidé d’un coup, à l’heure prescrite. Les pays anglo-saxons sont les seuls à posséder des ivrognes respectueux de la loi. Beurrés ou pas, à la fermeture officielle, ils déhotent sans rechigner.

Dans l’intimité de ma chambre on a eu une petite explication à bâtons rompus, à tétons repus, à tâtons dodus, la belle gosse et moi. Elle est pas très exceptionnelle pour ce qui est de l’appareil extatique, mais c’est une fille sans façons. Un qui aurait le temps, il pourrait lui éduquer le sensoriel à Nelly. Lui régler minutieusement le virgulateur de radada pour en tirer la quintessence. Elle est de ces femmes qui ne demandent qu’à s’instruire.

La gosse m’explique que, dans sa famille, elles sont putains de mère en fille. Comme qui dirait une charge automatiquement transmise. Chez elles c’est pas la loi salique, mais la loi salingue. À dix-huit berges, hop, au travail ! Faut prendre la relève. Sa grande vioque tapinait sur le port d’Hobart. Sa mère a ouvert l’In the pocket et Nelly projette de fonder un grand boxon à Sydney où l’on est plus puritain encore qu’en Tasmanie ; or les puritains et les putains vont bien ensemble. Elle engagerait du personnel chevronné, français de préférence. Elle a de l’ambition, Nelly. On la devine soucieuse de s’élever, affamée de promotion sociale. Bientôt elle se fera faire une fille par un beau mâle bien baraqué afin que la chaîne ne s’interrompe pas. Et cette gosse apprendra le turf dans une ambiance capitonnée. Elle ira se perfectionner à Paris, à Barcelone et à Rome. Elle fera un stage au Japon aussi, pour apprendre les délicatesses geishiennes ; bref, ça néone vachement dans la lignée à Nelly.

Elle me caresse le front du bout des doigts, me contemple avec une espèce de tendresse et me demande :

— Vous voulez bien me donner un enfant, darling ?

La requête est touchante, hein ? J’en suis tout remué. Et puis je pense à ma lointaine Félicie. Je vais tout de même pas, délibérément, rendre m’man grand-mère d’une prostituée. J’sais bien qu’il vaut mieux avoir une enfant catin plutôt que dame patronnesse ou femme de lettres (bien que l’une n’empêche pas les autres) mais y a des moments où je me montre horriblement rétrograde, mes amis. Je mea-culpise. J’ai des bouffées de bourgeoisie, que voulez-vous. L’hérédité c’est pernicieux, c’est une sorte de haut mal qui vous tombe dessus et vous fait tomber. Ça ressemble à une maladie de peau familiale. Y a des plaques qui vous ressortent de temps en temps et qui laissent perplexes les dermatos.

— Ce serait avec plaisir, mon petit cœur, réponds-je, seulement y a un hic : je ne fais que des garçons.

Ayant de la sorte satisfait à mon hypocrisie naturelle, je me refringue, car je viens d’avoir une idée et cette idée, vous l’allez constater, n’est exécutable que par un individu vêtu.

Nelly regagne sa chambre tandis que pour ma part je gagne la sortie. Une fois de plus je me dirige vers la maison de feu Wolfgang Hourrou. Je me suis dit, dans ma petite tête surmenée, que notre défunt correspondant devait avoir une voiture et que, par conséquent, son véhicule est désormais disponible. Il ne me reste qu’à le récupérer si je veux quitter ce bled dans les plus brefs des laids.

*

J’éprouve une vive inquiétude en apercevant du feu chez notre camarade tasmanien. En effet, je suis certain d’avoir éteint avant de partir de chez lui tout à l’heure. Une voiture stationne devant la maison. M’est avis que ça va barder pour notre matricule.

La découverte rapide du meurtre risque de nous attirer de gros ennuis avec toutes nos allées et venues. Les autorités locales vont nous questionner et si je suis certain de pouvoir me disculper sans trop de peine, je suis par contre moins sûr d’arriver à temps à Hobart pour le départ du sous-marin, si bien que notre long voyage se solderait par la victoire de Béru à un jeu télévisé. Faire vingt mille bornes pour mettre un kangourou K.O., c’est pas le genre d’exploit dont notre carrière de poulagas peut s’enorgueillir.

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5

Le marsupiastre, vous ne l’ignorez pas, je pense, est l’unité monétaire de la Tasmanie.