Выбрать главу

Vous vous dites, bonne pomme, qu’elle a sans doute été insuffisamment affranchie, alors qu’en fait c’est vous qui ne l’êtes pas assez !

À ce mal un seul remède : rompre les ponts le premier afin de sauver la face. Comme ça, c’est vous qui avez l’air du déçu et votre orgueil est intact. Il est tellement fragile, celui-là, qu’il faut toujours bien l’envelopper.

En renouant ma cravetouze, je mate le châssis de Wenda dans la glace de sa chambre. Elle est superbe dans son impudeur satisfaite. Une femme comblée, c’est le plus beau spectacle dont un homme puisse rêver. Votre San-A. chéri songe avec amertume qu’il va falloir raccrocher son arme au râtelier avec Médème. On s’est offert le meilleur, Wenda et moi. Une liaison, quand elle s’éternise, ça devient vite un poids mort. On fait semblant d’y croire encore un moment, et puis après on la laisse se décomposer parce qu’on n’a plus le courage de se souhaiter le bonsoir.

Demain je vais choper mon stylo des grands pays : corps galalithe, plume or dix-huit carats, remplissage automatique, agrafe de sûreté (pour un poulet c’est l’idéal) et je vais lui torcher ma bafouille 43 ter, avec majuscules, points à la ligne, sentiments distingués, et larme écrasée au bas de la page (du vélin supérieur siouplaît). Ensuite de quoi je partirai pendant quelques jours en recommandant à Félicie de passer ma ligne de bigophone aux Japonais absents. En tout, ce qu’il faut déployer, c’est de la technique.

— À quoi penses-tu, mon grand ? balbutie Wenda, d’une voix plus languissante qu’un coucher de soleil sur la baie de Naples.

— À toi, réponds-je du tac au tac, car j’ai été très lié avec une mitraillette.

— Tu le jures ?

Comme je ne suis pas parjure, je lui jure.

— Et qu’est-ce que tu penses de moi, grand flic adoré ?

— Des choses que je te mettrai noir sur blanc avant que le coq chante trois fois, promets-je.

Sur ce, je lui octroie la galoche princière des nuits de folie avec retenue à la base et je me tire sur l’extrémité des nougats.

Il fait frais et quatre plombes du mat’ carillonnent à mon bracelet-montre. J’ai une de ces envies de me fourrer seulâbre dans un lit qui n’est pas dans un hamac !

Ce qu’il y a de chouette quand on est célibataire, c’est qu’on aime rentrer chez soi après avoir honoré une dame.

Parfois, dans ces cas-là, je pense aux autres bipèdes qui sont en mal d’épouse et qui doivent regagner leur niche où Frisette les attend avec un rouleau à pâte, en cherchant des prétextes, en s’essuyant les lèvres avec un mouchoir qu’ils doivent perdre, en mâchant de l’Hollywood à la chlorophylle et en farfouillant sous le capot de leur chignole afin que leurs vêtements reniflent l’essence plutôt que Ton Étreinte de chez Lancôme ou Carven.

Je frissonne en pensant aux affres de ces affreux. Je hais ces mensonges qui leur font tant de mal.

Déployer tant d’énergie pour dissiper les doutes de Madame et ensuite remettre le couvert vite fait avec elle pour bien lui montrer qu’elle reste la grande duchesse de votre cœur, qu’avec elle on est toujours disponible et dispos, Casanova en diable, qu’elle a fait de vous le Du Guesclin du matelas Simmons, qu’elle vous a définitivement annexé et que sorti de ses bras vous ne pouvez que répondre non à toutes les propositions extérieures, fussent celles d’un référendum, alors oui, ça c’est le bagne, le vrai.

Je traverse le Bois en longeant la Seine, je franchis le pont de Saint-Cloud et, parvenu au rond-point, je vire à droite dans la direction opposée à celle de l’autoroute afin de me farcir la rampe de Saint-Cloud.

Comme je m’y engage, mon ouïe est sollicitée par trois coups de Klaxon autoritaires. À pareille heure, alors qu’il n’y a pratiquement pas de circulation, voilà qui ne laisse pas de me surprendre.

Je file un coup de périscope hors de ma tire et j’avise une Aronde qui se pointe à ma hauteur. L’espace d’une seconde, je me dis qu’il s’agit peut-être d’un coup fourré organisé par des malfrats qui en voudraient à mes os préférés, mais je décide que des truands ne klaxonneraient pas pour se signaler à mon attention et que, d’autre part, ils ne rouleraient pas dans une Aronde. Alors je lève le pied.

Un visage blafard s’encadre par la portière.

— M’sieur le commissaire, fait une voix vaguement connue de mes trompes d’Eustache, on allait justement chez vous.

On stoppe bord à bord, comme deux barlus dont l’un a arraisonné l’autre et je reconnais Alfred, le coiffeur de la famille Bérurier, celui qui a le bigoudi baladeur et le fer à friser polisson.

À ses côtés, j’avise la baleine du Gros.

Il ne me faut pas longtemps pour joindre mes sourcils au-dessus de mes yeux scrutateurs (il m’en faudrait davantage pour les joindre au-dessous).

— Qu’est-ce qui vous arrive ?

Car leurs frites pâlottes sont plus éloquentes que maître Floriot soi-même. Ils sont hors d’eux, et quand on a la géographie de la Berthe, ça représente une drôle d’inondation.

— C’est rapport à Benoît…

— Eh bien quoi, il a pris une attaque ?

— Il a disparu.

Du coup je me catapulte hors de ma charrette et, délibérément, je viens m’installer à l’arrière de l’Aronde pommadine.

— Que me bayez-vous là ? fais-je en bâillant.

In petto, j’évoque l’époque encore proche où le Gros est venu m’annoncer que sa bergère s’était évaporée[1].

— Eh bien, je vais tout vous expliquer, mon cher ami, susurre la Baleine.

Elle porte une robe en satin mauve, ornée d’un jabot de dentelle blanche ; quatorze rangs de perles autour du goitre, une fleur grande comme un nénuphar sur le poitrail, des boucles d’oreilles cueillies au lustre de la salle des fêtes du septième et, dans les cheveux, un superbe peigne en écaille d’huître véritable agrémenté d’incrustations en Celluloïd.

L’aigrette de sa verrue tremble comme le plumet d’un saint-cyrien et des larmes se mêlent au jaune d’œuf agrippé à ses moustaches.

— Ce soir, explique-t-elle, nous fêtions l’anniversaire d’Alfred.

Courbette d’Alfred qui se fait péter la bouille contre son rétroviseur.

— Soudain, coup de téléphone. Mon époux décroche…

« Il revient dans la salle à manger en nous disant que vous veniez de l’appeler pour lui demander de faire une course urgente. Il nous assure qu’il n’en a pas pour plus d’une heure et nous fait jurer qu’on débouchera pas le champagne avant son retour.

Alfred prend le relais car la Gravosse a fini sa provision d’oxygène :

— Nous l’avons attendu une heure, puis deux…

B.B. a empli ses éponges et repart au blabla :

— … puis trois, enchaîne-t-elle avec précision. On a alors téléphoné z’au bureau où personne ne l’avait vu ni vous. Puis z’à votre domicile où votre maman nous a dit que vous étiez de sortie…

— Alors on a bu le champagne pour se remonter le moral, révèle Alfred.

— En en laissant une coupe à mon époux, rectifie la Baleine.

— À quelle heure Béru est-il parti ?

вернуться

1

Voir : On t’enverra du monde [Voir le tome 4 de l’édition « Bouquins »].