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Dans le français d’époque Louis XIV, décevoir, d’ailleurs, signifiait « tromper habilement ». Et, comme l’affaire olympique est surtout franco-britannique, on peut noter que le verbe anglais deceive, pris à l’ancien français deceivre, signifie « tromper ».

Mais qui trompe, dans la déception, qui crée l’illusion et les fausses certitudes ? Pas forcément ceux qui causent la désillusion et la mauvaise surprise ; plutôt l’illusion même, qui est un espoir erroné. Pour expliquer la déception, on passe facilement de « nous nous sommes trompés » à « on nous a trompés », qui a l’avantage de rejeter la responsabilité sur autrui. La déception est un sentiment normal devant un échec jugé injuste ; il vaut mieux qu’elle ne verse pas dans le dépit, du latin despectus, « regard méprisant, de haut en bas ». Évacuer l’impression d’avoir été méprisé, humilié ; admettre qu’on a donné trop d’importance à l’enjeu, qu’on l’a trop commenté, mis en scène, qu’on lui a conféré une valeur symbolique. On méritait de gagner, c’est une opinion ; on a perdu, c’est un fait. On peut trouver mille explications ; on peut aussi trouver mille consolations, et plaindre Londres pour la charge énorme qui lui incombe. L’essentiel est de savoir perdre sportivement, puisqu’il s’agit, dit-on, de sport. Et s’il s’agit d’autre chose, de politique et d’économie, par exemple, qu’on en tire quelques leçons. La déception peut conduire à plus de lucidité. Cela suppose le fair-play, qui se dit en français « franc-jeu ».

6 juillet 2005

Défaillance

À propos des conséquences lamentables du cyclone Katrina[95], pour éviter les jugements faciles, et ne pas se contenter de dire pagaille, cafouillis, on peut user d’un mot objectif, mais dénonciateur, défaillance.

Mot très ancien, dérivé du verbe défaillir, mais qui s’en est éloigné, sinon que la défaillance, qui est une insuffisance extrême, ressemble à l’évanouissement qu’évoque défaillir. Ce sont des expressions du défaut, de l’absence, de l’inaction, qui, en ce moment, stigmatisent l’administration et les services de sécurité du pays le plus puissant, le plus sécuritaire du monde.

Défaillance, dans le contexte actuel, correspond à d’autres mots de la même famille, comme faille, des failles dramatiques dans l’organisation sociale des États-Unis. Ce qui incite à remonter à un verbe assez trompeur, le verbe faillir, ainsi qu’à un mot pris à l’italien, mais de même origine, faillite. Les défaillances conduisent à des faillites.

Aujourd’hui, le verbe faillir est surtout connu par un emploi mal perçu : « j’ai failli réussir » signifie « j’ai échoué, j’ai manqué de peu ». C’est devenu le mot du « presque, mais pas tout à fait », alors que, pendant des siècles, faillir correspondait à « échouer, manquer, faire défaut » : faillir à tous ses devoirs.

Le latin fallere voulait dire « tromper, échapper » et on est surpris de sa parenté possible avec l’anglais to fall, « tomber ». Le système administratif des États-Unis est apparemment « tombé », s’est évanoui, a défailli. Toute organisation humaine se caractérise par des manques, des défauts ; dans la catastrophe Katrina, la défaillance a conduit au chaos.

7 septembre 2005

Coalition pour un chancelier

Pas de chancelier ni de chancelière sans coalition. C’est de l’Allemagne, bien sûr, qu’il s’agit, mais on peut en parler avec des mots français, sans risquer des erreurs de traduction.

Kanzler, chancellor en anglais, cancelliere en italien, chancelier et chancelière en français viennent tous du même mot latin. Le chancelier primitif, cancellarium, est le « gardien des grilles », cancelli. Une sorte d’huissier qui a pris de l’importance, un peu comme notre ministre, qui fut d’abord un petit serviteur, assez mineur, minus. En France, la chancellerie fut le lieu où on rédigeait et scellait (avec un sceau, pas une selle) des actes officiels ; en Angleterre, le chancelier garde un échiquier — les Anglais ne font jamais rien comme les autres — et en Allemagne, donc, c’est le Premier ministre.

Revenant à l’étymologie, les Allemands attendent devant les grilles fermées et se demandent où est passé le chancelier. Cette disparition est pourtant claire : l’opinion coupée en deux a produit deux demi-chanceliers virtuels, dont une chancelière, mot qui désignait en français, depuis le XVIIe siècle, un sac fourré pour se chauffer les pieds. Ce qui suggère que les chanceliers et peut-être tous les gouvernements aiment le confort douillet. Après tout, il y a bien deux sortes de cuisinières, et certains secrétaires sont des meubles.

Le remède à la situation allemande s’appelle pour le moment coalition. Ce mot n’évoque pas l’unité, comme le fait union, ni l’accord, qui vient du cœur, ni un groupe soudé, comme association. Dans coalition, on soupçonne que le co-signale la réunion, puisqu’il représente cum, « avec ». Le reste du mot est secret : il vient d’un verbe latin signifiant « nourrir ». Se coaliser, ce serait « être nourri ensemble », ce qui fait grandir les enfants : adolescent et aliment ont la même origine, le verbe alescere.

Ainsi, la coalition était censée, par la réunion, faire croître et embellir. Comme si la raison disait à quelques partis allemands : mangez votre soupe ensemble, grandissez et reformez une majorité pour faire réapparaître votre chancelier perdu, le même ou une autre.

Coalition est peut-être une leçon pour l’Europe : grandir ensemble, sans oublier le féminin.

20 septembre 2005

Adhésion et partenariat

Face à ce problème, l’entrée contestée de la Turquie dans l’Union européenne, deux mots sont affrontés : adhésion et partenariat, ce dernier orné de l’adjectif privilégié, sans doute pour atténuer l’opposition[96].

En effet, on peut imaginer qu’une adhésion molle, partielle, soit peu distincte d’un « partenariat privilégié », qui implique une loi (lège) privée (privi-), autrement dit particulière et avantageuse.

L’adhésion est finalement un collage, comme le montrent les mots adhésif et adhérence. C’est la faute, non aux partisans absolus de telle adhésion, mais à la langue latine, où le verbe haerere (d’où vient — hésion) voulait dire « attacher, fixer » et par extension « arrêter ». Image peu dynamique, corrigée par l’histoire des mots : l’adhésion est devenue un consentement, un accord, écartant l’allusion déplaisante au pot de colle.

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95

La destruction d’une partie de La Nouvelle-Orléans et de villes voisines, l’abandon des populations les plus pauvres, laissées à peu près sans aide ni ressources durant plusieurs jours…

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96

Aux partisans de négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, certains de ses adversaires opposèrent la formule hypocrite du « partenariat privilégié ».