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LETTRE XXVIII.

Aline à Valcour.

Vertfeuil, ce 8 octobre.

Oh Valcour! vous avez partagé mes peines… elles ont pénétrées votre coeur! Combien me sont précieux les témoignages que vous m'en donnez! Je pardonne moins à mon père tout ce qui s'est passé que sa funeste liaison avec ce vilain homme. S'il pouvait perdre ce malheureux ami, je suis sûre qu'il redeviendrait plus honnête, il a plus d'esprit que ce monstre, et pourtant il est entraîné par lui. Perfide effet du vice!… Je le haïssais tant, que je croyais que pour séduire, il lui fallait au moins des charmes, je me trompais, grand Dieu! vous le voyez, il y réussit en n'offrant à nud que sa laideur.

Vous me demandez, mon ami, si l'amour avait autant de part que la décence au mouvement qui m'a fait fuir? ah! comment voulez-vous que je puisse distinguer entre ces deux effets… Ce que je crois… ce que je sens, c'est que l'amour les réunit, les confond tous si bien en moi, qu'il n'est pas une seule pensée de mon esprit, pas un seul mouvement de mon coeur qui ne soit dû à ce premier sentiment; il dirigera toujours tous les pas que vous me verrez faire, et quand vous exigerez de moi de vous dévoiler des motifs; je ne vous offrirai jamais que mon amour.

J'ai bien pleuré cette pauvre Sophie, quels revers!… Hélas! elle se croyait ma soeur, aujourd'hui la voilà fille d'une paysanne trop indigne d' elle pour qu'on ose même la lui rendre; elle n'y perdra rien, ma mère m'a promis de la regarder toujours comme sa fille, je lui ai juré de l'appeler toujours ma mère, et de lui conserver à jamais tous le sentimens de ce titre… et celle à qui je les dois réellement… Je ne la verrai donc jamais?… Qui sait?… Déterville a écrit; nous attendons. Ah! comme je ferais de bon coeur le voyage de Bretagne pour aller l'embrasser!… Mais je ne voudrais pas qu'elle sut que je lui appartins. Je voudrais faire accidentellement connaissance avec elle, pour voir si nos caractères se conviendraient… Si elle finirait par m'aimer… Pour moi, je sens que je l'aime déjà… ah! chimères que tout ceci! Je parierais bien que je ne la verrai de ma vie… Quelle fatalité! que de dérangement!… que de désordre dans une famille cause la cupidité d'une malheureuse nourrice; je ne suis pas sévère; mais convenez, mon ami, que de telles fautes ne devraient pas rester sans punition?

Le comte de Beaulé est revenu nous voir, je l'aime, il vous estime, oh, mon ami! quel titre pour être chéri de moi! J'étais d'avis que ma mère lui confia nos peines… Peut-être le fera-t-elle, assurément il nous servirait de tout son pouvoir. Julie me disait hier que c'était un ancien amant de ma mère… Quelle histoire! j'en ai ri, le comte est bien plus vieux; mais il était jeune encore, quand ma mère entrait dans le monde, et ils se connaissent depuis cette époque… Ah! si jamais cette femme respectable avait due s'écarter des devoirs pénibles et rigoureux que lui imposoit le ciel, assurément le choix qu'elle aurait fait du comte aurait bien excusé ses erreurs. Oh, mon ami! laissez-moi rire une minute avec vous, la joie est si peu souvent dans mon coeur, que vous devez bien un peu d'indulgence aux courts momens où je m'y livre; mais si elle était vraie cette folie que je viens de dire, si j'étais la fille du comte de Beaulé… je gage que vous l'aimeriez mieux… Allons… Je ne veux plus dire d'extravagances, ma gaieté n'est pas assez bien revenue pour cela… celles-ci sont tellement chimériques, que j'ai cru pouvoir me les permettre pour vous amuser un instant. S'il est une femme au monde à qui soit dû légitimement les titres de chaste et de vertueuse, on peut bien dire que c'est à celle-là! et quel mérite elle avait à s'en rendre digne… Vous le savez, mon ami… Combien de fois lui ai-je vu déplorer dans mes bras le poids du fardeau dont elle était accablée… Si cet homme cruel se fut contenté de la négliger, elle eût trouvée dans son indifférence pour lui, des raisons de pardonner ces torts-là; mais le pervers… Changeons de propos, c'est mon père, et je dois respecter dans lui jusqu'à ses écarts… Hélas! je le ferais sans peine, si ces torts n'outrageaient pas la meilleure des mères: mais ce que je dois à celle-ci, me fait quelquefois oublier ce qu'exige l'autre, et l'obligation de haïr le persécuteur de celle qui m'a porté dans son sein, vient souvent m'affranchir des sentimens dus à celui qui m'y plaça. Adieu, mon ami, ma tête s'attriste; je ne veux pas vous ennuyer. Nos aventures… La saison qui s'avance, tout cela dérange un peu et notre plan de vie et nos promenades… oh! combien voilà de tems que je ne vous ai vu!… Près de sept mois, si vous voulez je vous dirais de même en jours, en heures et en minutes; ces affreux intervalles sont mis par moi au rang des instans où je ne vis pas… Ah! si l'on retranchait ainsi de sa vie tous ceux où nul plaisir ne doit naître pour nous; vivrait-on en tout plus de quatre ans?

LETTRE XXIX [10].

Le chevalier de Meilcourt à Déterville.

Rennes, ce 12 octobre.

Je désirerai, mon cher Déterville, pouvoir répondre, et plus au long, et d'une manière plus satisfaisante, à la lettre que vous m'avez fait l'amitié de m'écrire, mais enchaîné par des considérations dont je dépends essentiellement, je ne puis vous donner sur l'objet de vos demandes d'autres lumières que celles qui sont contenues dans le peu de lignes que vous allez lire.

Elisabeth de Kerneuil, douée de tous les agrémens de la figure et de l'esprit, mais fille d'une mère qui ne pouvait la souffrir, répondit fort jeune encore aux sentimens du comte de Kerneuil, l'un des premiers gentilshommes de Bretagne. Les obstacles invincibles qu'ils éprouvèrent l'un et l'autre à l'union qu'ils désiraient, furent causes de deux malheurs qui out à jamais perdus ces jeunes gens. Le comte s'est expatrié, il a servi quelque tems en Russie… On l'y croit mort; avant que la nouvelle ne s'en répandit, mademoiselle de Kerneuil avait déjà fini sa vie d'une manière plus affreuse, elle se tua dès qu'elle vit l'impossibilité d'appartenir jamais à l'objet de ses feux… Son père était mort depuis long-tems, sa mère a terminée ses jours deux ans après l'événement qui trancha ceux de sa fille, et comme mademoiselle de Kerneuil était fille unique, les biens ont passés à des collatéraux… c'est tout ce que je puis vous dire, qui que ce fut que vous interrogeassiez dans notre province, ne vous répondrai pas avec tant de franchise; il altérerait les faits, avec d'autant plus de vraisemblance qu'on avait fait courir des bruits très-divers sur cette malheureuse aventure… vous eussiez sans doute désiré plus de détails, mais les liens que j'ai avec les deux familles me les interdisent. Adieu, mon cher cousin, j'exige votre parole, que ce que je vous dis ne sera jamais révelé qu'aux personnes qui vous chargent de m'écrire, et que vous voudrez bien engager au secret.

LETTRE XXX.

Madame de Blamont à Valcour.

Vertfeuille, ce 16 octobre.

Lisez et pleurez avec moi…, ne le savais-je pas, que je ne retrouverais cette fille une minute, que pour la regretter éternellement… Elle était malheureuse… Ah comme je l'aurais aimé!… elle s'est tuée de désespoir… Elle était haïe… Funeste erreur!… Tout cela fut-il arrivé sans l'infamie de cette nourrice? sans l'affreux projet de mon époux? J'aurais voulu de plus grands détails, mais à quoi m'eussent-ils servis?… je l'ai perdu!… je ne la verrai jamais!… Il faut étouffer tous les mouvemens de mon coeur, ah! j'apprends depuis tant d'années à leur faire violence, qu'un sacrifice de plus ne devrait pas me coûter… Valcour, écrivez-moi…; calmez-moi, vous n'imaginez pas combien j'ai besoin de l'être, mon coeur toujours déçu, veut les secours de l'amitié, il lui faut un sentiment réel pour le consoler de toutes illusions qui l'égarent. En vérité, c'est un grand malheur d'être organisé moins grossièrement qu'un autre, pour une ou deux jouissances meilleures, on y trouve vingt tourmens de plus.

L'excès des précautions que nous sommes obligée de prendre, nous privera peut-être de vous écrire aussi souvent que nous le faisions; cet homme cruel se fait informer de tout, et il n'y a pas une de ces manoeuvres qui ne me fasse frémir. Cependant, ne vous inquiétez nullement, il ne se passera rien de sérieux que vous n'en soyez instruit aussitôt. Adieu, plaignez-moi et ne cessez jamais de m'aimer.

LETTRE XXXI.

Valcour à Madame de Blamont.

Paris, ce 22 octobre.

Oui, madame; je l'avoue, trop de sensibilité est un des plus cruels présens que nous ait fait la nature; en ce moment, cet exès fait votre malheur. Votre âme est d'une délicatesse qu'elle semble toujours voler au-devant de toutes les infortunes pour s'en composer des supplices. On dirait qu'elle aime à s'en nourrir, et que cette manière d'exister comme plus vive, devient celle qui lui va le mieux. Que vous importe cette fille que vous n'avez jamais connue? c'est bien assez de pleurer sur des maux réels, sans regretter les plaisirs qu'on n'a pu prendre. Avec cette façon de penser, on se ferait des peines de tout, et l'on s'y rendrait fort malheureux. Sans doute, notre amour pour nos enfans doit être en raison du leur pour nous; il me paraîtrait tout aussi déplacé d'aimer un enfant qui nous haïrait, qu'il est fou, (pardonnez-moi l'expression,) d'en aimer un que nous ne devons jamais voir. L'amour suppose des rapports, et quels sont ceux qui peuvent exister entre nous et un être inconnu? Peut-être trouverez-vous mes moyens de consolation un peu durs; mais il faut impitoyablement enlever à un coeur aussi sensible que le vôtre, la facilité perpétuelle qu'il a de s'affliger; retrouvez dans le sein de votre Aline;… de cette Aline qui vous adore, les jouissances que la mort de Claire vous dérobe; ah! votre santé m'inquiète bien plus que cette perte qui ne doit en vérité vous faire aucune impression! voilà une chose réelle à ménager et qu'il ne faut pas sacrifier à des chimères; songez que vous vous devez à ménager et qu'il ne faut pas sacrifier à des vous-même, à une fille qui ne respire que pour vous, à des amis, au nombre desquels j'ose me mettre, et que désolerait la plus petite altération d'une santé qui leur est si chère; j'apprends avec douleur que vous voulez être quelque tems sans me donner de vos nouvelles; je vous remercie de l'instant que vous avez choisi pour me le dire; mon coeur uniquement rempli de vos chagrins, sent bien moins ceux dont cette menace l'accable… Ne vous occupez que de vous, madame, ne pensez qu'à vous, je vous en conjure; je serai consolé de tout, que dis-je, je serai toujours heureux, quand j'apprendrai que vous souffrez moins. C'est la seule chose que je vous supplie de ne me jamais laisser ignorer.

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[10] Cette lettre-ci était incluse dans la suivante.