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Ce qui s’oppose à l’adhésion n’est pas le partenariat, mais la séparation, la rupture.

En fait, on oppose fortement deux symboles : ceux de la Turquie amarrée à l’Europe, ou bien gravitant dans un partenariat. Dans les faits, qui sont économiques et politiques, l’adhésion et le partenariat ne sont pas des contraires. En outre, l’insistance sur le côté privilégié du partenaire pourrait inquiéter l’adhérent qui, lui, ne serait pas « privilégié ».

Le mot partenaire est pris à l’anglais, et partner venait de l’ancien français parcenier, « l’associé », dérivé pas très moral de parçon, qui n’était autre que le partage du butin.

Manière discrète de rappeler que ce sont les intérêts matériels qui pourraient bien l’emporter sur les symboles. Rien n’est simple, car l’islam est déjà européen, car l’Europe, depuis les XVIIe et XVIIIe siècles, n’est plus un « club chrétien ». Formule polémique, car, si la langue turque vient d’Asie centrale, les langues européennes appartiennent à l’ensemble « indo-européen », et l’Inde, c’est aussi l’Asie. L’Europe, petit cap de l’Asie, disait Paul Valéry. Alors, la Turquie asiatique, appendice de l’Europe ?

3 octobre 2005

« Le conflit des mots[97] »

Choisir un mot, ce matin, ce serait choisir son camp. Le vocabulaire de la situation sociale évolue. Au centre, le mot grève, dont l’histoire est étrange, depuis les grèves de la Seine où l’on cherchait un emploi jusqu’à l’arrêt de travail démonstratif. Mais surtout, les mots qui l’accompagnent. Ils sont de deux sortes : d’un côté perturbation, du latin turbare, « agiter, troubler », galère, mardi noir, on vient d’entendre un auditeur dire nuisance, façons de dire qui expriment le point de vue des usagers et qui satisfont le pouvoir ; de l’autre, mobilisation, manifestation, revendication, selon les salariés. Reste le point de vue de la police, du genre lénifiant. On connaît ses évaluations contrastées : deux cent mille selon la police, un million selon les organisateurs.

Les métaphores suivent : raz de marée, tsunami, déferlante du côté des grévistes et des syndicats ; désordre, pagaille et chaos de l’autre. Quant aux économistes et aux sceptiques, ils ont tendance à soupirer ou à ricaner sur ces grèves qui sont le sport favori des Français. Conflit, là encore, entre le tout économique et le minimum social.

Ces affrontements de mots ne font que traduire ceux de la société. Mais ils expriment aussi un progrès. Il fut un temps, pendant des siècles, où les mots étaient tous du côté du pouvoir : ordre, désordre, révolte, émeute, et même rogne et grogne.

Aujourd’hui, les intérêts des travailleurs, des pauvres, des maltraités se disent et s’expriment dans un vocabulaire. Voyez mobilisation, qui concernait l’armée, le départ forcé pour la guerre, et qui traduit une action sociale ; ou bien revendication, qui n’était qu’un terme de droit. Devinez qui emploie le premier ce mot à propos d’une demande, d’une « revendication » sociale : c’est un socialiste, Proudhon — celui de « la propriété, c’est le vol » —, vers 1860.

Car l’évolution des manières de dire, l’apparition du vocabulaire d’en bas, celui de la rue, dont le futur sénateur Raffarin disait qu’elle ne devait pas gouverner, a une histoire précise. Tout a basculé certes en 1789, mais surtout vers 1848, époque de révolutions en chaîne. C’est alors que socialisme, syndicat, prolétariat, ce dernier aujourd’hui un peu délaissé, prennent leur valeur actuelle. La lutte des mots a-t-elle relayé feu la lutte des classes ?

4 octobre 2005

Écouter — Entendre

Je vous ai écouté, Stéphane, ce matin à 7 heures, mais vous ai-je entendu ? J’ai entendu le Premier ministre dire qu’il écoutait le message social, mais on ne sait pas ce qu’il a entendu, ni comment.

Ces deux verbes sont bien différents, mais leurs significations se sont emmêlées. Écouter, escolter dans l’ancienne langue, c’est auscultare, plus tard repris par ausculter. Ce verbe latin est apparenté par sa racine à auris, « l’oreille », ce qui ne nous avance guère : on savait qu’on n’écoutait pas avec son nez ni ses yeux. Pour le sens, écouter implique l’attention, et parfois l’indiscrétion. Ainsi, on écoutait aux portes avant de pratiquer les écoutes téléphoniques. Il n’y a pas besoin d’être à l’affût et indiscret pour écouter les protestations du monde du travail. En revanche, les évaluer est moins facile. Ainsi, la police a perçu moins de la moitié de la rumeur entendue par les syndicats. On peut donc écouter et mal entendre. Souvent, dans la vie politique, les écoutants sont malentendants.

Le verbe entendre concerne bien l’ouïe, dès son apparition, mais ce n’était pas le cas du latin intendere, qui contient tendere, « tendre ». Entendre, c’est d’abord « porter son attention de manière à comprendre ». Et justement, le sens dominant d’entendre fut longtemps « comprendre ». En effet, percevoir par l’ouïe, c’était ouïr, verbe qui a reculé, puis quasiment disparu, par accidents de conjugaison, probablement. « Nous oyons, qu’ois-je ? », disait Devos ; qu’a donc ouï M. de Villepin ? Cela se laisse avantageusement remplacer par : « nous entendons, qu’entends-je ? » (déjà embarrassé). Qu’a donc entendu M. de Villepin, en écoutant ?

Entendre n’est donc pas seulement « percevoir des sons, des bruits, des paroles, de la musique », mais y comprendre quelque chose, c’est-à-dire donner du sens à ce qu’on a perçu ou en recevoir.

L’attention que suppose écouter ne suffit pas ; encore faut-il entendre. La preuve, c’est que bien écouté ou pas, un message mal entendu est un « malentendu », et c’est la grande maladie du dialogue social.

5 octobre 2005

Le trou

Dans l’expression triviale mais expressive que nous employons tous : le trou de la Sécu, l’élément Sécu, un peu malsonnant quand même, représente l’expression très officielle Sécurité sociale, calquée sur l’anglais, mais où sécurité, comme social, sont de claire origine latine.

Mais trou, ce mot banalissime ? Trou est troublant. Les formes latines d’où vient ce vocable ne sont pas sûres ; l’ancien provençal trau correspond à l’ancien français ; on s’est dit que ça pouvait bien être du gaulois, mais rien d’analogue en gaélique, en vieil irlandais, en breton, toutes langues celtes. En fait, ce mot semble avoir toujours été là, sans doute avant ces bons vieux Gaulois.

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Grève et conflit social du jour…