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« Alors, j’ai lâché l’os… Pourtant, ça me turlupinait, et hier, j’ai fait ma petite enquête avenue Duquesne. J’ai interrogé les gens du quartier… Une dame qui vend des billets de la Loterie non loin de l’immeuble des Vignaz, se souvenait avoir vu descendre le docteur de son auto, au coin de la rue, en début d’après-midi… Pourquoi n’avait-il pas arrêté sa bagnole devant l’immeuble ? Hein ?…

— Parce qu’il allait saigner la vieille, dis-je.

— Tout juste ! fait Pinaud, déçu que je l’aie devancé. Je me suis dit qu’il fallait voir ce citoyen d’un peu plus près. Non pas en tant que policier, ce qui lui aurait donné l’éveil, mais par la bande… Je me suis déguisé en facteur…

Je me retiens de rigoler. Il a lu ça dans Fantomas, le père Pinuche. Y a longtemps que ça lui travaillait le cuir chevelu, le déguisement. On le laisserait faire, il vivrait avec une fausse barbe et un pardessus réversible !

— J’avais la tenue de mon père, ancien facteur-chef…

— Et alors ?

— Alors, je me suis présenté chez Dubois, ce matin. Il m’a reçu, croyant avoir affaire à un postier. Je lui ai monté une histoire : comme quoi j’étais facteur et que je faisais l’avenue Duquesne. Je lui ai dit que je l’avais vu sortir de chez les Vignaz dans l’après-midi. Qu’il n’avait pas parlé de cette visite dans les journaux et qu’il fallait acheter mon silence…

« Il est devenu vert et m’a demandé : Combien ? Alors, moi, tu penses : coup de théâtre, je lui sors ma carte en disant : « Police ! » Sur ce, mademoiselle…

Et de re-désigner la douce Anne-Marie.

— … Mademoiselle sort précipitamment de la pièce en criant au secours ! J’entre ! Que vois-je ! Un cercueil… La petite saute sur un tournevis. Le toubib me saute dessus, on se bat, on…

— Passe la main, dis-je, je connais la suite. Tu la feras enregistrer sur microsillon et tu te la passeras le soir, à la veillée…

Il se renfrogne.

— Charmant, fous-toi de ma gueule pendant que tu y es !

Une pression de la main le rassure. Son œil unique rigole…

— Ah ! bonhomme Pinaud, lui dis-je, laisse-moi me rétablir. Tu verras cette foirinette pour fêter mon retour de la tombe !

Béru, qui n’a pas débloqué depuis cinq minutes et qui ne peut plus y tenir, demande :

— Quel effet ça fait, San-A., de se laisser mettre en bière ?

— C’est presque plus attristant que tes jeux de mots, réponds-je. Vas-y, déballe la couennerie qui te démange la langue…

Il hésite, partagé entre la vexation et le besoin de s’extérioriser.

C’est le second besoin le plus pressant.

— Quand tu seras à la retraite, dit-il, tu ouvriras un bistrot. Et sur la vitre, tu mettras : « Bière à emporter… »

Il rit… Il est seul à se marrer de sa pauvreté.

— C’est tout ? je demande, t’as laissé ton message, gars ?

Il se lève.

— Va te faire cuire un œuf, dit-il, vexé.

Ces messieurs les mettent… Maintenant la parole est à la médecine, à la vraie. A celle qui guérit et non à celle qui tue…

Seule, Anne-Marie demeure à mon chevet…

Un long silence s’écoule. Puis je la regarde.

— Eh ! petite môme, dis-je, approchez un peu…

Elle obéit.

— Alors, vous en faites une tête…

— Je viens de vivre un tel cauchemar, balbutie la petite souris.

— Il va falloir oublier ça, mon chou.

— Oublier, dit-elle. Oublier que j’ai poignardé un homme, comment serait-ce possible ?

— Vous ne l’avez pas poignardé, mais tournevissé ! rectifié-je. Il y a un distinguo, mon amour… Et c’était de la légitime défense collective !

— Vous croyez ?

— Ben alors…

— Tout de même, dites : le docteur…

Je pige ce que ce meurtre représente pour elle, non seulement en tant que meurtre, mais eu égard à la personnalité de la victime : son patron, son…

— Dites, Anne-Marie, c’était votre amant ?

— Qui ?

— Dubois.

— Oh ! non. Non…

Elle pleure.

— C’était autre chose, murmure-t-elle. Il m’avait remarquée lorsqu’il avait son service à l’hôpital. Il s’était intéressé à moi…

Elle chiale… Elle chiale sur ce monstrueux criminel qu’elle a supprimé de ses mains…

Je lui fais signe d’approcher. Elle se penche… Et alors c’est comme si on montait dans l’ascenseur conduisant au septième ciel.

Premier étage : Bécots, pressions de mains…

Deuxième : Papouilles, couture de bas, mimis humides…

Troisième : Patins, lingerie féminine, culottes, soutien-gorge… Et ainsi de suite !

DEUXIÈME PARTIE[9]

Attirons également l’attention dudit lecteur sur le classicisme d’un roman dont la deuxième partie se situe après la première, et ce à une époque où la littérature, par l’emploi du flash-back, nous a habitués à voir placer la charrue devant le tracteur !

LES JOLIS SOIRS DANS LES JARDINS DE L’ALHAMBRA.

Un mois plus tard, nous sommes sur la Côte tous les trois. Félicie rêvait depuis toujours de connaître Monte-Carlo. Maintenant c’est chose faite… J’ai loué une petite villa meublée et on se la coule d’autant plus douce que la grande saison en bikini est terminée. Les rois du pédalo, du ski nautique, et du dargeot-bronzé sont retournés dans leurs burlingues de Paname et d’ailleurs. Ils ont des souvenirs salés et un épiderme acajou que les brumes de l’Ile-Saint-Louis vont gommer rapidos… Alors le patelin est à moi et j’en profite…

Félicie avec sa guitare dans le plâtre ne quitte pas sa chaise longue… Bien sûr, cette brave daronne aurait aimé connaître la Côte d’Azur sous d’autres auspices, mais de la terrasse, elle en prend plein l’obturateur ! On voit la mer à l’infini et, quand le temps est calme, on entend bâiller les lions de l’autre côté de la mare.

Ce qui la ravit le plus, je crois bien, c’est le mahomed.

— Pourquoi n’avons-nous pas un soleil pareil à Paris ? soupire-t-elle à longueur de journée.

Je renonce à lui donner un cours de géographie. Ici on n’est pas porté sur l’enseignement.

Oui, la vie est miraculeuse… Bleu azur, si vous voyez ce que je veux dire… Le matin, le ciel est d’un rose passé qui enchante la vue, et le soir il devient vert comme ces petits éclats qui brillent dans les chasses d’Anne-Marie.

Car elle est laga, vous êtes d’accord ? Il nous fallait une infirmière, n’est-ce pas ? Alors on l’a engagée pour la durée de nos convalescences : ça tombait d’autant mieux pour elle qu’avec le grand pataquès de la rue de Vaugirard, elle restait sans turf, la pauvrette…

C’est fou ce que le Midi lui va bien, à elle aussi. Tous les matins, elle se lève la première, fait la toilette de Félicie, lui donne à déjeuner, la roule sur la terrasse éclaboussée de soleil et attrape son maillot de bain pour courir jusqu’à la plage… Je la rejoins au bout d’un moment. Avec mon épaule farcie, je ne peux pas encore batifoler dans l’onde azuréenne, comme dirait un rédacteur sportif, mais je me console en la regardant jouer les naïades.

Une pépée aussi bien baraquée, je crois pouvoir affirmer que je n’en ai encore jamais vu… (Notez bien que je dis ça chaque fois !)

Quand elle jaillit de la flotte, je me demande toujours si je ne vais pas me trouver mal encore une fois, comme là-bas, dans la chambre de Dubois… C’est un spectacle tellement saisissant, mes amis !

S’il existait une école de déesses, elle serait monitrice, notre Anne-Marie… Sa peau est irisée à cause de toutes ces gouttelettes d’eau qui s’accrochent par milliers aux pores de la peau veloutée. Moi, immanquablement, je ressens la vache secousse. Alors, j’empoigne la serviette de bain multicolore qui traîne sur le sable, et je l’entraîne dans les rochers pour l’essuyer. Je crois bien que c’est le meilleur moment de la journée. Un instant fabuleux. Plus rien n’existe que ce soleil, cet air doré, ce corps de fille belle et saine… Ma parole, on sortirait du trou pour en becqueter de la poulette comme ça !

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Le lecteur peut à son aise admirer la remarquable construction de ce livre, lequel, après avoir bénéficié d’une première partie, en comporte une seconde, moins abondante que la précédente, certes, mais d’autant plus concise !