Едва не забыл сказать, что получил от Нанин длинное письмо, откуда понял, что и она, и Альфонс ломают голову, изобретая, как уговорить тебя принять в подарок соломенное вино[118], которое, по их мнению, тебе так нравится; посему они прислали мне целый перечень прямо-таки комедийных ухищрений, придуманных, чтобы вручить его тебе как бы невзначай, и спрашивают моего совета. Но раз уж между нами не те отношения, чтобы делать друг другу маленькие сюрпризы, прошу тебя, прими его попросту, или я напишу им, чтобы прислали его мне в Петербург, выйдет то же самое, а для тебя ещё удобнее, только тогда я попрошу их известить месье Морти в Любеке, что на твой адрес придёт ящик вина, чтобы он осторожно с ним обращался.
Обними за меня всю мою семью, скажи, что я сердечно люблю их, тебя же я обнимаю так же, как люблю, крепко и долго.
Дантес
XVI
Notre existence est vraiment une chose remarquable, jamais je n'ai vu plus d'accord; au moins moi, de mon côté, je n'ai pas le temps de faire un souhait ou former un dessein que tu l'as déjà rempli sans même le savoir; entre cent exemples que je pourrais citer, je choisirai celui de la gazette allemande sur laquelle par parenthèse je me suis trop étendu, chose que j'ai remarquée après avoir terminé ma lettre, mais mon très cher, je l'avoue franchement, je n'ai pas eu le courage de recommencer et puis la poste partait; mais enfin cette affaire du journal dont j'avais déjà envie de te parler lorsque tu étais encore avec moi, après que tu m'as annoncé ton voyage à Paris, la même envie m'a repris. J'ai toujours été retenu par la crainte de te donner des embarras, car je te connais et je savais que tu prendrais pour moi sur tes plaisirs, chose que je n'aurais jamais voulue. Mais lorsque j'ai vu que toi-même et qu'à ton propre gré tu t'es chargé du fardeau de débrouiller nos affaires, chose qui n'est pas facile, car voilà 30 ans qu'il у a du désordre et du pillage, alors j'ai pris mon courage à deux mains et je me suis décidé à t'en parler. Ma lettre n'a pas le temps de partir que j'en ai une de toi datée du 5 Décembre où tu m'annonces tes projets touchant cette affaire; vraiment, mon bien cher, la providence nous a gâtés! Je vais encore penser tout haut avec toi, et t'avouer franchement qu'autrefois et avant que je te connusse, je ne pouvais supporter un conseil et je le trouvais toujours donné à faux, et il m'était désagréable; avec toi, je puis te donner ma parole d'honneur, je [ne] m suis jamais surpris une autre pensée que celle-ci: "il a pourtant raison". Ne ris pas de mon amour propre, qui n'en a pas sa dose; je considère le sentiment que j'éprouve chaque fois que tu m'engages à faire quelque chose beaucoup plus important que tu ne crois; car quand deux êtres sont destinés à vivre ensemble, naturellement, l'un doit prendre le dessus sur l'autre et, la plupart du temps, plus d'esprits et plus d'expériences ne suffisent pas pour convaincre, et moi je considère comme un grand bienfait la confiance que tu as su m'inspirer; aussi tu ne peux t'imaginer combien le moindre petit compliment que tu m'écris me fait venir le rouge à la figure et me fait plaisir; c'est toujours les passages que je relis le plus souvent. C'est tout natureclass="underline" je suis fier de ce que tu sois content de moi: de ton fils! Je suis sûr que nous ferons un jour encore bien autrement des envieux que maintenant, surtout ceux qui nous approcheront assez pour voir notre bonheur. Voilà, mon cher, toutes les idées qui me passent par la tête quand je pense à toi; je pourrais t'arranger peut-être tout ceci plus élégamment, mais je serais toujours obligé à en revenir à te dire que je n'ai jamais aimé personne comme toi; et quand tu me dis, que tu ne pourrais me survivre s'il m'arrivait malheur, crois-tu par hasard que c'est une idée que ne [me] soit jamais venue? Mais moi je suis beaucoup plus raisonnable que toi, car je ne m'y arrête jamais et les chasse comme autant d'horribles cauchemars. Enfin que deviendrait notre existence si, pendant que nous sommes véritablement heureux, nous nous amusions à nous monter l'imagination et nous inquiéter de ce qui peut nous arriver de malheureux. Mais la vie deviendrait un supplice de tous les instants et certainement si tu n'étais pas heureux, personne après toi [ne] le mérite.
Mon cher ami, j'ai deux lettres à toi et je n'ai pas encore répondu ni à l'une ni à l'autre, mais ce n'est ni négligence ni paresse. J'ai fait des armes dernièrement chez Gruners, et j'ai reçu un coup de sabre sur la main qui m'a foulé le pouce et il n'y a que quelques jours que suis en état de m'en servir. J'ai du reste chargé l'imbécile de Jean-vert de te l'écrire, je ne sais s'il l'a fait mais maintenant que je vais tout à fait bien je vais tâcher de réparer le temps perdu.
Je vais commencer ma lettre par répondre à ce qu'il y a de plus intéressant dans la tienne. Comment le Roi te refuserait la seule grâce que tu lui as encore demandée! Cela n'est pas possible et du reste je ne crois pas qu'il puisse s'opposer formellement, c'est une simple démarche de sa part peut-être pour te faire voir qu'il lui est désagréable de te voir disposer de ton nom vis à vis [d'] un étranger; mais je suis bien sûr que bientôt tu recevras une lettre qui nous rendra heureux tous les deux. Je dis tous les deux, car tu me parles dans ta lettre comme si tu me supposais heureux de ce qu'il arrivait; tu n'as pas réfléchi une minute en écrivant ces lignes, car alors tu te serais rappelé certainement que ce qui te contrarie ne peut pas me faire plaisir, et là où tu trouves le bonheur, j'en trouve aussi; du reste c'est une idée à laquelle je me suis tout à fait fait de porter ton nom et je serais au désespoir d'être obligé d'y renoncer. Je crois [que] ce qu'il sera plus difficile d'obtenir, c'est une faveur de la part de l'Empereur, parce qu'en fait je n'ai rien fait pour la mériter. Une croix, il ne peut pas m'en donner car tout le monde crierait: un grade! Mon tour doit venir un de ces jours et s'il n'arrive rien de nouveau, tu me retrouveras probablement lieutenant car je suis le 2-me cornette et il y a trois vacances au régiment; je crois même qu'il ne serait pas politique de tourmenter en ma faveur, car la mienne repose seulement, je crois, sur ce que je n'ai jamais rien demandé, chose à laquelle ils ne sont pas accoutumés de la part des étrangers à leur service. Et autant que je puis juger par moi-même, la manière d'être de l'Empereur à mon égard vaut beaucoup mieux pour le moment que le peu qu'il pourrait m'accorder; au dernier bal d'Aniskoff Sa Majesté a été excessivement affable et a causé très longtemps avec moi. Pendant la conversation j'ai laissé tomber mon plumet, lorsque'il me dit en riant: «Voulez-vous bien vite ramasser ces couleurs car je ne vous permets de les quitter que pour prendre les vôtres», je lui répondis que j'acceptais d'avance cet arrangement. L'E[mpereur]: «Mais c'est aussi bien comme cela que je l'entends, mais comme il n'est pas probable que vous pourrez reprendre les autres de sitôt je vous conseille de vous en tenir à celles-ci»; sur quoi je lui ai répondu que les siennes étaient beaucoup trop bonnes et que je m'en trouvais beaucoup trop bien pour être si pressé de les quitter; alors il m'a fait une quantité de salutations, comme tu penses bien, en riant, et m'a dit que j'étais beaucoup trop aimable et trop poli, et tout ceci s'est passé au grand désespoir des assistants qui m'auraient mangé si les yeux pouvaient mordre.