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J’avise une bouteille de Cointreau sur une table. Je la débouche et lui carre le goulot dans le bec. L’alcool le ravigote, il bat des cils. Puis il m’aperçoit. Son visage verdâtre tourne au gris et ses yeux noirs brillent comme deux gemmes.

Il paraît n’importe quoi, sauf content (comme dit un grand écrivain de mes amis).

Je lui souris.

— Alors, Hussin, qu’est-ce que tu penses de mon numéro ?

Il ne bronche pas. Son regard intense me fait mal aux seins. Je lui administre une retournée qui lui emplit les yeux de larmes.

— Salaud ! grince-t-il.

Je réitère.

— On va commencer par le début. D’abord la politesse. Compris ?

Il semble indécis.

— Tu dois comprendre que ça ne te servira à rien de crâner. J’ai le dessus et on ne peut rien contre la force. Bon, nous y sommes ?

Il a un petit mouvement imperceptible.

Je prends cela pour un acquiescement.

— Je sais que tu appartiens au réseau Mohari et j’ai pour mission de te descendre comme j’ai descendu Vlefta, fais-je, l’air sûr de moi.

Il paraît surpris et, à son geste instinctif, je pige que je viens de bonnir une couennerie qui le fait tiquer.

— Pas d’accord ? demandé-je en lui mettant un chic bourre-pif.

Il saigne, ça l’ennuie, cet homme.

— Je ne suis pas d’un réseau, fait-il. Je suis tout juste l’ami de Gretta !

Mauvais point pour moi. Quand on veut en installer pour un mec, il faut au moins lui déballer des vérités, car s’il vous prend en flagrant délit d’erreur, vous risquez fortement de l’avoir dans le baba.

Je me repêche à l’oral :

— C’est pour te flatter, hé, crâne d’œuf ! Ça se voit que tu fais pas partie d’une organisation. Faut un minimum d’intelligence pour cela.

Il rouscaille, le tordu épineux :

— Dites donc !

Franchement, il a une bouille de salopard. Je sais bien qu’il ne faut pas juger les gens sur la mine (contrairement aux crayons), mais vous ne m’ôterez pas de l’idée que lorsqu’on trimbale une terrine semblable sur une paire d’épaules, on atteint à une espèce de perfection dans le pittoresque.

Je pense que ce résidu de poubelle a buté la petite Françoise et ça me fait fumaga les naseaux. Mes nerfs craquent aux jointures. Je me mets à lui biller dessus à bras raccourcis.

Sous mes poings, son visage se modifie peu à peu… Je lui fais de jolies lunettes de soleil très artistiques, puis je lui confectionne une grosse tête, et enfin j’achève de détériorer son nez.

Il va être coquet, le sagouin, demain matin. Son tour de bol sera modifié, parole ! S’il a rancart avec sa petite amie, elle le prendra pour un autre et appellera la garde !

Je m’arrête, soûl de fatigue. Hussin chiale et gémit. Il a l’impression de s’être fait aimer par une locomotive. Ça lui a en tout cas donné des couleurs.

— Charogne, bégayé-je, tu me crèves ! Maintenant, tu vas parler sans que je sois obligé de faire un geste parce que ce serait le dernier !

Et il jacte. Un lâche ne demande qu’à s’allonger. Il lui faut quelques torgnoles pour justifier à ses propres yeux sa faiblesse, et puis après ça roule tout seul.

— Je t’écoute, patate ! Crache ton arête ou je te défonce en plein ! D’abord, qui est Gretta ?

— L’ancienne femme de Claramoni…

Je fronce les sourcils.

Claramoni est l’ennemi publie numéro 1 italien. Ou plutôt était, car il s’est fait ratatiner l’an dernier par la police au cours d’un siège en règle…

— Et alors ?

— Gretta, après les ennuis de Claramoni (passez-moi les ennuis, princesse !) est venue en Suisse… Elle faisait les palaces… Et puis elle a rencontré un type, un Français, qui travaille dans l’espionnage et elle s’est mise avec lui !

Décidément, le gars Mathias, quand il joue les Casanova, il choisit un drôle de terrain d’action.

— Bon, alors ?

— Gretta m’a écrit de venir la rejoindre avec Mauffredi pour une grosse affaire. On est venus…

Et c’était quoi, la grosse affaire ?

Un type qui arrivait des Etats avec un gros chèque… On devait se l’annexer… Mauffredi est allé l’attendre à l’aéroport…

— Bon, je connais la suite. Alors, d’après toi, Gretta n’appartient pas au réseau Mohari ?

— Sûrement pas. Ça n’est pas son genre…

— C’est elle qui a reçu le coup de fil annonçant où je me trouvais ?

— Oui.

— Et c’est elle qui, tout à l’heure, vous avait donné l’ordre de liquider Mathias ?

Il semble stupéfait.

— Liquider Mathias ?

— Ben… Qu’est-ce que vous branliez, ton pote et toi, devant la Grande Cave, dis voir, trésor joli ?

— On vous attendait !

C’est moi qui commence à bouillonner du plaftard.

— S’il vous plaît, marquise ?

Il baisse la voix et les yeux dans un même effort.

— On vous attendait, oui !

— Pour…

— Vous avez vu !

— Qui vous avait donné l’ordre, Gretta ?

— Oui.

— Quand ?

— Deux minutes avant, lorsque nous sommes arrivés…

— Elle était seule ?

— Oui, son ami se trouvait aux toilettes !

Ainsi, la garce m’avait repéré avant que je ne parle à mon collègue !

Quelle maîtrise elle possède, cette pin-up ! Y a pas : c’est du grand art. Je comprends que mon pauvre Mathias se soit laissé emberlificoter par elle. C’est le genre de souris qui vous ferait marcher au plafond avec un seul regard !

Je me sens triste parce que j’ai la trouille qu’il soit arrivé un sale turbin à Mathias, au cours de la nuit. Il avait beau être prévenu, si elle a décidé de le descendre, c’est maintenant chose faite, aussi marle que soit Mathias.

Je commence à sentir la fatigue de ces heures mouvementées.

— C’est bon, dis-je à Hussin, ce sera tout…

Je sors le feu piqué à son honorable collègue.

Il gémit :

— Non, pitié !

D’un formide coup de crosse sur le plafonnier, je l’étale pour le compte. S’il n’a pas la coquille fracturée avec une aussi forte dose, c’est que sa mère l’a gavé de calcium pendant toute son enfance.

Je le balance sur la descente de lit. Je lui mets la table sur le dos pour l’empêcher de remuer et je vais jeter un coup d’œil à la cuisine. Le standardiste est toujours là, debout, bien droit sur sa chaise.

— Je m’excuse, lui dis-je, pour cette mauvaise farce, mais vraiment je ne peux faire autrement.

J’ouvre mon portefeuille et je prélève sur mon flouze un billet de cent francs suisses.

Je glisse le bifton dans sa poche.

— Tiens, petit père, ça te dédommagera un peu pour cette nuit pas ordinaire.

Il a une réaction merveilleuse.

— Merci, monsieur, balbutie-t-il.

Je lui souris.

— Je vais dormir un peu. N’en fais pas autant surtout parce que tu ferais un plongeon désagréable.

Et le gars San-Antonio va se zoner sur le lit du gars, tandis que sur la carpette, Hussin râle doucement.

Un fracas épouvantable me tire des bras de l’orfèvre. Je m’éveille. Il fait jour. Un râteau d’or ratisse le tapis de la chambre[14]. Près du lit, Hussin est out… Pas mort, mais n’en valant guère mieux. Je cavale à la cuisine. Ce qui était inévitable s’est produit. Après plusieurs heures de veille, l’escogriffe s’est assoupi et il a dégringolé de son perchoir. Il est écroulé contre la cuisinière à gaz avec, sur le sommet du bol, une aubergine de douze centimètres qui devient violacée… Un filet de bave coule de ses lèvres, il ressemble à un boxer que j’ai beaucoup aimé.

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14

San-Antonio aurait-il lu Colette ?

Montaigne.