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Félicie est éblouie.

* * *

Après la première collation, bercée par le chuchotement des réacteurs ma mère s’endort, les mains jointes sur son ventre. Je me lève doucement afin d’aller faire un tour au bar. De plus en plus, les transports aériens rivalisent de vitesse et de confort, si bien qu’un jour, la première neutralisera le second. À quoi serviront les courts de tennis, la piscine, le bowling et la salle de danse du bord lorsque les zincs feront Paris-New York en dix minutes ? Mais ça ne sera qu’une étape, le jour viendra où avant de s’endormir, comme on tube au service du réveil, on filera de Paris un coup de turlu à une compagnie spécialisée en disant un truc du genre « Ici, matricule 188113 série Q, voulez-vous me réveiller à Honolulu demain matin à 8 heures, je vous prie ? »

En ce temps-là, on marchera tous à la carte perforée, les mecs. L’homme aura supprimé la distance et réalisé l’instantanéisme, c’est couru, promis, juré, souscrit ! On se déplacera par ondes courtes, sans autre effort à faire que de le vouloir.

Tous pensionnaires chez I.B.M., mes drôles. Electronifiés jusqu’au fondement, je jure. Avec des boutons partout, comme de l’acné juvénile de robot ! Ça se prépare, ça s’élabore. Ils en auront de la veine, nos mômes, quand ils seront vieux cons ! Déjà, ils ont pas à se plaindre. Voyez les parkings des lycées. Vous avez tout de suite trois cents bagnoles et douze vélos. Les bagnoles sont aux élèves et les vélos aux profs. Ça bascule, je vous dis !

Je pense à tout ça, du haut de mes dix mille mètres en m’asseyant sur un tabouret du bar. Le steward me demande ce que je veux et je lui réclame un double scotch. Le coucou trace dans un ciel d’azur. Ce n’est déjà plus l’hiver, là où nous sommes. L’hiver n’est qu’à ras terre ; très haut, c’est toujours l’été.

Je vide mon glass et m’apprête à quitter le bar lorsque quelque chose de plus que pas mal pénètre dans mon champ visuel. Une fille, mes amis, qui ferait bien de ne pas aller jusqu’au poste de pilotage, sinon le boeinge va écrire 8.888 dans le ciel en fumée majuscule. La môme que je vous cause est grande, mince, avec une poitrine qui irait à mes mains comme un gant. Elle porte un pantalon étroit, bleu ciel (ce qui est de circonstance), des bottes en cuir souple qui lui montent au-dessus des genoux et un chemisier de soie blanche. Elle est brune avec de longs cheveux. Elle a le regard clair, pas exactement vert, plutôt jaune. Ses cils ont l’air naturels malgré leur longueur. Elle tient sous son bras une sorte espèce de machin blanc qui si je lui mords la queue et qu’il aboie s’avérera un dérivé du chien. Elle s’approche du bar, hésite, s’installe sur le tabouret voisin du mien et dit au barman qu’elle aimerait un manhattan, ce, avec l’accent anglais d’une Française qui tient à faire croire qu’elle a l’accent anglais. Une petite sucrée, quoi ! Style : où t’habites, y’a un égout (rayez les lettres inutiles, merci).

Elle dépose sur le comptoir d’acajou la petite bricole blanche toute pantelante. Je ne me suis pas gouré ; il s’agit bien d’un clébar. Ça doit valoir une fortune, cette larve à poils et à côté de son pedigree, celui de la reine d’Angleterre doit ressembler à la fiche d’état civil d’un enfant trouvé.

— Ce que c’est mignon, ces petites bêtes ! me pâmé-je en avançant la main vers l’animal.

L’ordure, qui me paraissait sous le coup d’un anesthésique, me mord le doigt sans proférer un son. Une série de perles rouges me ponctue l’index. Si je m’écoutais, j’écraserais cette vermine d’un coup de poing ; mais la force de l’homme énergique consiste à se faire la sourde oreille.

— Uku n’aime pas les hommes ! dit la beauté bottée, assez sèchement.

— C’est un point que nous avons en commun, assuré-je plaisamment en étanchant mon sang avec mon mouchoir.

Elle a un sourire snobinard. C’est pas à la contrepèterie que je risque de me faire cette mémé, croyez-moi.

Ce qui m’indispose chez les Marie-Chantal, c’est leur gravité. Les bêcheuses se croiraient déshonorées de rire un bon coup. J’en connais : ah ! les horreurs ! Vous pouvez vous déballer l’artillerie de marade, vous peindre en vert les chatouiller avec une plume de paon, leur amener De Funès, leur lire mes livres, leur montrer la photo de M. Couve de Murville en barboteuse, tout ce que vous obtiendrez c’est une grimace d’hépatique.

Et dans le fond, le snobisme, ça ne proviendrait pas du foie ? Ou d’une constipation tenace, peut-être. Je serais toubib j’aurais à cœur de me pencher sur la question. Je voudrais leur explorer le colon à ces frangines malgracieuses, leur passer tous les orifices au rince-bouteille histoire de m’assurer que ça ne vient pas d’une quelconque obstruction, leur marotte de simagrer. Quand une nana a vingt berges, vous admettrez que ça n’est pas normal qu’elle se trémousse le fion d’un air austère, qu’elle exhale des soupirs à décoiffer une harde de cerfs[6], qu’elle parle à travers un cul de poule et qu’elle se croie obligée de prendre l’accent anglais, hein ? Si ce ne sont pas ses organes ventraux qui tirebouchonnent, alors c’est un dérèglement glandulaire, mes filles ! Faut qu’elles courent se faire explorer l’intime par un spéléologue de la table à béquilles. À moins, encore, que ça ne cinématographe dans leur terrine ; oui, ce serait plutôt ça : le caberlot ! Elles se racontent des trucs en vistavision mis en scène par Sa Majesté Arrondissement XVI, l’un des derniers souverains de France. Elles s’imaginent que c’est géographique, le standinge. Pauvres d’elles !

Ma compagne de voyage est fardée comme pour affronter les sunelaïtes de la téloche. Elle a une couche de fond de teint plus épaisse que celle d’Ugène Hérald quand il vient faire une petite séance de Françaises-Français chez nous, le soir, entre le feuilleton et le fromage. En plus, elle a du vert aux yeux. Un vert bien épais, bien vénéneux, bien étalé. Quand elle ferme les chasses, cocote, elle doit ressembler à Dracula : tout cela, notez bien, ne l’empêche pas de rester drôlement comestible. Je suis sûr, une bergère comme mam’zelle Chochote, avec un gant de toilette mouillé et une tarte dans le museau, on doit pouvoir la rendre appétissante.

— Il a du caractère, hein ? déclaré-je en me suçant l’index ; c’est quoi comme race ?

— Un yesmaâme bouclé royal dit-elle sèchement, comme on répond au monsieur qui vous demande son chemin au moment où vous courez derrière votre autobus.

— Magnifique ! déclaré-je, c’est le deuxième que je vois. Mon ami Frank Sinatra en a un, mais le vôtre est plus beau !

Du coup, elle me vote une grosse bouffée d’intérêt, la môme bottée.

— Vous connaissez Sinatra ? s’exclame-t-elle.

Comme quoi, dans la vie, vaut mieux être psychologue que gendarme, mes amis. D’accord, on sent moins des pieds, mais on peut tout de même se rendre intéressant.

— Ce serait malheureux ! répondis-je, évasivement.

Les réponses évasives sont celles qui portent le plus, car elles laissent entendre tout ce que vous n’oseriez pas inventer.

— C’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui connaît Sinatra, reprend la ravissante, comment est-il ?

Tiens ! elle vient d’oublier son accent britiche.

— Merveilleux ! laconiqué-je derechef, car je parle couramment le seizièmarrondissement moderne, et je peux le lire dans le texte.

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6

Une harde de cerfs, c’est peut-être un pléonasme, mais sans pléonasme, comment un auteur arriverait-il à se faire comprendre ? C’est la connerie humaine qui nous a contraints aux synonymes.