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Moi, vous me connaissez ? Moribond, soit, mais jusqu’à un certain point ! La rogne qui m’anime ressusciterait un académicien. Je me sert de mes deux mains pour ramer dans les poils de la moquette. Ma civière se déplace lentement ; en silence, vu que ses roues caoutchoutées, tournent sur du gazon de laine.

Je ne suis plus qu’à cinquante centimètres d’Œil-de-faucon. Pourvu qu’il n’ait pas terminé son ligotage avant que…

Haben a les yeux rivés sur sa seringue. Quant au gros Sergio, son petit copain fait écran entre lui et moi. Quel effort représente ma semi-reptation ! J’en claque des dents. Des ondes brûlantes passent et repassent sur mon visage…

La crosse est là… Belle ! Noire ! Gaufrée ! Brillante ! Je tends la main. C’est à présent que j’ai besoin d’un gros rabe d’énergie. Il va me falloir arracher d’un coup le pétard… Et surtout, oui, surtout, il va falloir que je m’en serve. Et que je m’en serve très vite.

Une grosse pensée pour ma Félicie !

« T’as plus qu’une chance de le revoir, ton grand, m’man. » Elle est là, cette chance… J’y mets la main dessus, m’man. Rrrhan ! Je l’arrache de son étui. Mince, dans ma précipitance, v’la que j’ai fait basculer l’accroupi en arrière. Tant pis ! J’ai ma chance bien en main, M’man. Sergio tique et porte sa main à son bénard. T’occupe pas, m’man, il est à moi, ce salingue ! Je lui dois bien la première bastos. Baôum ! Il la prend pile entre les deux yeux, je te jure ! Et pourtant j’ai la paluche qui sucre ! De quoi ! Œil-de-faucon qui plonge sur mon brancard ! Attends que je te l’assaisonne itou, cette peau-d’hareng. Ah ! vous creusez des fosses communes, mes chérubins ! Moi, je vais vous faire des concessions. Pan ! Pan ! Merde, j’ai dû me blesser à la cuisse. Crie pas, m’man, je t’assure que c’est juste une éraflure. Vise un peu ce ballot, par contre, comme il fait un joli mort dans son genre.

Félicie est là, qui me sourit sur sa chaise. Je rigole.

Elle me crie quelque chose que j’entends pas… Le quoi, tu dis, m’man ? Le troisième ? Le troisième quoi ? Oh, oui, le blond ! Où il est, tu dis ? Il fonce vers la sortie ? Ça y est, je le vois. Dommage qu’il y ait ce brouillard du diable ! Attends, je vais tout de même essayer de le praliner au jugé.

Paoum ! Paoum ! Paoum ! Paoum !

… s’excuse-moi, m’man, j’en peux plus… Je suis vidé. Le magasin de mon père est vide aussi, non ? Tu crois que je l’ai eu, Haben ?

Amen pour Haben !

CHAPITRE XVII

Debout, les morts !

— Antoine !

— Hein, tu m’appelles, m’man ?

— Je suis pas ta mère, c’est Pinaud ! Tu m’entends, dis ?

C’est plein de sons biscornus dans mes portugaises, mais je perçois l’organe angoissé de la Vieillasse. Mon cœur cogne follement.

— C’est Pinaud ! Reviens à toi, fais un effort San-A. ! exhorte le cher homme.

Un effort ? Ça signifie quoi en fait, un effort ? Je pantèle comme une queue de thon à l’étal d’un poissonnier.

— San-A. !

Sa clameur vient me chercher, dans la grisaille de mon subconscient. J’ouvre les yeux… J’avise la brave relique toujours ligotée sur sa chaise. Son image frémit comme si elle était projetée sur l’écran d’un poste de TV mal réglé.

— Regarde ! Tu l’as seulement touché aux jambes. Il rampe vers la mitraillette appuyée au fauteuil, là-bas… Vite ! Fais quelque chose !

Il en a de suaves, de délicieuses, de pittoresques, Pinaud !

Agonisant, sur un brancard. Il voudrait que je joue encore les Du Guesclin ! Je suis davantage Dugay-Troué que Dugay-Trouin !

Je file un coup de saveur entre les pieds de sa chaise.

Haben, ensanglanté, rampe effectivement vers un fauteuil d’osier situé à trois mètres de lui. Le blond ahane, grimace, écume. Il a dû prendre une bastos dans le ventre car ça ruisselle sous lui en abondance. On dirait une séance de dressage : un cours d’otaries (un cours d’eau tari ; à court d’eau t’as ri ! etc.).

Je cherche à ramer, comme précédemment, mais mes forces m’ont définitivement abandonné. Pinaud est solidement entravé. Et Haben se traîne vers l’arme. Mamma mia, cet arrosage quand il va l’avoir cramponnée ! Y aura de la potiche brisée, je vous préviens ! Que les celles qui craignent les détonations se mettent des boules quiès !

— Que veux-tu que je fasse, César !

— Détache-moi !

Plus assez de kilowatts, mec !

— Essaie !

Je tente de soulever un bras. Ma main retombe. Beaucoup trop lourde pour un poignet aussi débile !

— Peux pas !

Jamais vu la Vieillasse aussi frénétique. Mince, on dirait qu’il court le prix de Diane, pépère ! Un Pinaud à ressort, mes bonshommes ! Il saute sur sa chaise. Le siège remue un brin. Oh, pas chouchouille : il se déplace d’un ou deux centimètres, et pas tellement dans la bonne direction… De son côté, Haben est plus véloce. Il vient de parcourir un mètre comme un grand.

Il marque un temps de repos et tourne vers nous un visage convulsé, presque entièrement bouffé par les yeux.

— Vous ne m’empêcherez pas de l’atteindre ! dit-il.

Et c’est vrai que la géométrie joue en sa faveur. Deux mètres le séparent de la mitraillette et, il a les mains libres ; cependant que trois mètres en séparent Pinaud, qui lui est saucissonné.

Haben repart à la conquête de la pétoire à bégaiement automatique.

J’ai l’impression qu’il va plus vite qu’avant.

La perspective de nous déguiser en cartes perforées lui communique l’ultime énergie nécessaire.

Pendant ce temps, le pauvre Biquet, le cher Débris, la bonne Baderne-Baderne continue de se trémousser. Dès l’âge de quatre ans j’agissais de même. M’man chantait : « À cheval sur mon bidet »… Je me prenais pour un cavalier impétueux. Le roi des jockeys ! L’imagination, c’est quelque chose, hein ? Une chaise bancale sur laquelle on s’assied à califourchon, et vous voilà cosaque superbe, cow-boy galopant dans des pampas bourrées d’Indiens perfides.

C’est clair qu’il n’arrivera jamais à temps pour empêcher Haben de décrocher la moulinette.

Si au moins il restait des dragées dans le feu d’Œil-de-vrai-con. Mais je t’en fiche. J’ai vidé le magasin sans presque m’en rendre compte. Il est à répétition, le revolver. Alors, fatalement, si vous n’ôtez pas votre doigt de la détente, la camelote se barre. Un regain d’énergie m’empare[25]. Une bouffée ! Une secousse simiesque, comme dit le Gros. Je biche le pistoloche par le canon. Je l’élève à bout de bras, plus péniblement que s’il s’agissait d’une haltère de cent-vingt livres. Une haltère, des haltères. Une haltère désaltère ! Vingt gus, que je peux avoir soif !

— Hé, Haben, je murmure ! T’as pas vu ça !

Il tourne la tête vers moi.

Je saurai jamais de quelle manière je m’y suis pris. Tout ce que je peut vous dire c’est que je n’ai plus le feu dans les doigts et que le nez du blondinet vient d’éclater comme une tomate mûre au pied de son échalas. Échalas, tu l’as déjà vue ? comme disait un Auvergnat.

Haben pique une bouille sur sa belle moquette qu’il redoutait tellement — ô ironie — de saloper.

Il m’a l’air K.-O. sérieusement. Définitivement peut-être ?

— Bravo, jubile le Flétri. Tu es vraiment un type fantastique, San-A. !

Son compliment ne m’atteint pas. Je chancelle de l’intérieur. Le moindre effort me vire en pâmoison. Je ne peux tout de même pas m’évanouir à tout bout de champ, vu que c’est moi qui vous raconte l’histoire ! Si le narrateur est out, vous aurez une bath collection de pages blanches ! À cause de vous, mes chéries, je bande donc mon énergie. Faut s’agripper, comme le conseillait Agrippine à Agrippa d’Aubigné[26].

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25

C’est voulu !

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26

Calviniste calvitié, et écrivain convainqueur (il était l’ami d’Henri IV) dont l’œuvre la plus connue fut Mme de Maintenon, sa petite fille.