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Si la plupart des individus, médecins ou non, se refusent à l'admettre, je me l'explique sans peine. Sous la pression de l'éducation, ils ont oublié les manifestations érotiques de leur propre enfance et ne veulent pas qu'on leur rappelle ce qui a été refoulé. Leur manière de voir serait tout autre s'ils voulaient prendre la peine de retrouver, par la psychanalyse, leurs souvenirs d'enfance, les passer en revue et chercher à les interpréter.

Cessez donc de douter, et voyez plutôt comment ces phénomènes se manifestent dès les premières années [10]. L'instinct sexuel de l'enfant est très compliqué; on peut y distinguer de nombreux éléments, issus de sources variées. Tout d'abord, il est encore indépendant de la fonction de reproduction au service de laquelle il se mettra plus tard. Il sert à procurer plusieurs sortes de sensations agréables que nous désignons du nom de plaisir sexuel par suite de certaines analogies. La principale source du plaisir sexuel infantile est l'excitation de certaines parties du corps particulièrement sensibles, autres que les organes sexuels: la bouche, l'anus, l'urètre, ainsi que l'épiderme et autres surfaces sensibles. Cette première phase de la vie sexuelle infantile, dans laquelle l'individu se satisfait au moyen de son propre corps et n'a besoin d'aucun intermédiaire, nous l'appelons, d'après l'expression créée par Havelock Ellis, la phase de l'auto-érotisme, Ces parties propres à procurer le plaisir sexuel, nous les appelons zones érogènes. La succion ou tétement des petits enfants est un bon exemple de satisfaction auto-érotique procurée par une zone érogène. Le premier observateur scientifique de ce phénomène, le pédiatre Lindner, de Budapest, avait déjà interprété ces faits, à juste titre, comme une satisfaction sexuelle et décrit à fond le passage de cet acte élémentaire à d'autres formes supérieures de l'activité sexuelle. Une autre satisfaction sexuelle de cette première époque est l'excitation artificielle des organes génitaux, qui conserve pour la suite de la vie une grande importance et que certains individus ne surmontent jamais complètement. A côté de ces activités auto-érotiques, et d'autres du même genre, se manifestent, très vite, chez l'enfant, ces composantes instinctives du plaisir sexuel, ou, comme nous l'appelons volontiers, de la libido, qui exigent l'intervention d'une personne étrangère.

Ces instincts se présentent par groupes de deux, opposés l'un à l'autre, l'un actif et l'autre passif, dont voici les principaux: le plaisir de faire souffrir (sadisme) avec son opposé passif (masochisme); le plaisir de voir et celui d'exhiber (du premier se détachera plus tard l'exhibition artistique et dramatique). D'autres activités sexuelles de l'enfant appartiennent déjà au stade du choix de l'objet, choix dans lequel une personne étrangère devient l'essentiel. Dans les premiers temps de la vie, le choix de cette personne étrangère dépend de l'instinct de conservation. La différence des sexes ne joue pas le rôle décisif dans cette période infantile. Sans crainte d'être injuste on peut attribuer à chaque enfant une légère disposition à l'homosexualité.

Cette vie sexuelle de l'enfant, décousue, complexe, mais dissociée, dans laquelle l'instinct seul tend à procurer des jouissances, cette vie se condense et s'organise dans deux directions principales, si bien que la plupart du temps, à la fin de la puberté, le caractère sexuel de l'individu est formé. D'une part, les tendances se soumettent à la suprématie de la «zone génitale», processus par lequel toute la vie sexuelle entre au service de la reproduction, et la satisfaction des premières tendances n'a plus d'importance qu'en tant qu'elle prépare et favorise le véritable acte sexuel. D'autre part, le désir d'une personne étrangère chasse l'auto-érotisme, de sorte que, dans la vie amoureuse, toutes les composantes de l'instinct sexuel tendent à trouver leur satisfaction auprès de la personne aimée. Mais toutes les composantes instinctives primitives ne sont pas autorisées à prendre part à cette fixation définitive de la vie sexuelle. Avant l'époque de la puberté, sous l'influence de l'éducation, se produisent des refoulements très énergiques de certaines tendances; et des puissances psychiques comme la honte, le dégoût, la morale, s'établissent en gardiennes pour contenir ce qui a été refoulé. Et, lorsque à la puberté surgit la grande marée des besoins sexuels, ceux-ci trouvent dans ces réactions et ces résistances des digues qui les obligent à suivre les voies dites normales et les empêchent d'animer à nouveau les tendances victimes du refoulement. Ce sont les plaisirs coprophiles de l'enfance, c'est-à-dire ceux qui ont rapport aux excréments; c'est ensuite l'attachement aux personnes qui avaient été tout d'abord choisies comme objet aimé.

Il y a, en pathologie générale, un principe qui nous rappelle que tout processus contient les germes d'une disposition pathologique, en tant qu'il peut être inhibé, retardé ou entravé dans son cours. – Il en est de même pour le développement si compliqué de la fonction sexuelle. Tous les individus ne le supportent pas sans encombre; il laisse après lui des anomalies ou des dispositions à des maladies ultérieures par régression. Il peut arriver que les instincts partiels ne se soumettent pas tous à la domination des «zones génitales»; un instinct qui reste indépendant forme ce que l'on appelle une perversion et substitue au but sexuel normal sa finalité particulière. Comme nous l'avons déjà signalé, il arrive très souvent que l'auto-érotisme ne soit pas complètement surmonté, ce que démontrent les troubles les plus divers qu'on peut voir apparaître au cours de la vie. L'équivalence primitive des deux sexes comme objets sexuels peut persister, d'où il résultera dans la vie de l'homme adulte un penchant à l'homosexualité, qui, à l'occasion, pourra aller jusqu'à l'homosexualité exclusive. Cette série de troubles correspond à un arrêt du développement des fonctions sexuelles; elle comprend les perversions et l'infantilisme général, assez fréquent, de la vie sexuelle.

La disposition aux névroses découle d'une autre sorte de troubles de l'évolution sexuelle. Les névroses sont aux perversions ce que le négatif est au positif; en elles se retrouvent, comme soutiens des complexes et artisans des symptômes, les mêmes composantes instinctives que dans les perversions; mais, ici, elles agissent du fond de l'inconscient; elles ont donc subi un refoulement, mais ont pu, malgré lui, s'affirmer dans l'inconscient. La psychanalyse nous apprend que l'extériorisation trop forte de ces instincts, à des époques très lointaines, a produit une sorte de fixation partielle qui représente maintenant un point faible dans la structure de la fonction sexuelle. Si l'accomplissement normal de la fonction à l'âge adulte rencontre des obstacles, c'est précisément à ces points où les fixations infantiles ont eu lieu que se rompra le refoulement réalisé par les diverses circonstances de l'éducation et du développement.

Peut-être me fera-t-on l'objection que tout cela n'est pas de la sexualité. J'emploie le mot dans un sens beaucoup plus large que l'usage ne le réclame, soit. Mais la question est de savoir si ce n'est pas l'usage qui l'emploie dans un sens beaucoup trop étroit, en le limitant au domaine de la reproduction. On se met dans l'impossibilité de comprendre les perversions ainsi que la relation qui existe entre perversion, névrose et vie sexuelle normale; on ne parvient pas à connaître la signification des débuts, si facilement observables, de la vie amoureuse somatique et psychique des enfants. Mais, quel que soit le sens dans lequel on se décide, le psychanalyste prend le mot de sexualité dans une acception totale, à laquelle il a été conduit par la constatation de la sexualité infantile.