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Un jour, Pierre appelle Madeleine pour lui demander de déjeuner avec lui. Il a une mauvaise nouvelle concernant son entreprise à lui communiquer.

Madeleine arrive au Train bleu avec quinze minutes d'avance. Pierre est déjà là. Il lit le journal. Madeleine a l'impression de revoir Pierre quand il était étudiant et qu'il lui donnait rendez-vous dans des cafés enfumés[77]. Mais, cette fois-ci, Pierre a l'air sombre[78]. Il commande deux coupes de champagne, puis commence à lui expliquer la raison de ce rendez-vous imprévu[79]. Il lui raconte que les affaires vont mal, qu'il a perdu beaucoup d'argent. Il ne lui en a pas parlé plus tôt, pour ne pas l'inquiéter. Maintenant il n'en a pas le choix. Voyant sa femme le regarder avec de grands yeux, il lui annonce pour la rassurer qu'il va vendre l'entreprise mais précise que l'argent qu'il obtiendra leur permettra à peine de mener une existence simple dans une ville de province. Il a contacté un oncle qui possède une maison à la campagne. Ce dernier la leur prêtera volontiers à condition qu'il puisse y aller avec sa famille une ou deux semaines par an.

Madeleine, heureuse à l'idée qu'elle pourra passer tout son temps avec Pierre, prépare avec courage le déménagement. Elle se sépare sans difficulté des meubles qu'elle a reçus de sa grand-mère. Elle a appris que la maison qu'ils habiteront est parfaitement équipée.

Une fois arrivée, elle accepte avec simplicité sa nouvelle vie en province. Elle se passionne même pour le grand jardin un peu sauvage. Elle organise un petit potager[80]. Cela permet à Pierre de découvrir la vraie saveur[81] des légumes. Finalement, il aime, lui aussi, cette existence à la campagne. Ce mode de vie tranquille convient parfaitement à son tempérament calme.

Pendant près d'une année, aucun événement ne trouble leur quotidien[82]. Un jour, toutefois, une lettre leur parvient. On leur demande de se rendre au plus vite à Paris, auprès de la mère de Pierre, qui est gravement malade. Les Dumont font leurs valises aussitôt. Le soir même, ils sont à l'hôpital. Ils restent à l'hôtel pendant les quinze jours qu'il faut à Madame Dumont mère pour mourir. Le décès[83] les rend profondément tristes. Cependant ils ont l'impression d'avoir fait tout ce qu'ils ont pu pour rendre heureux les derniers jours de la mère de Pierre. Leur conscience est en paix. Madeleine a décoré régulièrement la chambre avec un bouquet de fleurs fraîches, tout en faisant attention que leur parfum soit assez léger pour ne pas déranger la pauvre Madame Dumont. Pierre, de son côté, a passé beaucoup de temps à écouter les souvenirs de sa mère.

Après tant d'émotions, ils sont soulagés[84] de retrouver leur maison à la campagne. La vie reprend son cours. Les jours passent paisiblement. Pierre et Madeleine s'entendent à merveille.

Quelque temps plus tard, alors que Pierre est à Paris pour régler[85] des affaires, Madeleine accueille sa sœur, Mireille. Un soir, au hasard d'une conversation, Mireille l'informe que leur cousine, Jeanne, travaille à l'hôpital où a été soignée Madame Dumont. Madeleine se rappelle la petite fille drôle et joyeuse que Jeanne était. Elle se souvient qu'elle l'a vue plus tard mariée à Georges, un sympathique employé de commerce au visage rougeaud[86]. Elle a trouvé le couple harmonieux. Pierre et elle les ont invités à dîner quelques fois. Ils aiment leur compagnie et se réjouissent toujours à la vue du bel appétit de Georges. Madeleine dit qu'ils n'ont malheureusement pas aperçu Jeanne : elle ne travaillait certainement pas au moment où ils se trouvaient auprès de sa belle-mère. Mireille lui répond qu'elle se trompe. Toutefois, elle ne commence son service qu'à dix-huit heures. C'est peut-être pour cela qu'ils ne l'ont pas croisée. Madeleine se souvient : à cette heure-ci, elle se reposait dans la chambre d'hôtel, avant de se préparer pour aller dîner. Mais Pierre, lui, restait avec sa mère jusqu'à dix-neuf heures. Il devait forcément l'avoir rencontrée. Pourtant, il ne lui en a pas parlé. Très troublée, Madeleine doit interrompre la discussion pour aller s'allonger. Elle commence à avoir un début de mal de tête. Mireille se souvient des terribles douleurs de sa sœur aînée. Elle lui apporte une carafe[87] d'eau fraîche ainsi qu'un verre dans lequel elle a versé un analgésique[88]. Elle sort ensuite lire sous un arbre du jardin.

Quand Pierre est de retour, Madeleine doit encore se montrer patiente jusqu'au départ de sa sœur pour aborder la question qui l'inquiète. Pierre lui avoue alors qu'il a bien rencontré Jeanne, mais qu'il a pensé qu'elle préférerait ne pas savoir qu'il la croisait chaque jour. Il voulait absolument éviter de créer un sentiment d'insécurité inutile chez elle. Cette attention a l'effet inverse[89]. Même s'il semble sincère, Madeleine lui en veut[90].

Elle pense en permanence à ce nouveau manque de franchise[91]. Elle essaie absolument de pardonner à Pierre, de comprendre sa conduite. Pourquoi continue-t-il à lui cacher des parties même infimes de son existence ? Elle sent que rien dans le monde de Pierre n'est certain. Peut-être cache-t-il encore mille autres choses ? Madeleine ne veut pas croire que Pierre est volontairement dissimulateur. Peut-être que c'est l'inconscient de Pierre qui le pousse à ne pas tout partager avec elle. Cela n'en reste pas moins triste, inquiétant et mauvais pour leur couple. On ne peut pas vivre avec un homme rempli d'une si grande part de mystère. Si Pierre était infidèle, cela lui ferait de la peine. Cependant, elle pourrait en discuter avec lui. Le mal serait défini. Il aurait des limites claires. Dans leur cas, le mal était partout comme les métastases[92] d'un cancer.

Madeleine se sent attristée par le comportement de Pierre. Elle s'éloigne de tout ce qui n'est pas lié aux questions qu'elle se pose. Elle commence par se désintéresser du jardin, puis à ne plus s'occuper de la maison et enfin à ne plus prendre soin d'elle-même. Elle finit par porter plusieurs jours, voire plusieurs semaines, la même robe. Pierre ne panique pas. Au contraire, il semble plus serein[93]. Toujours heureux de se rendre utile, il se met au travail et prépare de savoureux[94] repas pour sa femme. Il veut la guérir en lui donnant sa gentillesse et son attention. Il cuisine des plats qui, tout en étant délicieux, ne sont pas mauvais pour la santé. Il fait briller l'immense maison. En fait, plus la dépression[95] de Madeleine grandit, plus Pierre prend goût à soigner leur domicile. Alors qu'il était plutôt de nature morose[96], il commence à rayonner. La maison est devenue un endroit plus frais et lumineux que jamais. Elle sent bon les fleurs et le savon de Marseille. Madeleine ressemble de plus en plus à une petite souris perdue au milieu d'un château. Pierre, lui, a rajeuni[97] de dix ans. On dirait un adolescent. Leurs amis les reconnaissent à peine. Quand ils rendent visite aux Dumont, ils ont la terrible impression de voir Pierre en compagnie de sa vieille mère.

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77

Enfumé (adj.) : Où il y a beaucoup de fumée (de cigarette).

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78

Sombre (adj.) : Ici, grave, triste, mélancolique.

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79

Imprévu (adj.) : Non prévu, spontané, improvisé.

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80

Potager (n.m.) : Jardin où l'on fait pousser des légumes.

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81

Saveur (n.f.) : Goût.

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82

Quotidien (n.m.) : Vie de tous les jours.

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83

Décès (n.m.) : Mort.

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84

Soulagé (adj.) : Libéré d'un poids, d'un souci, apaisé.

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85

Régler (v.) : Mettre au point, trouver des solutions.

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86

Rougeaud (adj.) : Rouge.

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87

Carafe (n.f.) : Récipient pour l'eau ou le vin.

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88

Analgésique (n.m.) : Médicament contre la douleur.

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89

Inverse (adj.) : Contraire.

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90

En vouloir à quelqu'un (expr.) : Etre fâché avec quelqu'un.

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91

Franchise (n.f.) : Honnêteté, fait de dire la vérité.

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92

Métastase (n.f.) : Multiplication de cellules malades dans le cas d'un cancer.

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93

Serein (adj.) : Calme, confiant.

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94

Savoureux (adj.) : Délicieux, très bon.

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95

Dépression (n.f.) : Très grande tristesse pendant longtemps.

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96

Morose (adj.) : Pas très gai, d'humeur triste.

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97

Rajeunir (v.) : Devenir plus jeune, avoir l'air plus jeune.