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Maintenant, les deux magistrats s’obstruent les portugaises.

— Assez ! barrit le plus jeune.

L’autre sonne, des gardes s’annoncent et m’embarquent dans une cellote. Bon. Dans ma pommade, je ne me défends pas trop mal. J’ai idée que j’ai choisi la bath formule. Si je parviens à jouer les dingues assez longtemps, j’éviterai peut-être le procès !

3

Je passe une nuit calme. On me fiche la paix. La taule est presque confortable. Bien moins déprimante en tout cas que les prisons françaises. Les draps du lit sont propres. Et la gamelle de tortore est bonne.

Chose surprenante, on ne m’a pas encore fouillé, si bien que j’ai toujours le chèque sur moi. Allongé sur le pucier, les mains croisées derrière la nuque, je gamberge à âme perdue… Ma situation est tocasson en plein. Le Vieux ne peut rien pour me tirer de là, il m’a prévenu. C’est à moi de me déplâtrer. Dans ce putain de métier, c’est comme ça. On vous donne des ordres précis. On vous charge de commettre des actes illégaux, et puis si ça tourne au caca, tant pis pour vos arpions !

Je le savais en entrant au Service, que ça se passait ainsi. Et j’ai dit banco, because mon vieil optimisme me laissait croire que je me tirerais toujours des plus proches pièges à rats.

Seulement, les supermen, on ne les rencontre qu’au cinoche. Et ils ont la gueule de Gary Cooper ou d’Alain Delon. Dans la réalité du bon Dieu, ça se passe autrement. Il arrive que les vilains triomphent. Dans la vie, y a pas de censure pour obliger la morale à suivre son cours ! C’est au plus dém… brouillard. Malheur au vaincu, vous connaissez l’adage ? Les chats becquettent les souris. Les autos écrasent les chats. Les platanes interceptent les autos et tutti frutti, comme vit volontiers cette grosse gonfle de Bérurier…

Je me dis que je suis bien bas de plafond. Au lieu de ronger mon frein, ce qui est mauvais pour mes ratiches, je ferais mieux de regarder s’il n’existe pas un moyen de m’en sortir…

Je suis en Suisse. Ici les méthodes policières sont scientifiques et moins routinières qu’ailleurs. On a plus de considération pour un détenu qu’en France, par exemple.

La preuve, c’est que lorsque j’ai démarré dans mon personnage de dingue, les papes de la grande taule n’ont pas insisté. Ils vont me faire examiner par un psychiatre avant de poursuivre mon interrogatoire. Ils pensent que je les bidonne, naturellement, mais comme un léger doute subsiste, ils jouent le jeu, en types réglos.

Les gardiens doivent être prévenus que je suis un gnace pas normal, branché peut-être sur l’alternatif.

Si je leur faisais du cinéma d’amateur, il y a des chances pour qu’ils m’envoient à l’hosto… Et de là… De là tous les espoirs me seraient permis.

Aussitôt envisagé, aussitôt adopté.

Je prends un drap de mon lit. Je le tords en corde et me le noue au corgnolon. Et puis je roule à terre en poussant des cris d’orfèvre.

Je donne un très joli récital de cris inhumains. J’imite le goret qui s’est fait coincer la queue dans le tiroir d’une commode Empire. Ensuite le glapissement du chacal en chaleur. Je passe alors à une colère d’éléphant qui vient d’apprendre que sa femme le trompe. Le tout agrémenté de ruades… Je me secoue, je fous le matelas par terre. Je tire sur mon drap… Et ce jusqu’à ce que la garde radine au pas gymnastique.

On délourde, on s’exclame, on me maîtrise…

Ils sont deux gardiens. Un troisième se pointe, le képi de traviole. C’est un chef, il a de l’argent sur les manches.

— Emmenez-le à l’infirmerie, dit-il, je vais prévenir le directeur.

On me happe et on me transbahute à travers des couloirs jusqu’à un ascenseur. On descend, on descend, comme Kopa lorsqu’il a la balle au pied et personne devant lui.

Re-couloir… Un bocal fleurant l’éther… Nous arrivons.

On prévient le toubib, on me couche sur un lit… Je feins l’abattement intégral. Le praticien ne tarde pas. Il me triture les paupières, ausculte mon palpitant et hoche la trombine.

— La crise est finie, dit-il. Laissez-le là. Je vais le surveiller. S’il s’agite à nouveau nous lui ferons une piqûre pour le calmer…

Le gardien-chef, cette peau d’hareng déprimé, objecte :

— Vous savez qu’il est très dangereux, docteur ?

Le toubib acquiesce.

— Soyez sans inquiétude, on va lui entraver les jambes et je le ferai garder par deux infirmiers.

Je lui boufferais la rate en salade, garnie d’oignons émincés.

4

Tout le monde se casse, sauf deux infirmiers qui s’installent entre la porte et mon lit. Et ils ne semblent pas avoir sommeil, les frangins.

Ils parlent à mi-voix de mes exploits dont les journaux du soir débordent. Ma personnalité de tueur les déroute et les impressionne.

Tous deux sont jeunes et solidement charpentés. On ne les a pas nourris avec une pompe à vélo, ça se voit.

Ils doivent jongler avec les malades comme avec des soucoupes, ces deux cadors.

— Tu crois que c’est un fou ?

— Je ne sais pas, ça se pourrait… Pour brûler les seins d’une fille avec une cigarette et lui ouvrir la gorge.

C’est une révélation pour moi. Je pige alors pourquoi on a cru chez les pontes que j’avais peut-être des charançons dans l’abat-jour. Evidemment, le fait que l’on me croie capable de pareils sévices sur une femme ne peut qu’amener à une telle conclusion.

Je reste immobile. D’après ce que j’ai pu voir, l’hosto se trouve dans les mêmes bâtiments que la prison. Ça complique l’évacuation, mais je dois reconnaître que le personnel de nuit est peu nombreux, probable que les clients sont aussi rarissimes que dans un palace pendant la morte-saison.

Mes infirmiers cessent d’échanger des hypothèses sur mon état mental. Je les entends respirer de façon régulière. C’est bon signe…

Si je n’avais pas les chevilles attachées ensemble par une sangle, je risquerais un plongeon dans le tas et je leur administrerais un petit soporifique de ma composition, promis !

Lentement, lentement, avec le silence d’un reptile sur du velours, je me contracte pour décrire un demi-cercle et saisir la boucle de ma sangle. C’est fait… Les deux gars continuent de somnoler. Ils n’ont rien entravé… Je m’immobilise pour leur laisser croire que tout est O.K. Puis je fais jouer la sangle dans la boucle coulissante… Voilà du mou dans la corde à nœuds. Je tends mes flûtes pour élargir l’espace qui est né entre mes deux chevilles. Puis, avec des contorsions fantastiques, j’arrive à dégager un pied… Ensuite, c’est l’autre…

Je me remets d’aplomb sur le lit et je bigle les deux planteurs de thermomètres pour voir où ils en sont. L’un ouvre ses lampions et m’aperçoit. Il pousse son pote du coude.

— Dis, Hans, il est réveillé !

L’autre est immédiatement dans la réalité. Les deux mecs se mettent à m’examiner comme s’ils étaient deux éminents biologistes et que moi je sois un bouillon de culture[10].

Je rabaisse le drapeau et libère un soupir plaintif qui rendrait nostalgique une couvée de tigres. Il vaut mieux attendre… Je m’immobilise et fais mine de pioncer. Seulement cette alerte a éveillé les deux infirmiers. Ils se mettent à faire tout un cours sur le suppositoire à travers les générations.

L’un est partisan de l’enfoncer par le bout pointu, alléguant qu’il est conçu pour, l’autre est tenant d’une méthode plus révolutionnaire qui consiste à l’introduire par le gros bout. Il puise dans l’aérodynamisme les bases de sa théorie. Le ton monte. J’admets que le sujet est passionnant. Ces messieurs sont sur le point de faire un concours. Je voudrais voir ça. On prendrait des paris, ce serait exaltant. L’équipe de suppositoires A de Division Nationale rencontrant le C.U.S.S. (Club Universitaire du Suppositoire Suisse) dans un tournoi comptant pour la Coupe mondiale et qui serait disputé sur les bords du Pô, naturellement !

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10

L'art de San-Antonio, c'est de toujours trouver la comparaison qui fait mouche.

Fly-Tox.