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Je regrette intensément de ne pouvoir disposer d’un pétard afin d’intimider ces messieurs et de leur demander avec gestes à l’appui de m’ouvrir. Là, le pépin est mahousse. Si je rentre dans le poste, ils vont soit me tirer dessus, soit me maîtriser. De toute manière, l’alerte sera donnée, je serai fini. Je ne peux espérer avoir raison de quatre hommes armés ! Ça n’existe pas, même dans les aventures de Tintin !

Je boufferais ma cravate si j’en avais une. Que faire ? J’en suis là de ma perplexité lorsqu’un pas sonore se fait entendre dans le silence nocturne[11].

Je me tapis dans le renfoncement situé entre la grande porte et le poste de garde.

L’arrivant est un personnage massif, coiffé d’un chapeau taupé à bords roulés et qui, malgré la saison, porte un pardessus. Il frappe à la porte vitrée du poste de garde. Un gardien s’approche.

Il lance une phrase inaudible pour moi, sur un ton obséquieux, ce qui me fait penser que l’arrivant doit être une grosse légume de la taule, peut-être le dirlo ?

Puis l’homme en uniforme sort, tenant une clé immense à la pogne.

Il va à la lourde et l’ouvre… J’ai un frémissement de joie. Le gardien ouvre le panneau opposé à celui contre lequel je suis plaqué, si bien qu’il est masqué par le vantail. Le zig au lardeuss s’avance pour sortir. Au moment où il est engagé à l’extérieur, je bondis, le bouscule et franchis le porche. J’entends le bonhomme s’exclamer… Puis il y a des cris, seulement je suis déjà loin… Je fonce sur un boulevard bien éclairé. Personne en vue… J’ai toute la vélocité de l’univers dans mes guiboles. Un échassier ne me ferait pas la pige et Jazy se mettrait à chialer s’il essayait de me courser.

Je prends des rues, les plus obscures possibles… Je tourne à gauche, à droite, comme lorsqu’un homme fuit… J’ai le souci de compliquer ma piste. S’ils se mettent à ma poursuite avec des clébards, ce dont je doute, j’entends du moins leur donner du fil à retordre.

Me voici brusquement parvenu à l’angle de la rue principale de la ville. Quelques rares noctambules se hâtent vers leur domicile. Je reste un moment dans l’ombre pour reprendre mon souffle. J’ai dans le buffet un feu tumultueux qui pétille, qui m’embrase et mon cœur désordonné est dur comme un caillou. Il me fait un mal affreux… Enfin, ça se tasse.

Je traverse un carrefour désert… Je me reconnais parfaitement. Près d’ici il y a des arcades, puis la rue aux fontaines bariolées. Je me glisse à l’ombre des arcades… Que faire ? J’avise alors des bagnoles en station dans la rue. Ces véhicules passent la nuit dehors. Je devrais en piquer un, ce serait un abri provisoire pour la durée de la nuit et ça me permettrait de me déplacer sans attirer l’attention.

Je jette un petit coup de périscope alentour : nobody.

Je m’approche d’une citron. Puisque j’ai le choix, mieux vaut prendre une bagnole dont j’ai l’habitude.

Les portes en sont verrouillées, mais je ne me formalise pas pour autant.

Le temps pour un bègue de compter jusqu’à trois et la chétive serrure me dit : « Entrez, vous êtes chez vous. »

Je prends place au volant. Pas de complications, pas d’antivol… Du gâteau ! Le moteur ronfle bien, son bruit familier me réconforte. Je me suis sorti du gros pétrin… Maintenant, il s’agit de prévenir Mathias… Je roule au hasard des rues vides et j’avise un brave monsieur en robe de chambre qui fait lansquiner son cador.

Le gaille ressemble à un O’Cedar et le monsieur à un plumeau sans plumes. Il est chauve comme une enclume. Je stoppe à sa hauteur et prenant bien soin de ne pas mettre la frite à la portière, je m’informe :

— La Tessinstrasse, s’il vous plaît ?

Il s’approche. Le toutou en profite pour gauler contre ma portière. Le mai-maître se fâche après lui. Je lui assure qu’il n’y a pas de mal ! Tu parles, ce que j’en ai à fiche que les chiens de Berne urinent sur cette tire ! On peut amener les éléphants du parc zoologique (s’il y en a un), ça m’indiffère autant que la couleur du cheval blanc d’Henri IV.

Le bonhomme me donne les indications sollicitées de sa haute bienveillance. Je l’en remercie. Grâce à ses précisions, dix minutes plus tard, je sonne devant la pension Wiesler.

C’est une maison ancienne, avec du fromage autour des fenêtres, et la patine du temps sur ses pierres de taille.

Je tabasse à l’huis. La façade est obscure, c’est un peu téméraire ce que je fais, mais la saison de la prudence est révolue. Je livre pour l’instant un combat contre la montre et je ne dois plus penser à moi. L’essentiel est que j’alerte Mathias. Il faut qu’il se barre à toute vibure cette nuit, s’il est encore vivant, ce qui n’est pas certain !

On ne répond pas à mon tabassage. Je me file en renaud et j’y vais du grand rodéo. De quoi ameuter le quartier. Une lumière finit par poindre dans une vitre du rez-de-chaussée. Une ombre s’approche, un rideau se soulève, un visage de vieille dame à chignon se plaque contre la vitre, pareil à une tronche de poiscaille exotique.

Je souris à la personne. Elle entrouvre sa fenêtre.

— Que se passe-t-il ? demande-t-elle.

— Excusez-moi, vous êtes la logeuse ?

— Je suis mademoiselle Wiesler, parfaitement, et je…

— Pardonnez-moi de vous réveiller, mademoiselle, mais il s’agit d’un cas de force majeure. Il est indispensable que je parle à M. Mathias d’extrême urgence…

La vioque se radoucit. Elle ressemble à une caricature de Miss Anglish… En moins bien. Elle porte une chemise de nuit en zénana avec des fleurs et son chignon volumineux conviendrait parfaitement à un coucou pour y élire domicile.

— M. Mathias n’est pas rentré.

Une main de glace me caresse le dos.

— Pas rentré ?

— Non. C’est à quel sujet ?

— Un de ses parents est très malade !

— Mon Dieu ! Sa mère ?

— C’est ça…

La vieille est retournée. J’insiste.

— Vous croyez qu’il va tarder ?

— Je l’ignore… Ça n’est pas régulier…

Elle émet un ravissant petit cri de cigogne qui s’étrangle.

— Oh ! Attendez, je crois savoir où il se trouve !

— Non ?

— Si… Je l’ai entendu téléphoner, cet après-midi… Il a fixé un rendez-vous à onze heures à la Grande Cave…

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Vous ne connaissez pas Berne ?

— Non.

— C’est une grande brasserie souterraine avec des attractions…

— Oh, très bien !

— Vous ne pouvez pas vous tromper…

Elle m’affranchit sur la route à suivre.

— Vous dites, mademoiselle, qu’il avait rendez-vous à onze heures ?

— Si fait !

— Puis-je vous demander l’heure ?

— Minuit moins vingt…

Je cours à la bagnole. Avec un peu de vase, j’arriverai peut-être à temps. Ce rembour ne me dit rien qui vaille. Il est probable que les petits amis du réseau Mohari ont des projets en ce qui concerne l’avenir de Mathias…

J’espère que leur entrevue se sera prolongée un brin et que j’arriverai à temps. Je suis dingue, penserez-vous, de me rendre dans la plus grande brasserie de la ville alors que ma binette occupe la première page des baveux. Mais je n’ai pas le choix. Je me trouve devant la Grande Cave… L’entrée ressemble à une entrée de métro. Une affiche écrite à la main annonce en caractères tremblés et multicolores : Les Vierges du Rhin ! Orchestre tzigane !

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11

Il est évident qu'une telle image manque de vigueur. Pourtant, un romancier se doit parfois de sacrifier à la tradition. Cette tradition veut qu'un silence soit nocturne, un confrère éminent, un économiste distingué et la Belgique une vaillante petite nation.