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Vingt minutes plus tard, je stoppe avenue George-V. C’est l’heure où tu peux garer. Y a encore de la lumière chez Marius et Jeanette, mais plus de clients. L’instant du balai et de la comptée ! Je me place devant la grande vitre, presque à l’endroit que j’occupais. Un gazier d’au-delà de la Méditerranée frotte le sol du restau avec application. Un ultime cuistot se fait la paire en tirant sur la fermeture Éclair de son blouson râpé. Fin des sortilèges ! Adieu Saint-Jacques poêlées, béarnaises, bars flambés !

Je me retourne pour mater l’avenue. Une double rangée de platanes isole le restau des immeubles qui lui font face jusqu’au niveau du quatrième étage. Est-ce qu’à partir des cinq et sixième, il est possible de distinguer les clients du restaurant assis près de la baie ? Pas fastoche, car il y a une terrasse avec une haie de troènes ou de je ne sais quoi.

Voilà que le fin limier qu’I am se pique au jeu. Je me détronche jusqu’au torticolis pour déterminer s’il existe une fenêtre, en face, qui soit en prise directe avec Marius et la chère Jeanette.

Eh bien oui, il y en a une, figure-toi. Pas deux : une seule ! Au cinquième. Elle bénéficie d’une trouée dans les frondaisons, consécutive à l’élagage d’une grosse branche pourrie.

La fenêtre en question est noire, pourtant, je crois déceler dans l’un des carreaux un petit reflet rouge comme en produit le voyant d’un téléviseur sous tension.

Ce point, couleur rubis, devient pour moi l’étoile de la crèche.

Je traverse l’avenue.

CHAPITRE III

MASCARON : figure grotesque employée en décoration.

Au cinquième étage, deux portes se proposent à mon intrépidité. Gauche, droite. Laquelle choisir ? Je tente de me représenter la topographie des appartements qu’elles défendent. Lequel possède la fenêtre au point lumineux ?

J’opte pour la gauche et je sonne par mesure de sécurité, des fois qu’il y aurait quelqu’un… Je patiente deux minutes et sonne derechef. Juste que je sors mon sésame de ma vague, un bruit de serrure actionnée me dissuade d’achever mon geste. Fectivement, la lourde s’écarte et un gazier en pyjama, mais qui reste « cadre supérieur » dans son accoutrement nocturne, paraît, la tignasse à la Laurel, les châsses en feux de panne, un bout de bite rouge lisible par l’échancrure de « sa jambe de pyjama », comme dit toujours ma Félicie. Derrière lui, à deux mètres, surgit une jolie femme adultère, blond cendré, dans un déshabillé, qui transforme illico ma bite en portemanteau[3].

Pour dissiper les craintes que ma visite un temps pestive leur provoque, j’empresse de montrer ma carte et de les apaiser (la dame, surtout, j’aimerais l’apaiser, en levrette de préférence).

— Navré de vous réveiller, dis-je. Nous sommes à la poursuite d’un malfaiteur qui serait entré dans votre immeuble ; vous n’avez rien entendu de suce pet ?

Ils dénèguent. La petite jolie est plus rapide à revenir des limbes que son matou. Déjà elle arrange ses cheveux et croise son déshabillé sur sa gorge, la conne !

Je lui balance le regard du siècle à travers lequel je lui prends rendez-vous pour demain après-midi, seize heures, au Fouquet’s qui est à deux pas.

Les époux me répondent qu’ils n’ont rien entendu.

— Allez vérifier que vos fenêtres sont bien fermées, enjoins-je au cadre supérieur.

Il y va. J’en profite pour confirmer oralement le rancard visuel que je viens de prendre avec la jeune femme. Le temps nous talonnant, elle n’a pas celui de me jouer l’air de « l’effaroucherie » : « Comme vous y allez ! », « Pour qui me prenez-vous ? » et autres conneries du genre que se croit obligée de débiter une dame « chargée » cosaque. Prise par le temps, elle n’a droit qu’à deux réponses : oui, ou non. Et comme c’est une sensuelle qui lit leur paf dans les prunelles des hommes, en l’occurrence j’ai droit à la première réponse.

Seigneur ! comme la vie que Tu nous as accordée est confortable quand nous osons nous libérer du conformisme, ce fléau !

Le couple se verrouille à quadruple tour (ils ont un loquet assermenté), et la minuterie s’éteint. J’en profite pour uriner dans le porte-pébroques du palier (le meursault, je te dis !). N’ensuite, je carillonne à la porte de droite. Cette fois, onc ne me répond. La plaque de cuivre fixée sur l’un des panneaux annonce « Casimir Lemercier[4] ». Nom de bon aloi, au demeurant. Comme ci-devant, j’insiste. Nobody ! Mon instrument familier est un outil de précision entre mes doigts de maestro. Le jour où un malfrat de génie me l’a offert pour me remercier de lui avoir arrangé des bidons vachement cabossés, il a résolu pour moi bien des tracas en puissance !

À peine pénétré-je dans l’appartement que je renifle une odeur de sang ou assimilé. Je traverse une entrée où sont exposés, sur des consoles, des vases chinois qui flanqueraient la migraine à un mandarin et à sa mandarine. En sus, on a droit à un bouddha dont la frime ne me revient pas : le genre adipeux-lisse, à l’œil enfoncé comme un escarguinche cuit au fond de sa coquille.

La double porte vitrée du salon est grande toute verte (comme dit Bérurier).

La clarté de l’avenue suffit pour qu’on se repère. Il y a également le voyant rouge d’un poste de télé dont la lueur s’aperçoit depuis le trottoir d’en face.

Ces maigres sources de lumière me suffisent à distinguer un corps d’homme allongé sur le tapis, la face en avant.

Marrant ! Cette scène n’est pas une découverte pour moi. Mon subconscient l’avait déjà détectée et c’est ce qui m’a amené en ce lieu, parole d’homme !

J’empare mon stylo-torche au rayon étroit mais intense et promène son faisceau sur le type. Il a été étranglé à l’aide d’un fil d’acier très mince qui a profondément pénétré dans sa chair, au point de lui sectionner la carotide et le larynx. Supplice du garrot, comme cela se pratiquait en Espagne il n’y a pas si longtemps. On a noué le fil au corgnolon de la victime, après quoi on a glissé sous le fil une cheville de fortune (en l’occurrence un crayon), puis on a tourné le crayon dans le sens des aiguilles d’une montre jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Cette première constatation établie, je passe à un examen plus général de l’endroit. Il en résulte les découvertes ci-après : l’homme se tenait assis à califourchon sur une chaise, devant la fenêtre. Un trou rond, d’un diamètre de dix centimètres a été découpé dans l’un des carreaux de ladite pour permettre de brancher le tuyau à soufflet d’un climatiseur portable, dont le tuyau a été débranché. Devant la chaise, appuyé dans l’encoignure de la croisée, se trouve un fusil à lunette. Sur le sol, toujours près de la chaise, un poste téléphonique pourvu d’un très long fil (ce qui permet de le déplacer partout dans le salon), voisine avec un annuaire condensé de Paris ouvert à la lettre « R », comme restaurant. Accrochée par sa dragonne au dossier de la chaise, une paire de jumelles.

Je m’empare du fusil en le tenant à travers mon mouchoir et l’examine. C’est une arme de professionnel dont le magasin contient quatre balles au bout scié en croix, ce qui provoque des dégâts irréparables dans la viande, qu’elle soit d’homme ou de fauve.

Ces objets aussi inanimés que le mort sont éloquents et il m’est aisé de reconstituer la scène. L’homme est un tueur qui était chargé d’abattre quelqu’un depuis cette fenêtre. Quelqu’un devant se rendre au restaurant d’en face (ou en sortir). Il me connaît et m’aperçoit. Je ne pense pas être sa victime désignée car PERSONNE ne pouvait savoir que j’allais dîner chez Marius et Jeanette, vu que nous l’avons décidé au dernier moment, Félicie et moi. Deux choses absolument contradictoires dans cette histoire : primo, le gars de l’appartement s’apprêtait à tuer ; secundo, on est venu le tuer. Il l’a tout de suite compris. Il disposait d’une arme hautement performante, mais au lieu de s’en servir pour se protéger, il m’appelle au téléphone. Ses meurtriers entrent et l’étranglent sans qu’il ait utilisé le flingue. Tu trouves ça logique, toi ?

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3

Quel bonheur de pouvoir écrire sans vergogne des trucs comme ça. Tu te rends compte que des gens comme Michel Tournier, Jean d’Ormesson, Michel Druon, bien d’autres, ne pourront jamais se le permettre ?

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4

Achtung ! Si d’autres mecs s’appellent Casimir Lemercier, qu’ils viennent pas me faire chier en m’intentant un procès en je ne sais quoi. Je ne les connais pas et souhaite ne jamais les connaître ! Compris ?