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Laborieusement, je me mets debout. Je fais des embardées plutôt moches contre les murs. Mes cannes tremblotent.

Je gratte une seconde alouf. Ça me permet d’approcher de la porte… Je pousse l’huis d’un coup d’épaule, mais il ne bouge pas. Comme je n’aperçois aucune serrure, j’en conclus que la porte est fermaga de l’extérieur par un méchant verrou !

C’est la tuile ! On a raison d’une serrure avec de la persévérance et quelques notions, mais on ne peut rien contre un verrou lorsqu’on se trouve de l’autre côté !

Je suis très accablé. Selon toute vraisemblance, je suis bon pour claquer d’inanition dans cette cave. Car, plus je réfléchis, plus je me dis qu’on a sous-loué cette baraque dans une agence pour m’y conduire et m’y régler mon compte… Lorsqu’on me découvrira dans la cave, je serai sec comme une tranche de jambon de Bayonne et un tantinet bouffé des mites.

Je me perds, non en lamentations, ça n’est pas le genre du gars, mais en conjectures pour comprendre qui a ordonné mon décès anticipé. Est-ce le réseau Mohari ? En ce cas, il faudrait donc admettre que ces messieurs ont été mis au courant de ma mission.

Ça paraît extravagant parce que, seuls, le Vieux et moi savions ce que j’étais venu faire à Berne… S’agit-il d’une autre équipe de malfrats sur le point d’accomplir un coup d’à-l’œil et qui m’a reconnu à ma descente d’avion ? Possible, après tout ! J’ai des tas d’ennemis de par le vaste univers. Ces gnards auraient cru que je radinais pour leur souhaiter leur fête et ils auraient pris les devants ? Oui, ça doit être un truc de ce genre. En attendant, le mec San-A, l’homme qui remplace le sirop d’érable et le grille-toasts électrique, est dans un drôle de piège à rats !

Mon petit lutin portable, celui qui est en somme mon poisson-pilote, me dit de garder mon calme et de faire le tour de la situation. C’est un petit Jules de bon conseil… Je commence par inventorier mes vagues afin de réaliser mon patrimoine (de St Bernardin, dirait un étudiant en médecine). Par veine, la belle blonde désirable me croyant en plein coma a négligé de me faire les poches. J’ai sur moi tout mon matériel de camping, à savoir : mon soufflant, un chargeur de rechange, un stylo, une pochette d’allumettes, un couteau de poche, un trousseau de clés, un mouchoir… Plus mon larfeuille avec mes fafs et le carbure.

Je suis donc à la tête de multiples objets qui peuvent faire évoluer la situation en ma faveur… Si au moins un gnard avait la good idée de se la ramener pour me délivrer le permis d’inhumer ! Je lui sauterais sur le haricot et ça me donnerait la clé des champs sur fond d’azur ! Mais va-te-faire-lanlaire !

Un silence épais comme un compte rendu de la Chambre plane sur la maison. Je suis englouti au fond d’un puits…

Je m’approche de la lourde et je gratte plusieurs allumettes pour essayer de localiser l’endroit où se trouve le verrou. Je finis par le repérer. Je biche mon couteau et je me mets à racler le ciment à ce point de l’encadrement. Ça s’effrite un peu, mais je ne parviens qu’à creuser un petit trou entre deux pierres… Un trou ? Non ! Un alvéole plutôt.

Il suffit à mon projet. Je vide mon chargeur de rechange pour en récupérer les balles. Puis, avec mon couteau, j’écarte les douilles pour extraire les balles proprement dites.

Lorsque cette opération est terminée, je dispose de six petits récipients de cuivre bourrés de poudre. Je dévisse mon stylo, sors la cartouche d’encre et emplis le corps de l’objet avec les six doses de poudre. Je déchire une petite bande de toile à mon mouchoir. Je la tords et prends l’extrémité dans le stylo plein de poudre que je revisse. Ensuite j’introduis le stylo dans l’avéole que je viens de creuser. J’allume l’autre bout du mouchoir et je vois que ça s’enflamme illico. Je n’ai que le temps de me plaquer contre le mur, à gauche de la lourde. Il se fait une explosion carabinée. Une sale odeur de poudre et de brûlé se répand dans la cave. Je m’aventure devant la lourde et j’ai le plaisir de constater que l’explosion a lézardé un gros morceau du montant de ciment… Je pèse sur la porte. Elle reste close, pourtant je la sens frémir. Un nouveau coup d’épaule plus puissant et la porte remue nettement. Les boucles emprisonnant le verrou s’arrachent du mur sous ma poussée… Il n’est que de continuer cet exercice… Chaque fois, j’ai la satisfaction de sentir céder la porte… Au huitième coup de boutoir, le gars San-Antonio va valdinguer dans les décors, c’est-à-dire dans un couloir obscur.

Je me ramasse et gratte ma dernière allumette. Un escalier s’amorce, devant moi… J’y cours… En haut, une nouvelle porte s’interpose entre Bibi et la liberté. Elle est en bois et je n’ai pas la moindre difficulté à la raisonner. Me voici dans un hall carrelé. Je traverse le salon où la belle Gretta m’abreuva de si gente manière. Nos deux verres se trouvent côte à côte sur la table basse. Je flaire le mien, il dégage une odeur légèrement amère. Celui de Gretta, par contre, sent seulement le scotch… Je fais un tour du propriétaire qui confirme ma supposition : il s’agit d’une maison sous-louée. Dans les autres pièces, les meubles sont recouverts de housses et il n’existe qu’une boutanche de scotch dans la baraque… Elle est inhabitée depuis belle lurette !

Ma breloque annonce huit heures… Je sors… Dehors, le soleil tiède poudre le monde d’une lumière blonde[2]. Je respire à pleines éponges l’air suisse, le meilleur de tous. Cet air qui a fait la fortune de cette vaillante petite nation et que la Confédération Helvétique exporte aux quatre coins du monde.

Merci, mon Dieu, de m’avoir tiré de ce pétrin. Il y a des moments où je suis transporté par la ferveur.

Je chope un tramway propre comme un jouet, à l’arrêt suivant. Vous me croirez si vous voulez (et si vous ne voulez pas, je m’en balance) mais je suis en parfaite condition physique malgré l’absorption du poison. Ça m’a fait une sorte de tubage. J’ai presque faim !

Je descends dans le centre de la ville, près des fontaines bariolées. Et je pénètre dans un bureau de poste. Je demande Paris. Cinq minutes plus tard, j’ai le Vieux au bout du fil.

— Ici San-Antonio…

Il murmure.

— Le Voyageur est parti, faites-lui bon accueil…

— O.K…

J’ai envie de lui parler de mes avatars de la veille, mais j’y renonce parce que ça n’est pas le moment de m’étendre sur ces questions secondaires pour lui.

— Vous avez pris vos dispositions ?

— Oui. Ne vous tracassez pas !

— Alors à bientôt !

Il est optimiste, le Patron. Le dargeot dans son fauteuil pivotant, au troisième étage de la maison poulardin, il ne craint pas grand-chose et peut apprendre à nager dans l’euphorie !

— Espérons, grommelé-je en raccrochant.

Maintenant au turbin. Je vais écluser un bol de café noir avec une flopée de croissants. Ensuite c’est un marc de Bourgogne de la bonne année et, fouette cocher, je me lance dans les bégonias.

Mes deux tires louées sont toujours dans le parking où je les ai laissées.

Je prends la Porsche pour commencer et je la pilote jusqu’au carrefour repéré la veille et qui se situe à mi-chemin de l’aérodrome.

Je la range dans une voie perpendiculaire à la route qu’empruntera Vlefta… Je prends un tramway jusqu’en ville et je grimpe cette fois dans la Mercedes. Je commence à connaître par cœur le trajet jusqu’à l’aérogare. Il est dix heures moins vingt lorsque je parviens. Le zoziau de New York est annoncé pour dix plombes et quelques poussières. J’ai le temps de me farcir un double cognac au bar luxueux… La barmaid est jolie comme… (J’allais dire un cœur. Vous trouvez qu’un cœur est joli, vous ? A mon avis c’est répugnant. Ce qui prouve que les symboles pervertissent tout !)… Mettons qu’elle soit jolie comme un bouquet de printemps et n’en parlons plus. Je ne peux m’empêcher de la regarder, bien que mon penchant pour les bergères bien roulées soit moins vif depuis quelques heures. Elle a un sourire qui est la mort des boutons de pantalon et des roberts qui vous rappellent que la Suisse est un pays laitier.

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2

Une phrase de ce genre appartient à ce que j'appelle la fausse littérature. Bien qu'apportant à cet ouvrage une note relativement poétique, elle utilise pour cela des clichés périmés qui seraient indignes d'un écrivain de mon talent s'ils ne se trouvaient là à titre d'exemple.