Le mot limande, seul, a autrefois désigné une « femme maigre et plate[30] ».
Il est vrai que la limande se classe dans la catégorie des poissons plats (scientifiquement nommés pleuronectes, « qui nagent sur le côté ») avec la sole, le flétan, le turbot et la plie.
Esnault (1965) nous apprend qu’au rugby on fait la limande quand on reste longtemps à terre en tenant le ballon.
Avoir un œil qui dit merde à l’autre
Vous l’aurez compris : grand-mère remplaçait merde par « zut » ou « crotte ».
L’expression est une savoureuse métaphore pour « loucher » et, des injustices de la nature, le strabisme est parmi celles qui ont fait naître le plus d’images populaires. Esnault (1965) cite, chronologiquement :
— avoir un œil qui joue au bill’ (billard) et l’autre qui marque les points (1927) ;
— avoir un œil qui fait pignon fixe et l’autre qui fait roue libre (1928) ;
— avoir un œil qui fait le tapin et l’autre qui guette les bourr’[31] (1930) ;
— avoir un œil libertin et l’autre jaloux (1960) ;
On pourrait ajouter « avoir une coquetterie dans l’œil » (si le strabisme est léger), « avoir les yeux qui se croisent les bras », etc.
Décernons toutefois une palme à Mathurin Regnier (1573–1613), poète libertin :
Long comme un jour sans pain
L’expression semblait surtout de mise lors des visites aux nouveau-nés. Avez-vous remarqué comment, dans les chambres de maternités, on compare à qui mieux mieux ? (cf. Qui tient de père et de mère n’est point bâtard). Après avoir parlé de la bouche du grand-père, des yeux de la mère et du menton de l’oncle Paul, on commente le poids et la taille. Si le bébé est d’une taille au-dessus de la moyenne on utilisera l’hyperbole : « Il est long comme un jour sans pain. » On peut s’étonner d’une comparaison aussi négative quand il est question d’un nourrisson car, devoir attendre toute une longue journée sans ne rien se mettre sous la dent n’a rien de très réjouissant. Bien sûr, la métaphore peut s’appliquer à tout autre personne qu’un enfant. Elle est alors synonyme de « grand échalas » (voir supra). Me revient en mémoire cet immense jeune homme dont le gigantisme était une infirmité. Quand on lui demandait s’il faisait chaud là-haut, il nous répondait invariablement : « Et en bas, est-ce que ça sent la m… ? »
Revenons à notre jour sans pain : il est déjà mentionné chez Oudin (1640) mais avec une signification temporelle, « long comme un jour sans pain, fort long, fort lent ».
Tout pigacé
Pigacé, picassé ou pigeassé s’emploie en Saintonge et Poitou pour dire « tacheté, moucheté, marqueté, piqué », notamment de blanc et de noir. L’occitan a picassa, picata. Une étymologie propose le latin pica, « pie », oiseau dont le plumage est bien blanc et noir : « Pigeassée au meillou quem plume d’Ajasse » (Jean Boiceau de la Borderie, Gente Poitevin’rie, 1605), « ajasse » étant l’un des noms régionaux de la pie. Pigacé a également eu le sens de « bariolé » : « Nous les mettrons hors de ces villes / Nous les envoierons promener / Avec leur drapeau pigacé » (Chanson royaliste du Bas-Poitou, 1793).
Grand-mère employait le mot pigacé pour décrire la cosse de certains haricots ou un visage constellé de taches de rousseurs.
Ouvrir ses quinquets
Le pharmacien Antoine Quinquet (1745–1803) perfectionna en 1785 la lampe à huile inventée trois ans plus tôt par le physicien suisse Aimé Argand (1755–1803). On parla d’abord de « lampe à la Quinquet ». Le nom propre se lexicalisa et les quinquets éclairèrent les estaminets, les hôtels, les théâtres, etc. : « Le bonheur n’est pas un quinquet de taverne », nous dit Aragon dans Prose du bonheur et d’Elsa (1956). Une amusante expression apparut alors dans l’argot de l’opéra : cracher sur les quinquets se disait d’un chanteur qui se produisait trop près de la rampe.
Par comparaison, le mot, devenu populaire, désigna les yeux à partir de 1808. Delvau (1866) cite Belle paire de quinquets pour des « yeux émerillonnés », Allumer ses quinquets pour « regarder avec attention », Éteindre les quinquets pour « crever les yeux ».
Esnault (1965) donne la forme argotique abrégée, quinq’s, et le verbe quinqser, « regarder ».
Quand un enfant ouvrait les yeux au sortir du sommeil, grand-mère disait : « Il a ouvert ses quinquets. »
La beauté ne se mange pas en salade
L’expression est encore en usage : « Sa petite amie n’est pas très belle. — Et alors ? La beauté ne se mange pas en salade ! »
Salade a de nombreux sens argotiques : mélange, mensonge, boniment, etc. Selon Esnault (1965), le mot a désigné chez les pickpockets le « mélange d’or et de billon [monnaie de faible valeur] que la “main” retire de la poche fouillée ».
Ne pas se manger en salade signifie « ne rapporter aucun avantage, ne procurer aucun profit » : « La grandeur nationale ne se mange pas en salade » (Jacques Sapir, Le Nouveau XXIe siècle, Seuil, 2008).
L’expression nous fait donc comprendre que la beauté n’est ni nécessaire ni suffisante pour faire vivre un ménage : « Certes, il n’était pas beau. Mais la beauté ne se mange pas en salade, et il était si brave. Elle tenait à lui qui tenait à elle. Est-ce autre chose, l’amour ? » (Albert Camus, La Mort heureuse, 1936-38.)
Elle a regardé le soleil à travers une passoire
« Éphélides » est le nom scientifique des taches de rousseur, du grec hélios, « soleil » et épi, « à cause de ». Il est vrai que les taches de rousseur s’accentuent après une longue exposition au soleil. Pourquoi taches de « rousseur » ? Parce qu’elles sont plus fréquentes chez les roux. On les appelle aussi « taches de son », expression adoptée par François Coppée pour intituler un poème de son recueil Arrière-saison (1887) dont voici le premier quatrain :
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On parle aussi, avec tout autant de délicatesse, de « planche à pain » ou « à repasser » et mon père disait de telles femmes qu’elles passeraient derrière une affiche sans la décoller.