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Je plonge sur lui et le saisis par les jambes ; il perd l’équilibre. Il se retient après le bouchon chromé du radiateur qui représente une figure de proue ailée. Lui en fait une chouette aussi.

Je bondis sur mes pieds. Il me file un coup de tatane à suivre qui me meurtrit la cuisse gauche. La douleur me rend dingue. Je biche le mec par le revers. Il a droit à son coup de boule dans le râtelier. Son nez pisse le sang… Je lui file une série. C’est un vrai chiffon que ce type. Il se sent peut-être malin quand il s’attaque à une femme seule, mais contre un homme déterminé, il est tout ce qu’il y a de navrant.

Je lui bille dessus jusqu’à ce qu’il ait son compte. C’est une chiffe molle que je charge dans l’auto. Je prends le pétard qui gît à terre et je laisse le macchab avec la mitraillette vide.

La police se débarbouillera avec ça. Elle se perdra en conjectures, c’est recta. La police se perd toujours en conjectures.

J’hésite un peu sur la façon de procéder. Puis, saisi par le vertige de l’action, je décide de ramener ma fraise à Berne. C’est de la pure démence, d’accord. Mais tant pis…

7

Au volant de la bagnole des truands, je fais demi-tour. Outre que « la mienne » est une auto volée, elle est en trop piteux état pour que je puisse espérer passer inaperçu en la pilotant. J’espère que son propriétaire possède une solide assurance. C’est tout ce que je peux lui souhaiter. Notez que l’assurance est également une spécialité de la nation helvète.

Le second tueur dort pour un moment. J’ai le soufflant dans ma poche et je me sens plus fort.

Ce qu’il me faudrait, maintenant, ce serait un petit endroit tranquille où je pourrais avoir une conversation efficace avec le deuxième type. Mais où le trouver, cet endroit, dites-moi un peu ?

Je vois une silhouette en bordure de la route, dans la lumière de mes phares. J’identifie le pauvre garçon de téléphone de la Grande Cave. Il fait du stop, ce chéri, dans l’espoir de trouver une âme compatissante qui le ramènera dans sa thébaïde où il pourra se remettre de ses émotions.

Je souris. Cette âme, ça va être moi. Le voilà, le coin tranquille tant désiré, ou, du moins, l’homme capable de m’y conduire.

Je m’arrête à la hauteur de mon poltron. Il arrive à la portière pour m’expliquer sa petite histoire, me reconnaît et se demande si on est mercredi ou si tous les corps plongés dans un liquide reçoivent réellement une poussée de bas en haut !

J’ouvre la portière.

— Oui, c’est moi. Le retour de Zorro, deuxième époque. Grimpe, mon lapin, et ne fais pas cette tête-là, ça me perturbe le grand zygomatique.

Il secoue la tête.

— Heu non… je…

— Grimpe, et rapidos !

J’ai élevé ma voix d’un pauvre petit ton de rien du tout. Ça suffit à l’intimider. Il s’installe. En montant, il avise la carcasse de l’autre truffe, affalée derrière.

— Mais ! Mais…

— Remets-toi, mon grand… Tu vois, ces messieurs ont voulu faire les méchants, mais c’est moi qui ai gagné…

Il se fait tout petit et ne souffle plus mot. Je roule lentement en direction de Berne. Une voiture de police nous croise. Elle met tout ce que ça peut. Il s’en est fallu de peu que je me fasse griffer par les perdreaux. Je respire.

— Où habites-tu ? demandé-je à mon voisin. Il me sort un nom de rue en strasse qui me paraît aussi compliqué à prononcer qu’une récitation en japonais.

— Comment fais-tu pour retenir ton adresse, je me le demande… Tu vis seul ?

— Oui.

— Pas marié ?

— Non.

— Et ta bonne vieille maman ?

— Morte !

Il a bien l’air d’un célibataire.

— C’est quoi, un appartement ou une maison seule ?

— Un appartement.

— Quel étage ?

— Par terre…

L’expression me fait gondoler.

— O.K. Tu vas nous héberger pour la noye…

C’est là, je pense, le point culminant de sa stupeur.

— Chez moi !

— Oui… On sera discret, c’est promis…

Il rechigne. S’il avait du cran, il me balancerait une mandale. Pour parer à un éventuel désespoir de faible, je tire le revolver de ma poche.

— Mords un peu ce que j’ai trouvé dans une surprise ! C’est bath, non ? Fabrication suédoise ! Ce sont les rois de l’armement. Tu comprends, ils s’en servent pas, ils peuvent se permettre de fignoler…

Pour lui, ça finira par une jaunisse, c’est officiel. Une émotion pareille compte dans la vie d’un homme qui passe son temps à noircir du papier près des goguenots…

— Par où passé-je, baron ?

Il marque un temps.

Je lui administre une aimable bourrade.

— Perds pas ton temps à échafauder un scénario, tu n’en trouveras pas. Y a des gars dont c’est le métier, tu piges ? Par exemple moi. L’amateurisme sera toujours tenu en échec, tu comprends ?

Il me montre une rue vide qui baigne dans une lumière confuse.

— Droite !

J’obéis. Il est un pilote rêvé. Rien dans le citron, rien dans le calbar, tout dans le traczir !

Je m’arrête dans une rue aimable qui descend en pente raide jusqu’à la rivière.

— C’est là, fait Cléopâtre, en désignant un petit immeuble à deux étages.

— Bon… Ouvre ta porte et ne fais pas le malin, ça pourrait m’énerver, et quand je suis énervé on est obligé de mobiliser trois classes pour me calmer… Je te fournirai des témoignages éloquents.

Je mets le feu de position de la voiture et j’extrais Pédiglas-Ponpon de la banquette arrière où il continue à rêver qu’il dévale sur le crâne les escaliers du Sacré-Cœur.

Le standardiste, plus docile qu’un troupeau de moutons, m’attend sur le seuil de son immeuble, sa clé à la main.

8

L’appartement est modeste, conventionnel, propre et vieillot[13]. Une petite entrée, une cuisine, une salle à manger, une chambre… Je ferme la porte à clé et je glisse la chiave dans ma poche.

Mon fardeau commence à remuer un peu. Je vais le porter sur le lit et je m’occupe du standardiste.

Au passage, je biche les cordelières des rideaux, ainsi fait-on dans tous les films et la plupart des romans policiers ; je pousse le grand Lajoie jusqu’à sa cuisine.

— Qu’allez-vous faire ? s’inquiète-t-il.

— Pas grand-chose, mon lapin. Seulement t’attacher ici pour que tu nous fiches la paix.

— Mais je ne vous dérangerai pas…

— Ne râle pas, ce sera du kif.

J’attache ses poignets solidement, au point qu’ils deviennent tout blancs. Puis j’entrave pareillement ses chevilles sur la table et je juche mon hôte sur l’édifice.

— Je te fais remarquer que les pieds de la chaise sont à moins d’un millimètre du bord de la table. Si tu remues la moindre des choses, tu es bonnard pour embrasser le carrelage. Vu ?

Il a tellement les grelots qu’il n’ose pas dire oui. Je reviens dans la chambre et je me trouve nez à nez avec le croquant qui a repris ses esprits. Il se met en garde, mais c’est de la plaisanterie pour jeune fille encéphalique et une prune opportune met fin à sa carrière de poids plume. Il repart sur le pageot.

Profitant de ce qu’il cherche à se rappeler qui il est, je m’empare de la seconde cordelière du rideau et je procède avec lui comme avec le locataire naïf.

Il ne me reste plus qu’à espérer un prompt rétablissement du personnage. En attendant, je le fouille. Les papiers trouvés sur lui m’apprennent qu’il s’appelle Hussin et qu’il est syrien. Il habite en Italie et son passeport indique qu’il est en Suisse depuis quatre jours. C’est peu… Enfin, comme chante Brassens, tout le monde ne peut pas s’appeler Durand, n’est-ce pas ?

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13

Excusez-moi une minute, il faut que j'aille m'acheter une boîte d'épithètes au tabac d'en bas.