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Une fois de plus, je vais prendre le tramway. Me voici en ville, parfaitement libre. Si je ne suis pas la moitié d’un lavement d’occasion, je vais me déchoser de prendre le train pour Pantruche. Parce que m’est avis — et c’est itou celui de mon lutin de poche — qu’il va y avoir de la galopade chez les condés bernois. Ces messieurs vont mettre le grand développement pour essayer de m’alpaguer.

Je me pointe à la gare, fier comme un petit banc. A ces heures, l’agitation est intense. Je m’approche d’un guichet et je prends une first classe pour Paris. Avec ce bifton en fouille il me semble que j’y suis déjà… Nanti du morceau de carton je me renseigne au tableau des départs et je vois que mon bolide part dans deux heures. Ça ne m’enchante pas, car c’est beaucoup de temps perdu à un moment où il ferait bon se trouver ailleurs.

Ce temps mort est d’autant plus regrettable qu’une gare est l’endroit idéal pour la flicaille. Sitôt qu’il y a un zig en cavale quelque part, c’est toujours autour d’un quai de gare qu’on va l’attendre… Enfin, espérons que mon ange gardien s’est acheté une peau de chamois neuve pour astiquer ma bonne étoile !

J’achète des journaux — cela constitue un paravent merveilleux — et je vais m’asseoir au buffet. Je commande un verre de picrate de Neuchâtel et un sandwich au fromage. J’ouvre un canard dont le texte m’indiffère et je m’oblige à lire le feuilleton tout en tortorant.

Il bonnit la bath et navrante histoire d’une petite fille trouvée sous un porche d’église et recueillie par un lieutenant de cavalerie. Le lieutenant a confié la petite fille à sa grand-mère pour qu’elle l’élève. Sur le présent numéro, la môme a grandi. Elle vient de passer son bac et le lieutenant revient des colonies où il a découvert un important gisement de chewing-gum. Elle est tellement devenue jolie que l’ex-lieutenant, encore jeune pour son âge, bien que revenant de loin, n’en revient pas. C’est un homme de trente-cinq ans qui a de la fortune, une moustache blonde, la médaille militaire et de la suite dans les idées. Il est troublé par la poitrine agressive de la petite jeune fille et tout laisse à prévoir qu’il l’épousera, à moins que l’auteur n’ait eu une crise de foie en terminant le roman et n’ait fait découvrir par un document secret caché dans le tiroir de la cravate de l’officier que la môme n’est autre que sa sœur illégitime…

Les mots « à suivre » laissent pleins pouvoirs à mon imagination. Je file un coup de saveur autour de moi. Ça paraît tranquille. Le loufiat qui m’a servi et m’a l’air d’appartenir à la jaquette flottante s’extasie devant une photo de magazine représentant le plus bel athlète in the world.

Je l’arrache à sa contemplation en sollicitant un autre verre de blanc. Ce petit pinard est joyeux comme une ronde d’enfant[5].

Je le bois avec délectation. J’ai besoin de me colmater le buffet. Besoin de balayer de ma mémoire le regard fou de ce pauvre Vlefta qui louchait sur mon pétard…

Quel métier ! Si je m’écoutais, j’enverrais tout promener : le Vieux, les Services, les Missions délicates… Seulement, quand la voix de ma raison l’ouvre, les doigts de ma témérité s’enfoncent dans mes portugaises…

Une heure vient de s’écouler. Le secteur est normal. Des gens vont et viennent, sans prendre garde à moi.

Je m’efforce de ligoter les nouvelles. Les caractères se brouillent devant mes yeux… Je suis à bout de nerfs. Comme dit un de mes potes du mitan, Fernand-le-fiévreux, quand on a du fading dans la moelle épinière, il vaut mieux s’efforcer de penser que l’on est, que d’être parce qu’on pense.

Je rabats le baveux. Et bien m’en prend, because à cet instant trois mecs drôlement baraqués viennent d’entrer dans le buffet. Et ces polichinelles, croyez-moi, ont plus de chance d’appartenir à la grande taule qu’à la ligue pour le goûter des femmes enceintes.

6

Je n’hésite pas longtemps. C’est à moi qu’ils en ont, les méchants matuches. Quand on est poulardin et qu’on pénètre dans un buffet de gare en se détronchant pareillement, c’est fatalement qu’on déploie le grand périscope pour tenter de repérer un quidam.

Pour l’instant, ils regardent au fond de la grande salle. Il y a beaucoup de peuple et ça leur demande une attention soutenue. Je fais signe au garçon. Il s’approche, me servant d’écran. Je le règle en le baratinant pour gagner du temps. J’avise la porte des toilettes sur la droite. J’ai juste le temps d’y aller avant que les archers ne fassent demi-tour.

Je fonce, la tronche rentrée dans les épaules et je vais m’enfermer dans un de ces lieux solitaires qui perpétuent la gloire de l’empereur Vespasien.

C’est du temps de gagné… Mais du temps seulement, car je ne puis passer le restant de mes jours entre ces murs de mosaïque. Je m’assieds sur l’abattant de la cuvette et, pour tromper mon impatience, j’ouvre la serviette de cuir dénichée sur les genoux de ma victime.

Elle contient des tas de trucs. Primo des papiers écrits en anglais, c’est-à-dire que je ne puis ligoter, n’étant pas polygone. Deuxio une carte d’Afrique du Nord constellée de croix au crayon bleu et de lettres au crayon rouge. Troisio un chèque d’un million de francs suisses, tirés sur la banque fédérale de Berne par un certain Maguib.

Ce chèque se trouve dans une enveloppe de bristol sur laquelle rien n’est libellé.

Il est rédigé « au porteur », ce qui bouleverse, vous vous en doutez, toutes mes conceptions bancaires. Parce qu’enfin, un million de francs suisses représentent près de cent millions de francs français (1967), et on a beau chialer sur la dévaluation de notre mornifle, il faut reconnaître qu’avec cette somme on peut déjà s’offrir un chouette pot-au-feu avec des cornichons pour mettre autour !

Cent briques au porteur ! Cent briques que le premier gland venu, moi, par exemple, peut aller encaisser ! J’en ai un vertige. Non que je sois cupide, c’est pas le genre de la maison. Je suis de ceux qui pensent qu’il ne faut pas avoir beaucoup d’argent, mais qu’il importe d’en avoir assez ! Et j’en ai toujours eu à ma suffisance pour me loquer convenablement, faire becqueter Félicie et payer un café-crème-croissant aux petites femmes qui avaient des bontés pour moi.

Seulement, nous vivons dans une époque pourrie, régie par le grisbi — c’est un secret pour personne — et un chèque de cette importance impressionne presque autant que les Chutes du Niagara.

Tout à ma surprise, j’ai oublié les bourdilles draguant dans le secteur ! A plusieurs reprises, le loquet de ma loggia a remué. Probable qu’un zigoto a besoin du terrain.

Je roule les papiers et les glisse dans ma poche intérieure. Je plie la carte en deux pour l’introduire dans la vague de ma veste… Et je planque le chèque dans mon larfeuille.

A mon avis, Vlefta apportait au réseau Mohari une subvention allouée à la cause par un grossium égyptien. Ce qui serait poil-poil, c’est si je parvenais à sucrer le carbi. Ils en feraient un renifleur, les gars !

Je me hasarde hors des toilettes. Pas fâché d’en sortir, parce que cet endroit a beau posséder la blancheur Persil, il vous déprime un peu.

Devant la lourde, il y a un zig qui attend. Un vieux chnock grisâtre avec des yeux en virgule. Il danse sur place en attendant que je lui restitue la place.

A peine suis-je sorti qu’il s’y catapulte.

J’avance jusqu’à la lourde ornée d’une glace. J’entrouvre celle-ci et, grâce à la glace que je fais jouer, je peux découvrir toute la salle. Les bonshommes Michelin ont disparu…

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5

San-Antonio est le maître incontesté de la métaphore.

Saint-Simon.