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Tout ce qu’il y avait en moi de saumâtre, d’angoissé, de mécontent, se ramasse, se coagule et me flanque une formidable nausée. Ma parole, j’en dégobillerais d’incrédulité. Il y a un instant encore, Longuant traversait la rue… Et puis…

Pas besoin de lui tâter le pouls. L’écran de radio est éloquent. Son battant est absolument inerte, embroché comme pour un effroyable Chiche-Kébab.

Le Mastar explique :

— Je m’occupais de la vioque qui perdait de la valve. Vu ma galanterie et aussi, qu’elle était moins ragoûtante qu’une chaussette de fantassin, je l’ai laissée se dégueniller dans mon burlingue. Je viens brancher l’appareil. Et qu’aspers-je ?

— Ça ? demande Pinaud pour qui l’évidence doit être passée au crible de toutes les affirmations constatatives.

— Oui, dit Béru. Le doc d’en face dont au sujet duquel tu te caillais la laitance, San-A. Je m’ai dit que j’étais le jouet d’une hallucination. Mais quoi, la réalité, c’est la réalité, hein ?

— Il a pas pu entrer, j’ai pas quitté le couloir, certifie la mère Pinaud.

— Et pourtant il est là, non ? s’emporte le Dodu.

— On ne peut plus rien pour lui, m’étranglé-je.

— Tu penses qu’une greffe du palpitant serait possible, gars ? suggère le valeureux praticien.

— Et où prendrais-tu un cœur neuf, hé, Baluche !

— Oh ! ça, suffit de faire le vingt-deux sur n’importe quelle Nationale, mon pote. Au premier carambolage je te ramène une horloge de rechange… J’ai ligoté sur les baveux que ça se pratiquait à partir de désormais, la greffe du guignol.

Il s’éponge le front.

— Du train qui court, bientôt, on te refera un mecton complet, comme avec un Meccano, gars. Y aura plus mèche de vieillir. On te changera le foie, le citron et les claouis aux abords de la décrépitude. Tu verras des grand-pères tout fringants, biscotte ils auront eu leur échange standard. Nouvelle peau, nouvelle rate, et radada contrôlé.

— Oh ! ta gueule ! grogné-je.

— Quoi, ma gueule ? Je connais les possibilités scientifiques de demain.

— Aujourd’hui n’est pas un autre jour, Béru. Et nous voici avec le cadavre d’un brave garçon sur les bras. Quand le Vieux va savoir la chose, lui qui désavouait mon expérience, il va exiger qu’on entre à la Trappe.

Je me dirige vers les doubles rideaux aveuglant la porte-fenêtre. Je constate pour lors que celle-ci n’est pas fermée complètement. Elle donne sur l’arrière de la propriété : un jardin avec des pelouses jonchées de feuilles mortes qui se ramasseront à la pelle, et limité par un bâtiment annexe servant de resserre.

Je regarde le linoléum blanc. Près de la porte, on y lit des traces de pas, des particules de terre et d’herbe.

J’essaie de reconstituer le drame. Longuant s’annonce ici pour confondre l’imposteur. Chemin faisant, il se ravise, décide de contourner la maison et de coiffer le Gros en flagrant délit de turpitude. Il connait les lieux pour les avoir visités en ma compagnie. Il entre par la porte fenêtre… Il vient se planquer derrière l’écran, seule cachette proche du cabinet d’auscultation. Mais le diabolique tueur de toubibs est dans les parages. Il l’a suivi… Ou qui sait ? Peut-être se tenait-il déjà dans cette pièce, prêt à bousiller le Gravos ?

L’arrivée de l’intrus modifie son plan. Il lui fonce dessus et le perfore sans que l’autre, bloqué entre deux parois, puisse rien tenter pour se défendre.

Fantastique, mon sixième sens, vous avouerez ? J’ai eu le pressentiment de la catastrophe. Je l’ai flairé, éprouvée dans ma chair poulardine.

Par contre, ce qu’il y a de bien chez San Antonio (que dis-je, « de bien » ? de remarquable) c’est qu’il sait affronter les pires situations avec une maitrise absolue.

— Béru : ne bouge pas de là, et tiens-toi sur tes gardes. Toi, Pinaud, renvoie les autres clients dans leurs foyers. Invente n’importe quoi. Dis-leur que le docteur a été appelé pour un accouchement.

Ces ordres donnés, je me propulse dans le jardin. Vous avez déjà vu des chiens de chasse qu’on descend de la fourgonnette où on les tenait prisonniers pendant la première phase de la battue ? Ils s’élancent, puis se mettent à tourner en rond comme des totons (les bergers allemands eux, tournent comme des teutons). Ils vont, viennent, lèvent la patte à la sauvette, repartent, le nez au sol, animés semble-t-il d’une froide fureur, d’un instinct aveugle. Ils débusquent le garenne, le coursent follement et lui brisent le dos d’un coup de mâchoire. C’est beau et sauvage.

San-A., à cette minute, mes jolies chéries, c’est un chien de chasse, à cela prêt toutefois qu’il ne lève pas la patte.

Il fonce dans le jardin, courbé en avant, le sens visuel brusquement décuplé ; tout son être est tendu comme : la corde d’un violon (cette image pour les mélomanes) ou celle d’un arc (celle-là pour les archers). Je tournique, j’oblique, je mimique, je détecte, je connecte, je défalque, j’interprète, j’applique, je circuite, je lis la pelouse comme un livre. Les feuilles jaunies sont riches d’enseignements car, humides, elles collent aux semelles et pour le Sioux traduisent certaines allées et venues.

Je retrouve sur le sol l’arrivée de Longuant. Puis, bientôt, celle de son agresseur. Une limace fraîchement écrasée par un pied pressé me prouve que l’individu est venu du fond du jardin. Je m’y rends…

Dans le hangar se trouvent des meubles empilés : ceux du dernier médecin, probablement, et que sa veuve n’a pas encore fait prendre. Je m’arrête dans le local où flotte de confuses odeurs de vieux bois. Le nez « force-nez » de San-Antonio l’invincible[2] décèle un parfum plus subtil, une senteur d’homme. Je devine que quelqu’un a séjourné là tout dernièrement, et pendant un laps de temps assez long. Les yeux fermés, à petits pompements de narines méticuleux, je crois retrouver une odeur d’eau de Cologne d’après-rasage, genre « After-chauve »…

J’explore lentement le mobilier entreposé là. J’ouvre les armoires et les bahuts, je sonde les matelas roulés, et je finis par découvrir une légère auréole huileuse sur la toile d’un sommier placé à la verticale. Au pied du sommier est un coffre à bois, vide. L’auréole se trouve à peu près à la hauteur de la tête d’un homme assis sur le coffre. Pile en face du coffre, il y a dans le mur une petite meurtrière par laquelle il est aisé de surveiller la maison. Cette resserre devait être jadis une écurie. Selon moi, l’assassin se terrait dans la petite construction. Assis sur le cofiot, il matait la maison du docteur. De temps à autre, pour se relaxer, il s’adossait au sommier. Il doit se mettre sur les cheveux un produit gras qui a laissé cette auréole.

Très bien : nous disons donc un type qui se brillantine la tignasse, cela prouve au moins qu’il a des cheveux. Rigolez pas, mes buses ! C’est par élimination qu’on arrive à du positif dans notre foutu turbin. Je peux déjà éliminer les chauves. Généralement, ce sont les bruns qui se collent de la brillantine. Je parie donc qu’il est brun. Ce n’est pas un paysan. Cette odeur d’eau de toilette en est la preuve. Ma parole, la carburation se fait, on dirait ! Je déductionne à tout va. Je compense, donc je suis !

Nous disons donc, pour commencer, que le meurtrier est un gars brun, soigné, chevelu. C’est toujours sadaki, comme disent les japonais (qui m’ont lu). Et maintenant, ladies and gentlemen, passons à un autre genre d’exercice. Ce meurtrier déguisé en assassin, il a nécessairement pris des précautions pour se venir planquer en cette resserre. Je le vois mal franchir la grille d’entrée, la tronche haute : contourner la maison et arriver dans l’ancienne écurie pour y prendre sa position de guet. C’eût été d’une témérité rare, vous l’admettrez ? Et en supposant que vous ne vouliez pas l’admettre, je peux vous jurer que ça ne m’empêcherait pas de pioncer.

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2

Je sais bien que c’est exagéré, mais ça me dope, comprenez-vous.