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Une commission, composée de trois astronomes anglais et de trois astronomes russes, fut donc choisie parmi les membres les plus distingués des sociétés scientifiques. On l’a vu, ce furent pour l’Angleterre, le colonel Everest, sir John Murray et William Emery; pour la Russie, MM. Mathieu Strux, Nicolas Palander et Michel Zorn.

Cette commission internationale, réunie à Londres, décida que tout d’abord la mesure d’un arc du méridien serait entreprise dans l’hémisphère austral. Cela fait, un nouvel arc du méridien serait ensuite relevé dans l’hémisphère boréal, et de l’ensemble de ces deux opérations, on espérait déduire une valeur rigoureuse qui satisferait à toutes les conditions du programme.

Restait le choix à faire entre les diverses possessions anglaises, situées dans l’hémisphère austral, la colonie du Cap, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Zélande et l’Australie, placées aux antipodes de l’Europe, obligeaient la commission scientifique à faire un long voyage. D’ailleurs, les Maoris et les Australiens, toujours en guerre avec leurs envahisseurs, pouvaient rendre fort difficile l’opération projetée. La colonie du Cap, au contraire, offrait des avantages réels: 1° Elle était située sous le même méridien que certaines portions de la Russie d’Europe, et après avoir mesuré un arc de méridien dans l’Afrique australe, on pourrait mesurer un second arc du même méridien dans l’empire du tzar, tout en tenant l’opération secrète; 2° le voyage aux possessions anglaises de l’Afrique australe était relativement court; 3° enfin, ces savants anglais et russes trouveraient là une excellente occasion de contrôler les travaux de l’astronome français Lacaille, en opérant aux mêmes lieux que lui, et de vérifier s’il avait eu raison de donner le chiffre cinquante-sept mille trente-sept toises, pour la mesure d’un degré du méridien au Cap de Bonne-Espérance.

Il fut donc décidé que l’opération géodésique serait pratiquée au Cap. Les deux gouvernements approuvèrent la décision de la commission anglo-russe. Des crédits importants furent ouverts. Tous les instruments nécessaires à une triangulation furent fabriqués en double. L’astronome William Emery fut invité à faire les préparatifs d’une exploration dans l’intérieur de l’Afrique australe. La frégate Augusta, de la marine royale, reçut l’ordre de transporter à l’embouchure du fleuve Orange, les membres de la commission et leur suite.

Il convient aussi d’ajouter qu’à côté de la question scientifique, il y avait une question d’amour-propre national qui exaltait ces savants réunis dans une œuvre commune. Il s’agissait, en effet, de surpasser la France dans ses évaluations numériques, de vaincre en précision les travaux de ses plus illustres astronomes, et cela au milieu d’un pays sauvage et presque inconnu. Aussi les membres de la commission anglo-russe étaient-ils décidés à tout sacrifier, même leur vie, pour obtenir un résultat favorable à la science et en même temps glorieux pour leur pays.

Et voilà pourquoi, dans les derniers jours de janvier 1854, l’astronome William Emery se trouvait aux chutes de Morgheda, sur les rives du fleuve Orange.

Chapitre V Une bourgade hottentote.

Le voyage sur le cours supérieur du fleuve s’accomplit rapidement. Le temps, cependant, ne tarda pas à devenir pluvieux; mais les passagers, confortablement installés dans la chambre de la chaloupe, n’eurent aucunement à souffrir des pluies torrentielles, très-communes pendant cette saison. Le Queen and Tzar filait rapidement. Il ne rencontrait ni rapides ni hauts-fonds, et le courant n’était pas assez fort pour ralentir sa marche.

Les rives de l’Orange offraient toujours le même aspect enchanteur. Les forêts d’essences variées se succédaient sur ses bords, et tout un monde d’oiseaux en habitait les cimes verdoyantes. Çà et là se groupaient des arbres appartenant à la famille des protéacées, et particulièrement des «wagenboom», au bois rougeâtre et marbré, qui produisaient un effet bizarre avec leurs feuilles d’un bleu intense et leurs larges fleurs jaune-pâle; puis aussi des «zwarte-bast», arbres à écorce noire, des «karrees» au feuillage sombre et persistant. Quelques taillis s’étendaient à la distance de plusieurs milles au delà des rives du fleuve, en tout endroit ombragées de saules-pleureurs. Çà et là, de vastes terrains découverts se montraient inopinément. C’étaient de grandes plaines, couvertes d’innombrables coloquintes, et coupées de «buissons à sucre,» formés de protées mellifères, d’où s’échappaient des bandes de petits oiseaux au doux chant, que les colons du Cap nomment «suiker-vogels.»

Le monde volatile offrait des échantillons très-variés. Le bushman les faisait remarquer à sir John Murray, grand amateur du gibier de poil et de plume. Aussi une sorte d’intimité s’établit-elle entre le chasseur anglais et Mokoum, auquel son noble compagnon, accomplissant la promesse du colonel Everest, avait fait présent d’un excellent rifle, du système Pauly, à longue portée. Inutile de peindre la satisfaction du bushman, à se voir possesseur de cette arme magnifique.

Les deux chasseurs s’entendaient bien. Tout en étant un savant distingué, sir John Murray passait pour l’un des plus brillants «hunter-fox» de la vieille Calédonie. Il écoutait avec intérêt, avec envie les récits du bushman. Ses yeux s’enflammaient quand le chasseur lui montrait sous bois quelques ruminants sauvages, là des girafes par troupes de quinze à vingt individus, ici des buffles hauts de six pieds, la tête armée d’une spire de cornes noires, plus loin, des «gnous» farouches à queue de cheval, ailleurs, des bandes de «caamas», sortes de grands daims, aux yeux enflammés, dont les cornes présentent un triangle menaçant, et partout, sous les forêts épaisses comme au milieu des plaines nues, ces innombrables variétés d’antilopes qui pullulent dans l’Afrique australe, le chamois-bâtard, le gemsbok, la gazelle, le bouc des buissons, le bouc sauteur, etc. N’y avait-il pas là de quoi tenter les instincts d’un chasseur, et les chasses au renard des basses-terres d’Écosse pouvaient-elles rivaliser avec les exploits d’un Cummins, d’un Anderson ou d’un Baldwin?

Il faut dire que les compagnons de sir John Murray étaient moins émus à la vue de ces magnifiques échantillons de gibier sauvage. William Emery observait ses collègues avec attention et cherchait à les deviner sous leur froide apparence. Le colonel Everest et Mathieu Strux, tous deux du même âge à peu près, étaient également réservés, contenus et formalistes. Ils parlaient avec une lenteur mesurée, et chaque matin on eût dit que jusqu’à la veille au soir, ils ne s’étaient encore jamais rencontrés. Il ne fallait pas espérer qu’une intimité quelconque pût jamais s’établir entre ces deux personnages importants. Il est certain que deux glaçons, juxtaposés, finissent par adhérer entre eux, mais jamais deux savants, quand ils occupent tous deux une haute place dans la science.

Nicolas Palander, âgé de cinquante-cinq ans, était un de ces hommes qui n’ont jamais été jeunes, et qui ne seront jamais vieux. L’astronome d’Helsingfors, constamment absorbé dans ses calculs, pouvait être une machine admirablement organisée, mais ce n’était qu’une machine, une sorte d’abaque ou de compteur universel. Calculateur de la commission anglo-russe, ce savant n’était qu’un de ces «prodiges» qui font, de tête, des multiplications avec cinq chiffres par facteurs, quelque chose comme un Mondeux [2] quinquagénaire.

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[2] Mondeux (Henri), calculateur, né à Neuvy-le-Roi (Indre-et-Loire) le 22 juin 1826, mort vers 1862. Doué d'aptitudes prodigieuses pour le calcul, mais ne sachant ni lire ni écrire, il effectuait de tête, tout en gardant les vaches, des opérations arithmétiques très complexes, et cela à l'aide d'ingénieuses simplifications qu'il avait lui-même imaginées. Note du correcteur – ELG.)