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— Ça fait une heure que je vous vois dans ce bassin, de ma fenêtre… Il y a eu un rayon de soleil et j’ai distingué une jambe, dans l’eau… J’ai pris des lorgnettes de théâtre que j’ai chez moi et j’ai fini par deviner votre visage hors de l’eau… Je n’ai rien dit… Quand ils ont été partis, je pensais que vous alliez sortir de là… Et puis non… J’ai vraiment cru que vous étiez mort !

Il se passe un drôle de déluge en moi, mes petites têtes de lecteurs chéris. Cela doit venir de mon état dépressif, de ma nouvelle condition d’homme traqué, toujours est-il que le regard pitoyable de la fille me tord l’âme comme une ménagère tord sa serpillière après avoir lavé le perron.

J’ai envie de chialer, ce qui ne m’aiderait pas à sortir de l’humidité…

Elle lit ma détresse dans mes carreaux, comme je lis sa pitié dans les siens.

— Vous ne pouvez pas rester là plus longtemps, dit-elle, vous allez prendre la mort !

Je balbutie :

— Je la connais… la mort…

— Sortez !

La situation commence à virer au ridicule. Vous me voyez, déguisé en cyprin sous mes nénuphars et discutant avec une jeune femme mélancolique assise sur le bord de mon bocal ? Mes collègues me verraient, ils se paieraient ma bouille. En France, le ridicule tue plus que tous les gros calibres sortis de la manufacture de Saint-Etienne.

La jeune femme, pourtant, ne semble pas avoir envie de se fendre la prune. Au contraire, mon cas l’intéresse et mon aspect aquatique ne lui paraît pas comique.

— Si je sors, objecté-je, on me verra… C’est un miracle que vous ayez été la seule à m’apercevoir…

— Pourtant, vous ne pouvez demeurer ici indéfiniment ?

— Evidemment.

Je cherche une solution. Bonté de sort, on doit bien en trouver une, puisque maintenant je dispose d’une assistance extérieure.

— Ne restez pas là, poursuis-je, vous allez attirer l’attention.

Elle se lève. Elle réfléchit un instant, indécise. Puis elle s’éloigne et je ne me sens pas fiérot du tout.

Pourvu qu’elle ne se ravise pas et n’aille pas solliciter de l’aide ailleurs ! Ceux qui jouent les Terre-Neuve aiment que ça se sache autour d’eux et tâchent de se procurer un public. Il est vrai que je suis un dangereux individu, aux yeux des gens.

Pour l’heure, on n’a pas envie de convoquer les actualités Movietone lorsqu’on me reçoit.

Un temps que je trouve affreusement long s’écoule. Enfin un bruit retentit sous le porche. C’est ELLE.

Je reconnais son pas glissant.

Elle s’arrête près du bassin et fait quelque chose que je ne peux définir. Une ombre s’étend entre mon regard et la maison. Une belle ombre orangée. Je pige : elle vient d’ouvrir un parasol et l’a incliné de manière à ce qu’il masque le bassin. Elle revient à moi.

— Ne bougez pas. Je vais aller voir depuis ma fenêtre si ça vous masque complètement.

— En admettant qu’il me dissimule, vous ne croyez pas qu’il va surprendre vos voisins ?

Elle secoue la tête.

— Non. Je viens souvent ici prendre un bain de soleil… J’ouvre mon parapluie à soleil…

Le terme me plaît.

— Attendez…

Re-départ de mon Saint-Bernard.

J’attends, l’âme fleurie d’espérance[8].

Et puis la re-voilà. Elle semble satisfaite. Son visage grave dégage une sorte de sourde allégresse.

— On ne voit rien du tout, depuis la maison, dit-elle. Vous pouvez sortir du bassin à condition de toujours rester accroupi. Je vous ai apporté un peignoir de bain. Déshabillez-vous, je reviens…

Elle va se claquer un tendon avec toutes ces allées et venues. Assez éberlué par l’aventure, je me mets à plat ventre contre la paroi du bassin. Je me penche hors de la margelle et, avec une peine infinie, me glisse sur le bitume de la cour.

Je reste inerte, littéralement épuisé par cet effort. Après les sales bestioles, ce sont les fourmis qui me boulottent.

Je rampe à l’abri du parasol et je commence à me déloquer. Lorsque mes fringues sont en tas, elles ressemblent à un paquet de tripes à la mode de Caen.

Je m’introduis dans le peignoir qui craque par toutes ses jointures, car il est deux fois trop petit pour mon académie.

Ensuite, je fouille mes poches pour centraliser les papiers qui sont en ma possession. Un peu trempés, les fafs ! La carte de l’Afrique du Nord pèse deux kilos ! Seul le chèque a été épargné à cause de l’enveloppe en bristol et du compartiment de cellophane de mon porte-cartes où je l’avais serré. Il n’est même pas humide.

Je tords mon mouchoir et fais un paquet de ces différents documents.

La fille est une fois de plus de retour. Elle tient une thermos et un flacon d’eau de Cologne.

Elle dévisse le bouchon de la bouteille thermos.

— Buvez ça…

Une mince fumée sort de l’orifice.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Du café chaud, pour vous remonter. J’ai mis du rhum dedans !

C’est stupide à dire, mais j’ai envie de chialer.

2

Nous restons là près d’une heure, dans cette cour d’immeuble, derrière un parasol.

La fille qui joue les secouristes au grand cœur n’est pas très grande. Elle est brune, avec des yeux clairs. Pas mal roulée du tout. Elle peut avoir vingt-cinq ans. Je vous le répète, elle n’est pas très jolie, mais elle plaît. Elle possède ce que les habitués des cynodromes appellent « du chien ».

Lorsque nous sommes allongés côte à côte sur une grande serviette éponge, je lui demande, à brûle-pourpoint :

— Pourquoi faites-vous ça ?

Elle me donne une réponse satisfaisante :

— Je ne sais pas.

Et je comprends qu’elle ne sache pas.

— La radio a parlé de votre assassinat, enchaîne-t-elle. La police pense qu’il s’agit d’une affaire d’espionnage.

Chapeau pour les Suisses ! A force de fabriquer des montres, ils sont arrivés à avoir de fameux rouages dans le caberlot.

— Ah ! elle pense ça, la police ?

— Oui. C’est vrai que vous êtes un espion ?

Le mot me choque.

— Inexact… J’appartiens aux Services Secrets français…

— Et c’est sur l’ordre de vos chefs que vous avez tué cet homme ?

— Permettez-moi de me retrancher derrière le secret professionnel.

Elle n’insiste pas.

— On ne va pas rester ici jusqu’à la nuit ? fais-je.

Elle secoue la tête.

— Non, mais tout à l’heure le tour de Suisse passe sur la route voisine et tout le monde va aller le voir. Vous pourrez monter jusque chez moi.

Comme femme de tête, on ne réussit pas mieux.

Je mets ma tête sur mon coude replié et je m’abîme dans une torpeur grise. J’oublie la présence de la romanesque petite Suissesse.

C’est elle qui, à un certain moment, me secoue.

— Venez… C’est le moment…

— Vous croyez ?

— Oui… J’habite au second. Prenez le parasol, fermez-le et tâchez de vous dissimuler le visage…

Elle ramasse mes fringues trempées qu’elle roule dans la serviette éponge.

Nous traversons la cour, roides comme des diplomates allant présenter leurs lettres de créance.

L’escalier… Je louche sur la grande porte avec la terreur de la voir s’ouvrir. Si quelqu’un entrait à cet instant, que penserait-il en voyant cet individu drapé dans un peignoir de bain ?

Mais personne ne se manifeste.

Nous escaladons les deux étages quatre à quatre. Elle ouvre sa porte d’une bourrade, car elle avait eu la judicieuse idée de ne pas la fermer. Je me jette littéralement dans son appartement.

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8

Pourquoi ne pas souligner au passage la joliesse de l'expression ? Ah ! San-Antonio mérite dix fois le Goncourt.

Musset.