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Le pilote de leur avion, un monomoteur Gardan Horizon, se nomme Paul Lepanse, c’est un ancien de l’Aéronavale, alors pilote d’essai chez Sud-Aviation. Durant les quatre heures de vol, sentant soudain naître en lui une vocation, Jacques se fait initier sommairement au pilotage. Il a déjà pris sa décision : il apprendra à voler ! Et c’est à Lepanse, dès l’atterrissage, qu’il demande de bien vouloir être son instructeur. Trois mois après, il achète un premier avion du même type, avec lequel, une fois sa licence de pilote privé en poche, il volera un peu partout en France, en Belgique et en Suisse pendant trois ans. En 1967, à bord de son second Gardan, il effectue, avec Paul Lepanse et Jojo, un long voyage de Nice à Beyrouth en passant par Calvi, Naples, Brindisi, Athènes, Rhodes, Nicosie à l’aller, et par Ankara, Istanbul, Salonique et Corfou au retour.

En 1969, il décide de se lancer dans le vol aux instruments et s’inscrit en octobre, à Genève-Cointrin, à l’une des meilleures écoles du genre, Les Ailes, où son instructeur est un Vaudois du nom de Jean Liardon. Fils de Francis Liardon, qui fut champion du monde de voltige dans les années 1950, et grand professionnel lui-même, Jean Liardon restera jusqu’au bout un ami fidèle. Puis, en novembre, il acquiert son troisième avion, un superbe Wassmer pouvant prendre cinq personnes à son bord.

Le 17 avril 1970, Jacques Brel est qualifié IFR, poussant sa formation jusqu’à devenir copilote sur Lear Jet, un bimoteur à réaction. C’est à bord d’un avion semblable que, trois ans plus tard, en mai 1973, il invite sept ou huit amis (dont Jojo, sa femme Alice et la sœur de celle-ci, Laetitia, Jean Liardon et son épouse, outre Maddly bien sûr) à se rendre en Guadeloupe. L’autonomie du Lear Jet 25, loué pour l’occasion, étant limitée à moins de deux mille kilomètres, de multiples escales sont nécessaires entre Genève et Pointe-à-Pitre, par la route du nord (ravitaillement en kérosène oblige) : Paris, Prestwick, Keflavik, Narssarssuaq, Portland, Wilmington et Nassau ! Assis à droite du pilote, Jacques est fier d’emmener ses amis dans un aussi beau voyage, qu’une avarie va cependant perturber : en se posant au Groenland, à Narssarssuaq, dans des conditions météorologiques difficiles, le train d’atterrissage est endommagé ! Le temps de se faire livrer la pièce nécessaire, car il n’y a pas moyen de réparer sur place, l’avion est immobilisé plusieurs jours sur le tarmac, avec des passagers en tenue estivale (ils n’ont prévu que ce qui était nécessaire à destination) par des températures polaires… Finalement, le séjour antillais se déroula à merveille et, le lendemain du retour en métropole, le 21 mai 1973, Brel embarquait à nouveau tout ce petit monde pour aller assister, au festival de Cannes, à la projection de son second film, Le Far West[50].

En 1977, mettant à profit son retour à Paris pour enregistrer ses nouvelles chansons, il s’empressera, une fois l’album en boîte, en octobre, de rejoindre Jean Liardon en Suisse. Objectif : s’adonner avec lui et son père Francis, à Sion (à bord d’un Stampe, un avion belge), aux joies de la voltige ! À vrai dire, du jour où Jacques a été touché par le virus, il n’a jamais manqué la moindre occasion de piloter. Ainsi, lors de sa tournée du printemps 1966 dans l’océan Indien (pendant qu’Antoine faisait ses débuts à l’Olympia, six mois pile avant que lui-même n’y fasse ses adieux), il vola tout son saoul au-dessus de Madagascar avec un Gardan Horizon identique au premier appareil qu’il s’était offert. Journaliste aujourd’hui bien connu, spécialiste en aéronautique, Bernard Chabbert, alors étudiant en droit et musicien de circonstance, y rencontra le chanteur… et fit la connaissance du pilote :

« J’étais jeune pilote à l’aéroclub, fraîchement inscrit à la fac de droit du campus Charles-de-Gaulle de Tananarive, et avec une bande de garnements de mon espèce, nous avions monté un groupe de blues-rock des plus crédibles. Mieux, nous avions mis sur pied une boîte, l’Œuf, pour y donner des concerts hebdomadaires, et l’Œuf, devenu haut lieu du rock’n’roll malgache, ne désemplissait pas… Un jour, un organisateur de spectacles nous apprend que le Grand Brel va venir se produire à Tana, en cours de tournée dans l’océan Indien… et que nous sommes conviés à assurer la première partie ! Comme on ne doutait de rien, on a assuré… Mais le plus merveilleux, ce fut la fréquentation, durant les quelques jours qui suivirent, du Grand Jacques : il avait décidé de prendre quelques moments de bonheur personnel et, ayant appris que Madagascar était un paradis aérien, il s’était inscrit à l’aéroclub d’Air France. Pendant une semaine, Brel a sillonné la grande île, avec le Gardan mal-aimé de l’association, si je me souviens bien… L’ennui, avec les génies, c’est qu’on s’habitue si vite à eux que, lorsqu’ils sont partis, le manque est vraiment immense[51]. »

Retour à Tahiti. Le Twin Bonanza est acheté, d’occasion[52], le 30 novembre 1976, au nom de Maddly. Conçu pour transporter huit personnes (avec une banquette à l’avant pour le pilote, le copilote et un passager, une autre banquette sur la gauche du compartiment arrière et deux sièges sur sa droite), il possède une autonomie d’un peu plus de cinq heures à une vitesse de croisière de trois cents à l’heure. Cinq heures, c’est la durée approximative du vol entre Tahiti et Hiva Oa (distantes de quelque mille cinq cents kilomètres), que Brel comme les différents pilotes de ligne n’effectueront jamais d’une traite, une escale de ravitaillement ayant lieu dans les Tuamotu, car le risque est trop grand de s’abîmer dans l’océan. Jacques et sa Doudou d’Antillaise reviendront en prendre possession dans les premiers jours de janvier 1977, une fois apportées les améliorations techniques réglementaires, indispensables pour voler jusqu’aux Marquises.

Début décembre, la veille de prendre le vol hebdomadaire d’Air Polynésie pour Hiva Oa, via Rangiroa et Nuku Hiva, Jacques Brel dresse l’inventaire avec Maddly : « Vingt-quatre bouzy rouge, un jambon à l’os, la crépine de pompe, le magnétoscope et ses câbles, le foie gras et les morilles pour Bastard, le colis de sœur Rose… la bouteille d’aquavit… » Le matériel sera transporté dans des caisses à Papeete au quai de l’Aranui, la « goélette » qui assure la liaison une fois par mois avec les Marquises ; les produits frais, la viande, les légumes, etc., voyageront en soute dans une grande glacière. Puis il se tourne vers Paul-Robert : « Toubib, il faut que tu me fasses une liste des médicaments qu’il faut absolument avoir chez soi quand on vit si loin d’une pharmacie. J’irai les acheter cet après-midi[53]. » Thomas lui note une vingtaine de médicaments de premiers secours : antibiotiques, anti-inflammatoires, antalgiques, antispasmodiques, corticoïdes, pommades, désinfectants, etc. Avec, « sur une autre feuille, les indications d’utilisation ».

Il est prévu que le commandant de bord vienne les chercher directement au faré à quatre heures du matin et que Jacques fasse une partie du vol dans le cockpit. Il pense revenir à Tahiti avec Maddly lorsque l’avion dont il vient de faire l’acquisition aura reçu l’agrément du Bureau Véritas. C’est l’affaire de trois ou quatre semaines. Le temps de faire installer le matériel radio et de navigation qui lui fait défaut pour une sécurité optimale et qui, précise Paul-Robert, a été commandé aux États-Unis et en France. Blanc, rouge et ocre, immatriculé F-ODBU, le bimoteur sera aussitôt baptisé et signé, de chaque côté du fuselage avant, du nom de Jojo.

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50

Son second film en qualité de metteur en scène (après Franz, avec Barbara et lui-même dans les rôles principaux, dont la première avait eu lieu à Bruxelles un an auparavant, le 1er mars 1972), dans lequel on voit défiler nombre de ses amis : Danièle Évenou, Charles Gérard, Juliette Gréco, Franz Jacobs, Claude Lelouch, Michel Piccoli, Lino Ventura…

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51

Bernard Chabbert (qui témoignait ainsi le 12 avril 2003 sur le forum de son site Internet pegase.tv) réalisera ensuite pour France 3 un reportage à Hiva Oa sur la restauration du Jojo. On peut voir des images du survol de Madagascar, avec Brel aux manettes du Gardan, dans la vidéo déjà citée Brel ou « Jacky » à Madagascar.

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52

Construit en 1956 à Wichita, au Kansas, il a été importé en Polynésie en octobre 1975 par la société Tahiti Air Tour Service, pour le compte d’un jeune pilote privé qui s’en servait pour ravitailler le marché de Papeete en produits frais depuis l’exploitation d’une entreprise familiale de pêche et d’agriculture.

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53

Paul-Robert Thomas, op. cit.