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Tout me porte à croire que l’homme a utilisé une autre issue. Je contourne l’amoncellement de meubles et j’ai la satisfaction de découvrir une ouverture dans le mur du fond. Elle mesure quatre-vingts sur quatre-vingts et ne ferme que par un volet muni d’un crochet à l’intérieur.

Or, tenez-vous bien — ou si vous ne pouvez vous tenir, faites-vous tenir par quelqu’un d’autre — mais le crochet n’est pas mis. Mieux encore : des éraflures fraîches sont visibles dans le plâtre autour de l’ouverture. C’est, sans contestation possible, par là que l’assassin s’est introduit dans la propriété, par là qu’il en est reparti. Je donne un coup de poing dans le volet. Le bois gonflé résiste. M’est avis que le fugitif a dû balancer un sérieux coup d’épaule dedans en partant pour le refermer. Je m’empare d’un banc de bois et, l’utilisant comme bélier, je rabats le volet.

Depuis l’ouverture, je découvre un chemin creux, bordé de haies vives, qui sent la mousse et le labour. À gauche, le chemin mène au centre de la localité, à droite, il donne la clé des champs. Je ne vois personne et je saute entre deux profondes ornières. Toujours nez à terre, dans la position du teckel sur le sentier de la guerre, je cherche les traces du meurtrier. Deux belles empreintes de semelles se lisent dans la boue. Elles sont perpendiculaires à la construction, les talons orientés vers le mur. Faut-il prendre à gauche ou à droite ?

Le génial San-Antonio (y a du vrai), se convoque pour une conférence intime. Il se dit à peu de chose près ceci « Je suis l’assassin. Je viens de refroidir un type avec une audace folle. Je fuis. Me dirigé-je vers l’agglomération ou vers la campagne ? D’autor, je choisis les verts pâturages.

« Un bosquet se dresse quelque deux cents mètres plus loin. C’est propice à la camoufle, ça, non ? Par-delà le bosquet, il y a des champs grassouillets, car on vient de retourner la terre nourricière. Tout au bout, je devine la nationale bleutée dans le morose automnal.

Moi, assassin, connaissant bien les lieux, je pars de la nationale, je planque ma bagnole à l’orée du (ou dans le) bois. Je viens perpétrer mon crime en père peinard, et je retourne à ma pompe après m’être assuré que la voie est libre. »

Fort de cette certitude, je choisis la droite et je me mets à courir en regardant le sol. Étrange comme le plus honnête des hommes, le plus consciencieux des poulets, parvient vite à se mettre dans la peau d’un bandit.

Je sens que le meurtrier a couru. Je retrouve ses gestes, ses moindres réflexes. Il a regardé par l’ouverture avant de sauter. Le chemin creux était désert, il a enjambé le fenestron. Il a refermé le volet. Il s’est mis à marcher posément, en direction de son auto, mais au bout de quelques mètres cela a été plus fort que lui : il a couru.

Je cours… Et je m’arrête presque illico à cause d’une petite pensée qui m’arrive dans la tourelle à gamberge. L’assassin n’est pas venu ici pour tuer quelqu’un de précis, puisqu’il était impossible de prévoir la réaction du camarade Longuant. Le toubib a piqué un coup de sang et s’est rendu chez son pseudo-confrère sans que rien ne puisse le laisser prévoir. En fait, l’assassin est venu pour surveiller, uniquement. Et s’il s’est décidé à agir c’est parce que quelque chose s’est produit, que je conçois mal, mais qui a dû rendre le meurtre nécessaire. En ce cas, un homme qui vient surveiller, laisse-t-il un véhicule longuement garé dans la campagne, au risque d’attirer l’attention ?

Je reprends ma marche, mais lentement cette fois. En découvrant le cadavre de Longuant, j’ai piqué un coup de sang et le besoin d’agir a dominé en moi le raisonnement. Seulement, la réaction commence à s’opérer. Une espèce de stabilisation interne. Pourquoi a-t-on tué cet inconnu de docteur Longuant, surgi au hasard de sa rogne dans la propriété ? À cela une seule réponse : parce qu’il était précisément médecin ! Vous parlez d’un casse-bouille, mes chérubins ! Cela équivaut à dire que le criminel savait que Longuant était toubib et que Béru, par contre, ne l’est pas. De quoi se mettre le cervelet en tortillon, non ?

J’atteins le bosquet. Pas traces d’auto ayant stationné là. La fougère est drue, emperlée de la dernière ondée. Le talus est net… Je contourne le bois et j’aperçois un terreux, juché sur un gros tracteur jaune qui scarabe cahin-caha dans un ex-champ de maïs. J’attends que l’homme ait atteint l’extrémité du sillon en cours et qu’il opère sa volte-face avant de l’aborder. En me voyant s’avancer à sa rencontre, les mains aux poches, il sourcille sous la visière luisante de sa gapette. C’est un bouseux d’une quarantaine d’années, au visage blême. Il a les arcades sourcilières proéminentes et des yeux maussades.

— Excusez-moi, l’abordé-je, auriez-vous vu un homme s’engager dans le petit chemin, soit à pied, soit en voiture ?

Il me dévisage longuement avant de me répondre. Je sens que j’ai commis une erreur. Un nabu, faut pas l’apprivoiser avant de le questionner. Il se demande qui je suis et, quel but obscur je poursuis. Il pèse le poids d’emmerdements que je suis susceptible de lui causer. Son tracteur au point mort halète comme une grosse bête méchante.

— J’ai rien vu, décide-t-il enfin…

Et, pour se justifier, pour couper court aussi, d’ajouter :

— Je regarde pas toujours vers le chemin.

Comme chaque fois que c’est le temps, l’idée géniale se pose sur ma centrale comme ma colombe sur la branche d’un pin parasol[3].

— Je vous demande ça parce que je viens de trouver un portefeuille en m’y promenant, ajoutai-je en sortant le mien de ma profonde. Y a plein d’argent dedans, mais aucun papier d’identité…

Le regard du conductracte se met à scintiller comme des cristaux de neige au soleil.

— Ah oui ? s’anime mon Ben-Hur rural.

— J’ai conclu qu’on venait de le perdre, ajouté-je négligemment. Il n’est pas mouillé, or il pleuvait y a moins d’une demi-heure, comprenez-vous ?

Il comprend. Ça se voit à sa tête dodelinante.

Je rempoche mon larfouillet :

— Enfin, du moment que vous n’avez vu personne, il me reste plus qu’à aller le porter à la gendarmerie.

Je lui décoche un petit salut de la main, et fais demi-tour. Je sens que le laboutracteur va me rappeler, comme tout à l’heure j’ai senti qu’il était arrivé une grosse misère à Longuant.

— C’est-à-dire…

— Oui ?

Je me retourne.

Le pognon, c’est un langage que les bouseux parlent couramment. Il imagine déjà cet article griffé par des mains gendarmières. Il déplore de n’avoir pas fait cette trouvaille. Il maudit le destin. Il suppose des sommes. Il convoite doucement, en trépidant des meules, comme on chauffe un verre de marc dans sa main.

— Vous m’auriez dit, une femme. Une femme, oui, je l’ai vue. Mais c’est-y un portefeuille de dame ?

— Vous savez, dis-je. Il arrive aux dames d’avoir des portefeuilles d’homme.

— Y a beaucoup dedans ?

Je ramène mon lazagnard à la lumière et j’en tire à demi une liasse de Bonapartes.

— On le dirait, oui. Elle était comment, la personne dont vous parlez ?

— Comme ci, comme ça, me renseigne-t-il avec une précision toute paysanne. C’était point quelqu’un d’ici.

— Jeune ?

— Il m’a semblé, mais de loin, vous savez…

— Elle allait dans quelle direction ?

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3

Ne vous inquiétez pas : je fais un peu de lyrisme, ce matin, mais je vais prendre un cachet.