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— Alors ?

Je ne me marche pas longtemps sur la queue :

— Alors c’est le moment d’agir. Le fait que le Chinois ait ouvert avec ses clés indique que l’entrepôt (de beaujolais[15]) est désert pour l’instant. Good occase !

— T’as ton sésame ?

— Zob !

— T’as un feu ?

— Re-zob !

— Moi non plus. Tu croyes qu’on sonne et qu’on dit gentillement « Bonsoir, m’sieurs-dames, c’est rapport à un trafic stupéfiant qu’on est dessus ?… »

— Viens !

— Où-ce-que ?

— Les accessoires, toujours travailler les accessoires. Comme à Rome. T’as du blé ?

— Bédame.

— Grouillons !

* * *

Douze minutes plus tard… Comme dans les recettes culinaires télévisées. Tu mets un carton devant la marmite. Douze minutes plus tard, c’est écrit dessus. T’enlèves l’insert et dans la casserole tu peux mater le bon frichti doré qui fait saliver tous ces glandus sur leur tube catholique, comme dit le Gros.

Douze broquilles plus tard, or donc, nous sommes à nouveau laguches, portant l’un et l’autre une pyramide de cartons qui, pour être vides, n’en comportent pas moins un sévère emballage.

Les boîtes nous arrivent au ras des paupières. Je sonne impétueusement. Un bout d’instant passe comme une lettre à la poste, puis un fenestron s’ouvre dans la paroi de verre et un morceau supérieur du vieux Chinetoque apparaît.

— Qu’est-ce que c’est ? aboie-t-il, malgracieux, nasillard.

— Colis express en provenance de Hong Kong, objecté-je en m’efforçant de donner à mon anglais un accent chinois, ce qui est vachetement duraille pour un Français de Saint-Cloud.

— Revenez demain, c’est fermé aujourd’hui !

Sans doute que les pédégés causent ainsi aux employés dans ce pays.

Ma jugeote proverbiale est, une fois de plus, à l’honneur.

— Moi je veux bien, Sir, mais il y a marqué « Très urgent, denrées périssables » sur le paquet.

Il a les quelques secondes de flottement qui transforment mon palpitant en chicorée frisée. Puis il grommelle :

— O.K. ! je viens.

Il vient, le cher magot ! Il vient, cet estimable bonhomme.

Qu’effectivement, très peu après, cric ! crac ! la chevillette cherre.

Le Chinetoque s’écarte pour nous laisser entrer.

Tout se passe alors en un temps record, comme on dit je sais plus où, mais on le dit.

D’un commun accord, nous envoyons dinguer nos cartons vides. Je ferme la porte. Bérurier allonge un crochet de boucher au menton de l’adipeux qui, proprement foudroyé, tombe assis sur son cul bas, pareil à une grosse poire jaune, trop mûre, dont il a l’aspect gâté.

Nous nous trouvons dans un vaste hall d’arrivée servant de sas au dépôt. Il est muni à son extrémité de la même double porte permettant le passage des camions. Mais sur la droite, il y a un guichet de réception, avec, tout contre, une entrée sommée du mot « Bureau ».

Des voix retentissant dans cette partie des locaux, c’est tout naturellement vers elle que nous nous dirigeons après avoir ligoté prestement le gros sagouin avec les ficelles de nos paquets bidons.

« Vitesse sans précipitation ! » telle est notre devise pendant cette phase de l’opé. Nous pallions notre manque d’armes par une grande rigueur d’exécution.

Tu verrais agir le commando suicide, ma poule, tu en aurais la chair de coq ! La pièce où se trouvent les trois pieds nickelés étant repérée, on se met en posture de jaguars regardant boire la biche à la source.

— Go ! chuchoté-je.

Je fais de rares emprunts (à dix pour cent) au dialecte anglais, et seulement quand il s’agit de termes irremplaçables. Le mot « go » est de ceux-là. J’en use en qualité d’onomatopée, pour me nettoyer de ses miasmes originels. « Allez ! » comporte deux syllabes, ce qui est trop pour imprimer une idée de promptitude totale.

Au « go » (et Millau), c’est la ruée sauvage. Une horde de cosaques, un piqué de kamikazes (comme le sirop des Vosges) un lâcher de paras israéliens ne feraient pas davantage d’effet. On bondit en hurlant de guerre, le Mammouth et moi. Du jamais vu ! Du never entendu. Aux bons entendeurs, salut ! Aux bonzes en tendeur, sale U !

On arrive, on jaillit, on gicle, on bouscule, on dévaste. On administre, on bourre, cogne, rogne, cigogne, martèle, entête, tuméfie, stupéfie, démolit, neutralise. Mais que je te situe. Le travelo chinois est assis dans un fauteuil chromé faux cuir, les jambes sur l’accoudoir, une cigarette à bout argenté aux lèvres. Nonchalant, abandonné.

Devant lui, le couple de Ritals, presque nus. La secrétaire du museo est en coquin slip et soutien-loloches, l’ensemble dans les tons saumon. Lui, en slip tout ce qu’il y a de kangourou, et espère qu’il en coltine un beau pacsif dans le soutien-gorge à roustons.

Leurs fringues sont soigneusement disposées sur des sièges. Ils se tiennent à deux mètres l’un de l’autre en une attitude qui n’a rien d’équivoque. Juste la merveilleuse tantine qui chique les voyeurs met du graveleux dans l’affaire. Sinon on pourrait croire qu’Avani et sa potesse s’apprêtent à passer une visite prénuptiale.

Je mets le moulin en accéléré, de manière à te donner l’impression du ralenti.

Entrée foudroyante des deux féroces.

Regards stupéfiés des trois.

Béru commence par balancer un coup de talon dans la gueule du traveloche, lequel abandonne son fauteuil par le côté dossier et emplâtre le bureau. Sur sa lancée, le Gros est déjà devant la secrétaire à laquelle il administre une mandale qui foutrait bas une cheminée d’usine. Bien que la môme ne soit pas une cheminée d’usine (le doute n’est pas possible), elle est mise bas et on a vue saisissante sur son adorable fessier pour grandes personnes. Ma pomme, je suis allé droit au bel Italien. Tête-boule, rrran ! Dans le portrait. Ça me rappelle quand j’étais avant-centre dans l’équipe de foute du lycée ; un but-de-la-victoire que j’avais marqué de la tronche sous un angle impossible, comme dit Thierry Roland, que ça fait une pétée que j’l’ai pas revu, cézigue, tu crois qu’il donnerait seulement signe de vit avec ses bourrins de merde !

L’Italien s’effondre. On continue bellement d’investir. Faut que tout notre petit peuple soit colonisé bien à fond. Pas de guérilla possible. Je veux une situasse nette. Que le ménage soit bien fait, pas un grain de poussière sur une crosse quelconque de pétoire.

Alors on explore rapidos les hardes de tous. Ils n’ont pas d’armes sur eux. Qu’en feraient-ils ? Qu’avaient-ils à redouter, ici ?

Ma présence les terrifie.

— Tu m’attaches tout ça selon ta manière, toi qu’as des nœuds marins plein ta giberne.

— A ton service, gars !

Il a une manière de ligoter les autruis, Alexandre-Benoît, pardon ! Il les veut inertes pour opérer sans risques de moindre bavure. Alors au prélavable, comme il dit, une légère manchette à la nuque, et, vlouffff ! ferme tes jolis yeux, car les heures sont brèves… Tout un chacun révulse de la prunelle et donne campo à ses nerfs. Sa Majesté agit avec célérité. Le Chinois retrouve son fauteuil et y reste soudé, pieds et bras. L’Italien demeure au sol, en longueur, momie soit Kémal y pense. La jolie secrétaire est invitée pour sa part à partager la rigidité d’un pilier de soutènement. Elle fait très victime de Peaux-Rouges criards qui l’auraient prise pour cible.

— Va récupérer le vieux dans le hall, Gros. Je veux une réunion au sommet !

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15

J’hésitais à le faire, çui-là ; j’ai pu me dominer la première fois, mais je ne peux pas y tenir.