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Sa remarque me touche, me douche, me couche, me bouche, me souche, car elle est le pendant de celle que la Pinaud (des champs) m’a faite naguère. Me mettrais-je à acariâtrer en prenant de l’âge ? Deviendrait-il grincheman, le Sana-Tonio ? Père-larouscaille, ergoteur, poildecuteur, découpeur de tifs, punisseur, juteux, con-j’ai-payé, sodomiseur de mouches, masturbeur d’eunuques, j’étais-là-avan-vouiste ? Faut qu’il se surveille, le petit frelaté ! Qu’il s’étudie le comportement, qu’il se fasse prendre la tension (par un vrai doc), analyser le raisin, le pipi et la moelle substantifique que causait François. Il me semble que je suis en manque d’affection. J’ai une nostalgie amoureuse, mes drôles. Un de ces quatre il va se faire alpaguer par une bergère, le Cent ans Tonio. L’happé, des ménages ! Et la paix déménage ! Réagis, guignol ! Vaut mieux être goret que truffe !

Je leur rayonne un sourire beau comme un arc-en-ciel.

— Mais non, les aminches, c’est cette merderie d’affaire qui me tarabuste, me flanque l’hypersensibilité fillette. Ainsi, tout à coup, dans la carrée d’en face, j’ai eu la gargante serrée par un funeste pressentiment. Une sorte de vision Borniol.

— T’as le retour d’âge précoce, mon mec, diagnostique le docteur Bérurier, mais c’est pas le tout, t’as pas vu les branques qu’y me reste à visionner ? Si tu voudrais bien déblayer le terrain, plize !

— O.K., mais tu vas me faire le plaisir de raccrocher ton bignou et de suivre mes indications, hein ?

— Pourquoi, t’es médecin, toi ?

— L’autre va revenir. Et s’il tarde, j’apprécierai sûrement mieux que toi ce qu’il convient de faire dans certains cas, vu ? Ne me rebrousse pas le poil, sinon tu finiras ta brillante carrière de flic comme garde-champêtre à Plouk-les-Vaches.

Là-dessus, je fais comme la mer à l’heure de la marée basse : je me retire !

CHAPITRE III

Où il est prouvé que la profession de docteur en médecins peut être de tout repos

Le Gravos, un peu dessaoulé par mon intervention, « passe » deux nouveaux malades dans de bonnes conditions. Il s’agit là de cas bénins : un insomniaque et un rhumatisant. Il préconise au premier de boire du tilleul et de compter des moutons, et au second d’aller passer ses vacances sur une plage l’été prochain, toutes choses qui ne risquent guère de mettre leurs existences en péril.

J’écoute en fumant béatement, les pieds sur la table, les mains croisées sur le baquet. Curieux, tout de même que Longuant ait pris la poudre d’escampette. A priori, il m’inspirait confiance. J’espère qu’il n’est pas allé porter le suif en haut lieu. On était en sympathie, lui et moi. Une telle conduite constituerait une trahison. Qu’il s’insurgeât contre les méthodes du Dodu, passe encore, mais qu’il rameutât les autorités pour signaler notre abus de fonction, voilà qui lui vaudrait de la part de qui vous savez (moi en l’occurrence) une solide correction.

Je bâille, jette ma cigarette d’une pichenette adroite dans la fausse cheminée en faux marbre où un faux feu répand une fausse lueur d’âtre mourant et je participe, par le sens auditif, à la réception d’une troisième personne. Cette fois, il s’agit d’une vieille femme asthmatique qui se plaint d’avoir la respiration en perte de vitesse. On la croit sur parole, vu que son souffle est pareil à une lame de scie dans du bois vert.

C’est une entreprise de scieurs de long à elle toute seule. Ses fins de phrase se perdent dans un sifflement ferroviaire.

En l’entendant, je compose le numéro du Gravos.

— Acré, gars ! lui dis-je, cette fois-ci tu ne vas pas lui refiler de la poudre de perlinpinpin à ta cliente. Cloque-lui un petit coup de radio pour faire semblant et drive-la sur le spécialiste des voies respiratoires. Tu trouveras l’adresse de ce monsieur écrite sur la page de garde de ton Codex.

— Et comment ! docilise-t-il. Tu verrais le sujet, mon pote, tu lui prendrais déjà les mesures pour un lardeuse a poignées nickelées. Ah ! dis donc, ses pauv’ soufflets ! Drôlement poreux ! Et ça m’étonnerait que les rustines adhérassent ! Faudrait y changer la chambre à air complète…

Je lui sectionne le lyrisme :

— Grouille-toi, et ménage son moral.

Il raccroche.

— ’xcusez-moi, ma bonne dame, dit-il, mon garagiste qui me casse les noix à propos de mes pneus. Nous disions donc que vous étiez à-ce-mastique au dernier degré ? Faut pas vous frapper, ça vient du temps.

— Vous croyez ? siphonne la malheureuse personne.

— On chope les brouillards matinaux, ma pauvre grand-mère ; si je vous disais que le matin, j’en ai pour deux heures à tousser et à glavioter ! Et pourtant, moi, sans me vanter, je suis pas de la viande à sépulcre, hein ?

Plusieurs chocs assourdis me laissent à penser qu’il se frappe la poitrine. Ça résonne comme lorsqu’on toque une barrique vide.

— J’ai les éponges en caoutchouc-mousse et l’armature en fonte renforcée. Bon, je vais vous faire tout de même une scopie. Dessapez-vous tranquillement ici, je prépare mon Pathé-Baby dans la pièce voisine !

Il sort, très gentleman, et le voici qui tripatouille ses bitougnos. Ça clique et déclique et claque et soudain, formidable, un juron part de la poitrine de fonte vantée plus haut.

— B… de Dieu ![1]

Le Gravos repasse dans son cabinet au pas de charge et fait violemment claquer la lourde de séparation.

— Arrêtez les frais, Mémé ! s’écrie-t-il, je viens de péter le disjoncteur de mon Polaroid d’intérieur. Pour la radiographie, faut aller vous la faire chez l’espécialiste des chemins respiratoires. Remballez-moi vite vos blagues à tabac. Je vous cloque l’adresse du gus en question.

En un tournemain il a expédié sa vieille asthmatique.

— San-A. ! halète-t-il, plus copieusement qu’une vache suisse (et pourtant rien n’allaite davantage qu’une vache helvétique). San-A., radine, mon pote, ça grabuge dans mes azimuts.

— Qu’y a-t-il, Gros ?

— Du pas banal, je te promets une séance récréative en Vistavision que t’auras jamais renouché la pareille !

Il raccroche.

La vie n’étant qu’un recommencement, je cavale hors de la chambre, je pas-de-course dans la strass et me jette dans la maison d’en face. La porte du cabinet est open. Pinaud et Béru discutent à voix basse, mais avec une véhémence de gestes qui fait penser à des Italiens assistant à un match de boxe.

— Ah ! râle Béru en m’apercevant, viens par ici, Fleur de Mystère !

Il me catapulte dans la salle de radiographie dont la porte est grande ouverte. La pièce est obscure. Seul l’écran de l’appareil découpe dans le noir un rectangle de clarté trouble. On voit la poitrine d’un homme derrière le verre. Ses poumons, son cœur… Et autre chose aussi qui compose une sorte d’ombre en forme de langue. Cette ombre part du bord de cadre pour aller jusqu’au cœur. Le muscle cardiaque ressemble à une comète avec sa queue.

— Qu’est-ce que c’est ? murmuré-je.

— Tu vas voir…

Il donne la grosse lumière. J’aperçois des jambes au-dessous de l’écran ; des bras de part et d’autre ; des cheveux sur la gauche. Je m’approche de l’appareil, ce qui me permet de découvrir le profil de Longuant. Le médecin est coincé entre le bloc métallique et l’écran.

Un couteau corse long de cinquante centimètres est enfoncé dans sa poitrine. La lame a pénétré sur le côté gauche, juste en avant du bras et je sais (je l’ai su avant que d’apercevoir le corps) qu’elle est allée droit dans le cœur et, que ledit cœur ne bat plus.

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1

Il n’a jamais été mentionné dans les Écritures que le Seigneur disposât d’un lupanar, aussi m’étonné-je que tant d’hommes, en tant de circonstances, y fassent allusion.