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Plus que l’appât du gain, c’est le ton du Débris qui l’a conquis. J’ai encore jamais entendu parler le bon Dieu et j’espère bien que ça m’arrivera un jour, mais je suis convaincu qu’Il doit avoir la voix de Pinuche, l’Extrême.

Le Requin a souri avec son trou au milieu de la face :

— O.K. ! Old Man !

Il a enfouillé sa soudure et on est partis en queue leu leu dans « l’Enfer vert ».

* * *

Chez M. Condor-miro, c’était pas le Royal Monceau, mais une hutte plutôt austère, avec des grabats, une cheminée de fortune, des bidons vides servant de casseroles et puis je crois bien que voilà tout.

Sur le pas de la gentilhommière, deux femmes attendaient le retour du maître : Chandelle-soufflée, sa vieille tante centenaire, et Cul-démoli, sa femme légitime, ainsi nommée depuis qu’un silure vorace lui avait bourré le cul (au sens malpropre du terme) lors d’une baignade mal inspirée.

Ces dames étaient moches comme dans des cauchemars consécutifs à une visite de l’exposition Jérôme Bosch ou à une indigestion de morue frite recouverte de parmesan fondu[22].

Condor-miro a parlé. Elle se sont levées et nous ont roulé des pelles à gâteau de force 5 sur l’échelle des pompiers de la caserne Champerret. Comme on se trouvait en rade de bouffement, on n’a pas dégueulé, mais ça nous a néanmoins tarabusté les reliquats.

Enfin, nous avons pénétré dans la case de l’oncle Tom Awack, et j’ai eu la presque certitude, en découvrant Elsa, que le ciel m’avait à la chouette.

Quelle trajectoire insensée ! Quelle formidable obstination ! Ah ! sois un peu fier de toi, modeste San-Antonio ! Toujours si effacé et si rarement à l’honneur !

Oui, elle est là, la terroriste germaine. Piteux état, je déclare : une tuméfaction générale, les chairs bleuies ou carrément ensanglantées, les cheveux arrachés sur tout un côté de la tête, le nez gros comme la plus grosse truffe de mon ami Lasserre et complètement noir, les rétines sanglantes[23], les membres visiblement mal rafistolés par le pauvre Condor qui, non seulement est indien, mais, de plus, miraud comme deux taupes.

J’ai dit à mes compagnons de m’attendre à l’extérieur (en fait, c’est la présence de Marie-Laure que je redoute : elle est journaliste, or je vais peut-être apprendre des choses d’une importance exceptionnelle) et je viens m’asseoir en tailleur au bord de sa paillasse.

Je commence sur le mode mineur :

— Comment vous sentez-vous, Elsa ? No réponse. Aucune réaction.

Je n’ose la toucher car elle est brisée ou à vif des pieds à la tête. Bordel à fesses ! Je l’ai enfin retrouvée, la salope ! Elle est là, contre moi. Il faut qu’elle me livre ses secrets ! J’ai un book à terminer, moi ! N’ai pas parcouru cette distance, encouru ces dangers, juste pour la regarder dans son rôle passif de « À chaque aube je meurs » !

— Elsa, coassé-je, tant j’ai de sanglots désespérés coincés entre la luette et le voile du palais, Elsa, je viens vous parler de Hans ! Vous vous rappelez Hans Scheunburger, votre compagnon ?

Toujours le silence et l’inertie. Et voilà que je me mets à me botter moralement le cul. Je lui parle en français à cette femme presque totalement inconsciente. Quand on est dans son état, si votre cerveau peut encore capter des mots, ceux-ci doivent être prononcés dans votre langue originelle, non ? Je recommence à jacter, mais dans celle de Goethe :

— Frau Elsa

Et là, crois-moi ou cours te faire sodomiser par un cheval de la bourre, il y a une sorte de réaction dans la région des prunelles. Me fais-je une idée ?

— Je viens vous parler de ce cher Hans, répété-je. Hans Scheunburger. Hans ! Hans !

Une paupière se soulève, puis deux.

— Vous m’entendez ? Si oui, refermez les yeux.

Elle referme les yeux. Ô Seigneur, que d’infinie reconnaissance ! Vous les aurez vos cinquante Pater ! Et même j’irai à Lourdes à pince. Et une fois arrivé là-bas, je m’occuperai des grands malades : les plongerai dans l’eau miraculeuse, les laverai, leur lécherai les doigts de pieds, l’oignon même si ça peut les soulager.

— Elsa, vous vous rappelez Paris ?

Je tiens ma dextre sur son front relativement intact, comme pour capter les pensées qui peuvent lui venir et même, suprême prouesse mentale, celles qu’elle a eues « avant » l’accident.

Ça m’arrive d’entrer en transe, Hermance, tu le sais ? M’arrive de vadrouiller dans une espèce de quatrième dimension, à la recherche de vérités qui, quand elles furent, me passèrent sous le nez.

Je « reconstitue » par un simple effort de concentration, ce que j’ignore. Je m’exprime encore en boche moderne, et en style télégraphique, ce qui m’arrange :

— Hans et vous, agents internationaux, travailliez pour les Arbis. Récemment, vous réussissez un coup super-magistral : vous vous emparez d’un plan d’intervention imminente contre Israël. Malheureusement (pour vous), il y a eu un grain de sable quelque part et vos copains arabes se sont lancés à vos trousses afin de récupérer le précieux document. Vous vous dépêchez alors d’entrer en contact avec le gouvernement israélien pour négocier avec lui la vente de ce document capital. Mais les Juifs ne sont pas des enfants de chœur. Informés de l’existence d’un tel plan, ils comptent l’obtenir sans tractations financières, leur service de renseignements étant un des premiers du monde. Si bien que vous voilà, Hans et vous avec une double armada aux trousses. Je m’interromps, croyant percevoir un mot.

Il s’agit d’une seule syllabe qu’elle a exhalée dans un soupir : « Hans ». Cela peut passer pour une plainte, un gémissement inconscient.

Je poursuis mon auto-récit, ce résumé de l’affaire que j’invente au fil de mon imagination, m’appuyant sur la sagacité de mon sub et les infos dont je dispose ; ainsi l’araignée se déplace-t-elle sur le fil qu’elle sécrète.

— À Paris, vous meniez une autre affaire, plus classique. Avec la complicité d’Antonin Pétsek vous vous étiez approprié le terrible fusil à ondes du professeur Raspek qui venait d’en augmenter encore l’efficacité. Étant l’ami intime du physicien, ce vol ne fut pas difficile au journaliste tchèque, seulement il convenait d’éliminer le savant avant qu’il n’ait découvert le forfait, sinon les doutes se seraient aussitôt portés sur Pétsek. Qu’à cela ne tienne : le trio organise le guet-apens chez Marius et Jeanette où le prix Nobel, gourmand de fruits de mer comme tous les continentaux, doit dîner. On choisit pour mirador l’appartement du colonel Casimir Lemercier, on l’investit et, pour supprimer un témoin fâcheux, on décide de le noyer dans sa baignoire afin de donner à croire qu’il a eu un malaise cardiaque.

« À cet instant, on sonne : c’est la vieille gardienne de l’immeuble qu’on dénommait “concierge” naguère, avant de lui donner un jour le titre mérité de “souveraine d’immeuble”. Comme ce sont des étrangers qui l’accueillent (et la cueillent), mamie Cerbère se trouble, prend peur, veut battre en retraite. Deux bonnes tartes dans la gueule et elle s’affale : des hommes sont en bas dans la rue qui ont prié la vioque de visiter chaque appartement pour voir dans lequel se tenait un trio composé de deux hommes et une femme. Vous avez alors pigé que c’était scié pour vous, Elsa, et lui avez demandé comment sortir de l’immeuble sans repasser par le porche. Elle vous a indiqué une petite porte située dans les combles, et qui communique avec une terrasse. En remerciement, vous la tuez et la cachez dans le lit. »

Je me penche sur la blessée : elle ne m’entend plus. Elle est dans une inconscience comateuse qui ne me dit qui vaille. D’ailleurs qu’est-ce qui vaut d’être dit ?

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22

Je sais de quoi je parle.

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23

Il est préférable d’avoir des rétines sanglantes plutôt qu’un vit sans gland.