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— Vous allez à la recherche d’un gros paquet de dollars ! annonça-t-il. Amusant, non ?

D’habitude, c’étaient plutôt des tueurs et des voyous qu’il traquait.

— Apparemment, le sultanat en regorge, remarqua Malko.

Jerry Mulligan eut un sourire absent.

— You bet ! Une vraie éponge à pétrole et à gaz naturel. Tout ça acheté d’avance par les Japonais. On a calculé que le Sultan encaisse environ 4 millions de dollars par heure… Ses petites économies s’élèveraient à trente milliards de dollars…

Malko rêvait. Avec quelques miettes de ce fabuleux trésor, il aurait pu remettre son château de Liezen entièrement à neuf… L’Américain regarda sa montre.

— OK, nous n’avons pas beaucoup de temps. Que je vous briefe. Sur place, il n’y a quasiment personne pour vous aider. A part l’ambassadeur, Walter Benson, qui nous aime bien.

C’était rare au State Department.

— Vous voulez enlever le Sultan? demanda Malko.

Mulligan se fendit d’un petit sourire.

— Non, fit-il. C’est un type ok. Il ne conçoit les communistes que cuits et en petits morceaux. Politiquement, il serait plutôt à la droite de Reagan. A ses yeux, George Bush, notre nouveau Président, est un dangereux gauchiste. Lui a résolu tous ses problèmes politiques.

L’opposition est exilée, la police entre les mains de son cousin, l’armée dans celles de son frère et il a toujours un téléphone rouge à portée de la main pour appeler les « Cousins[7] » ou nous, si des malfaisants arrivaient… Mais on ne voit pas très bien d’où…

— Où est la tache dans ce tableau idyllique ?

— Notre histoire a commencé il y a un an, continua Jerry Mulligan.

Le Secrétaire d’Etat George Shultz passant dans le coin a rendu visite au Sultan et l’a trouvé tout disposé à faire quelque chose pour la bonne cause. Shultz a aussitôt parlé des Contras[8], des problèmes avec le Congrès, etc. Avant même qu’il ait fini de parler, le Sultan avait déjà sorti son carnet de chèques.

— Il voulait racheter le Nicaragua aux Sandinistes ?

— Non, mais trois jours plus tard, il a remis au chef de station à Brunei un chèque de 5 millions de dollars.

Un beau geste…

— Vous avez acheté beaucoup de kalachs aux Contras avec ça ? interrogea Malko.

L’Américain émit un soupir découragé.

— Hélas non ! Vous avez entendu parler de l’Irangate ?…

Un ange, les ailes peintes aux couleurs iranoisraelo-américaines s’enfuit dans un envol gluant… Un des plus beaux scandales de l’administration Reagan. La manipulation de fonds secrets pour la « sale » guerre de la CIA…

— To make a long story short, continua le chef de station de Bangkok, l’argent de ce bon Sultan n’a pas été utilisé, bloqué dans un compte secret. Pour éviter des vagues, la Company a refait un chèque de 5 millions plus les intérêts et a chargé il y a quelque temps notre ambassadeur à Brunei de le remettre au Sultan en mains propres avec nos remerciements.

— Et alors, il l’a refusé ?

Mulligan secoua lentement la tête.

— Non, mais on a eu une très, très mauvaise surprise…

Un haut-parleur crachota une annonce où Malko saisit les mots Brunei, gate number 32. Son vol était annoncé.

Vous allez me raconter la suite en route, dit-il.

* * *

— Le Sultan Hassanal Bolkiah a été étonné, lança Jerry Mulligan, marchant dans le couloir à côté de Malko. C’était bien la première fois que quelqu’un lui rendait de l’argent. Bien que pour lui, cinq millions ce soit comme un dollar pour vous.

Mais il était touché… Il a quand même demandé gentiment si on avait fait un bon usage des autres vingt millions de dollars. N’en ayant jamais entendu parler, Walter Benson a promis de se renseigner. Notre chef de poste étant en vacances, il a câblé à Langley. Qui lui a répondu que le Sultan n’avait jamais donné que cinq millions de dollars. Et c’est là où ça a dérapé.

— C’est-à-dire ?

— Walter Benson n’est pas un diplomate de carrière. Il s’est retrouvé à ce poste pour avoir rendu de grands services au parti Républicain. Dans le civil il est avocat. Et il a réagi comme un avocat.

— Comment ça ?

— II a demandé une nouvelle audience au Sultan. Et lui a expliqué, la bouche en cœur, qu’il devait s’agir d’une erreur, car la Company n’avait jamais touché ces vingt millions de dollars. Aussi sec, le Sultan Bolkiah a convoqué son Premier aide de camp, celui qui fait les chèques et l’a interrogé. L’autre a montré des talons de chèque, trois pour la somme indiquée, à l’ordre d’une de nos infrastructures, la même que celle qui avait reçu les cinq millions de dollars…

« Le Premier aide de camp, un certain Al Mutadee Hadj Ali, a même précisé qu’il avait remis ces chèques à notre chef de station. Penaud, l’ambassadeur a battu en retraite, persuadé que nous lui jouions un tour de cochon. Il a expédié un câble furibond à Langley et, dès que le chef de station est rentré de vacances, l’a interrogé.

« Ce dernier, John Sanborn, est tombé des nues. Il a aussitôt demandé audience au Premier aide de camp qui a refusé de le recevoir mais a maintenu au téléphone lui avoir remis ces trois chèques…

Ils étaient arrivés à la porte 32. Malko commençait à s’intéresser à cette histoire de chèques baladeurs.

— Et ensuite ?

— La situation s’est aggravée, fit piteusement Jerry Mulligan. Notre ambassadeur a reçu une lettre officielle très sèche du Premier aide de camp, disant que le Sultan tenait absolument à savoir ce qu’était devenu cet argent et à le récupérer s’il n’avait pas été utilisé. Pour faire bon poids il a envoyé copie de la lettre à Shultz !

« L’horreur, quoi.

— Alors, vous les avez retrouvés, ces vingt million de dollars ?

— Hélas, non, soupira d’un ton lugubre l’Américain. Nous avons passé sans succès au peigne fin tous nos comptes éparpillés un peu partout. Sans succès.

— Et ce John Sanborn ? C’est tentant une somme pareille pour un fonctionnaire gagnant 3500 dollars par mois…

Jerry Mulligan eut un regard de commisération.

— Vous pensez bien qu’on a mis la pression sur lui. Qu’on a vérifié tout ce qu’on pouvait vérifier. Sans résultat. Pour éclaircir les choses, nous l’avons convoqué à Langley.

— Et qu’a-t-il dit ?

— Rien. Parce qu’il a disparu entre-temps.

Malko le fixa, interloqué

— Disparu ?

— Il est parti un matin de chez lui pour aller au bureau, au volant de sa Range-Rover, et on ne l’a jamais revu. La voiture a été retrouvée à Limbang dans l’Etat malais du Sarawak où il n’est pas entré officiellement…

— L’histoire me paraît assez claire, hélas, remarqua Malko avec un sourire amusé… Avec vingt millions de dollars on peut se refaire une vie agréable. Vous devriez rembourser le Sultan et oublier.

Jerry Mulligan émit un soupir agacé.

— Où voulez-vous qu’on prenne cet argent ? Le directeur général refuse de le ponctionner sur le budget normal et, depuis I’Irangate, nous n’avons presque plus de fonds secrets. Quant au State Department, il ne veut même pas en entendre parler. Shultz a piqué une colère effroyable en nous disant que la Company était responsable. Qu’on se démerde. On ne va quand même pas faire la quête… Et si le Congrès s’empare de cette histoire, ça va être terrible.

— Mais qu’est-ce que je vais faire, à Brunei ? protesta Malko.

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7

Les anglais.

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8

Combattant luttant contre le régime sandiniste du Nicaragua.