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Je descends une volée de marches, ce qui est préférable à une volée de bois vert, et je suis stoppé dans ma descente par une charmante petite dame derrière un guicheton qui m’annonce qu’on doit douiller un prix d’entrée pour avoir droit aux Vierges du Rhin. Je m’exécute. Nouvelle volée d’escalier. La Grande Cave est un établissement vraiment curieux. Il figure un immense tonneau. La salle a la forme d’un tonneau, ainsi que la scène. Et les tables sont des tonneaux. Il y a une galerie au premier étage où se pressent quelques jeunes gens qui n’ont pas les moyens de consommer et des bourgeois cossus bouffent en bas ou fument des cigares longs comme des baguettes de chef d’orchestre.

Je jette un regard à la galerie du haut de l’escalier monumental. Je ne vois pas Mathias… Alors je descends et m’installe à une table près d’un pilier.

Les Vierges du Rhin font rage (et désespoir) sur la scène. Leur moyenne d’âge doit être de soixante-quatorze ans environ. La violoniste qui dirige l’orchestre a une tête qui lui permettrait de postuler à l’emploi de Madame Pipi dans des gogues aussi souterraines que la Grande Cave.

Elle joue comme si elle était dans une cour et son violon, suivant ses mouvements d’archet, lui décroche son râtelier que je m’attends à voir choir sur l’instrument d’une minute à l’autre.

Mais ça n’est pas la chose de la mélodie qui m’a amené laga. Je regarde dans la salle et, m’étant penché, j’ai l’indicible honneur d’apercevoir Mathias à une table. Il est de profil par rapport à moi et il se trouve en compagnie d’une fille qui me tourne le dos. Si j’en juge d’après leur attitude, ils ne sont pas en froid. Mon pote tient la main de sa bergère et la bécote goulûment. Décidément, j’ai eu tort de m’alarmer. Les gens du réseau Mohari sont plus fortiches et plus patients que je ne l’estimais. Ils laissent Mathias suivre son petit bonhomme de chemin parce qu’ils ont l’intention de se servir de lui, le moment venu.

Un serveur efféminé radine et me pose une question en suisse-allemand.

— Vous parlez français, mec ?

— Un peu, affirme l’évanescent, j’ai servi quatre ans à Tabarin !

Il me dit :

— Vous êtes de Paname, non ?

— Ça se voit ?

— Et ça s’entend…

Il me défrime…

— Dites donc…

— Hum !..

— Vous ne feriez pas du cinéma par hasard ?

— Non, pourquoi ?

— J’ai l’impression d’avoir vu votre photo quelque part…

Des perles de sueur irisent mon nez[12].

— Il s’agit d’une ressemblance. Tout le monde me dit que je donne de l’air à Cary Grant.

— Moi je ne trouve pas, affirme le tordu.

— Je suis plus près de Gabriello, à votre avis ?

— Je n’ai pas dit ça…

Je ne tiens pas à pousser les plaisanteries trop loin car ça m’embêterait qu’il aille chercher un canard du jour.

— Donnez-moi une choucroute et une bouteille de blanc…

— Duquel ?

— Du chouette !

— Bien, monsieur…

Il s’éloigne d’une allure sautillante. Je continue de surveiller Mathias. J’ai idée que le couple attend quelqu’un… Il est peut-être avec une gisquette qu’il a levée à Berne, et les autres tordus du réseau vont s’annoncer pour casser la cabane.

Si j’ai un conseil à me donner, c’est d’ouvrir l’œil, et, de préférence, le bon.

Je suis de toute manière interposé entre la sortie et Mathias. Je vais attendre, peut-être trouverai-je le moyen de l’alerter discrètement.

Le garçon qui fut parisien et qui est resté de la jaquette flottante, radine, triomphant, portant un immense plat d’argent sur lequel fume une monumentale choucroute. Son fumet me titille les glandes. J’ai une faim d’ogre…

5

Sans me forcer, je liquide la charretée de choucroute, les saucisses fumées, le lard, le jambon, les patates. La boutanche de blanquet y passe. Quand je repousse mon assiette, je me sens énorme comme les Peter Sisters réunies.

Mathias attend toujours une arrivée problématique, en mordillant le bout des doigts de sa compagne. Ce sacré Mathias a toujours commencé par culbuter une mousmé lorsqu’il arrive quelque part. A part moi, je ne connais pas de zig plus porté que lui sur le zizipanpan… Je ne peux m’empêcher de rigoler en le voyant se livrer aux cuculteries en vigueur (si je puis dire) chez les amoureux. Ce sont de ces mièvreries que tout le monde fait avec fougue lorsqu’elles viennent en situation, mais qui vous donnent envie de vous taper le derrière sur une borne kilométrique lorsque vous les voyez faire par les autres.

Ayant torpillé ma bouteille, je commande un alcool pour me doper un peu. Je commence à en avoir un sérieux coup dans la pipe. Si je me tire de cette aventure inouïe, je vous jure que j’irai prendre du repos sur la Côte, que ça plaise ou non au Vieux.

Mais je n’en suis pas encore là, il s’en faut !

Je me dis qu’après tout, je peux fort bien me rapprocher de leur table. Si Mathias me voit, il viendra à moi, soit directement s’il le juge possible, soit de façon détournée. C’est un garçon énergique et volontaire qui appartient depuis assez peu de temps aux Services, mais qui a toujours déployé la plus louable initiative.

Je paie le garçon froufroutant et je m’avance en direction du couple. Je n’en suis plus qu’à trois mètres. Mathias dépose un baiser furtif dans le cou de sa compagne. Ce faisant, il m’aperçoit et son regard s’agrandit. Je lui fais signe de ne pas tiquer et je bigle dans la glace qui se trouve contre le mur d’en face des deux amoureux.

Je prends une sérieuse secouée dans la moelle épinière ! Oh pardon, madame Adrien ! La fille qu’il est en train de bécoter n’est autre que mon empoisonneuse, la toute charmante Gretta !

Pour une surprise, c’en est une. Et de taille ! Je fais volte-face et fonce dans l’entrée des toilettes. J’attends un moment, pensant bien que Mathias va m’y rejoindre.

Effectivement, il s’annonce, le visage tendu. Il fait comme s’il ne me connaissait pas et s’assure que les gogues sont inoccupés. Puis il tire un peigne de sa poche et vient coiffer sa chevelure noire devant le lavabo.

Sans me regarder, il murmure :

— Eh bien, que se passe-t-il ?

— On projette de me faire jouer Buffalo Bill à Hollywood et je m’entraîne…

— Tu parles d’une histoire ! Que s’est-il passé ?

— Tu avais signalé au Vieux l’arrivée de Vlefta qui, paraît-il, te connaissait ?

— Oui.

— Le Vieux m’a chargé de le mettre en l’air…

— J’ai vu…

— Seulement la fille qui est avec toi a bien failli tout me faire rater !

Il bondit :

— Gretta ?

— Oui… Elle m’a vampé près de la fosse aux ours, m’a entraîné dans une maison solitaire et glacée et m’a farci de poison… Si je n’avais pas eu un estomac en fonte renforcée, tu pouvais me commander une couronne de roses !

Cette révélation le sidère.

— Tu es certain de ne pas faire erreur ?

— Espère un peu, fiston, j’ai l’œil exercé ! Ma rétine, c’est le plus complet des Kodak… Quand j’ai vu quelqu’un, et surtout… quelqu’une, une fois, je ne l’oublie plus…

Comme il en oublie de se râteler la tignasse, j’insiste :

— C’est ton égérie ?

— Ben…

— Alors, change de crémière, sinon de crémerie ! Celle-ci est aussi dangereuse qu’un paquet de plastic dans ton slip au moment où t’apprêtes à faire de l’équitation !

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12

Que de fraîcheur ! Comme ça pétille !