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SECOND ESCLAVE. – Et il est homme à le faire plus qu’aucun que je connaisse.

TROISIÈME ESCLAVE. – Homme à le faire! Il le fera; car vois-tu, camarade, il lui reste autant d’amis qu’il peut avoir d’ennemis; mais ces amis n’osaient pas, en quelque façon (tu comprends), se montrer, comme on dit, ses amis dans l’infélicité [3].

PREMIER ESCLAVE. – Dans l’infélicité? Qu’est-ce que c’est que ça?

TROISIÈME ESCLAVE. – Mais lorsqu’ils le verront relever la tête et se baigner dans le sang, alors ils sortiront de leurs retraites, comme les lapins après la pluie, et se joindront à lui.

PREMIER ESCLAVE. – Mais quand se met-on en marche?

TROISIÈME ESCLAVE. – Demain, aujourd’hui, tout à l’heure: vous entendrez le tambour cette après-midi. L’expédition fait en quelque sorte partie du festin, et ils la veulent terminer avant de s’essuyer la bouche.

SECOND ESCLAVE. – Bon: nous allons donc revoir le monde en mouvement! Cette paix n’est bonne à rien qu’à rouiller le fer, enrichir les tailleurs, et nourrir des chansonniers.

PREMIER ESCLAVE. – Moi, je dis: ayons la guerre; elle surpasse autant la paix que le jour surpasse la nuit: elle est vive, vigilante, sonore, et pleine d’activité et de trouble. La paix est une vraie apoplexie, une léthargie fade, sourde, assoupie, insensible: elle fait plus de bâtards que la guerre ne détruit d’hommes.

SECOND ESCLAVE… – C’est cela, et comme la guerre peut s’appeler un métier de voleur, la paix n’est bonne qu’à faire des cocus.

PREMIER ESCLAVE. – Oui, et elle rend les hommes ennemis les uns des autres.

TROISIÈME ESCLAVE. – Bien dit, parce qu’ils ont alors moins besoin les uns des autres. Allons, la guerre, pour remplir ma bourse! J’espère dans peu voir les Romains à aussi vil prix dans le marché que l’ont été les Volsques… J’entends du bruit: ils se lèvent de table.

TOUS TROIS. – Entrons vite, vite, entrons.

(Ils sortent»)

SCÈNE VI

Rome. – Une place publique.

SICINIUS ET BRUTUS.

SICINIUS. – Nous n’entendons plus parler de lui, et nous n’avons pas à le craindre. Toutes ses ressources sont anéanties par la paix actuelle et par la tranquillité du peuple, qui auparavant était dans un horrible désordre. Ses amis rougissent à présent que le monde va à merveille sans lui. Ils aimeraient mieux, dussent-ils en souffrir eux-mêmes, voir le peuple ameuté en troupes séditieuses infester les rues de Rome, que nos artisans chanter dans leurs ateliers, et aller en paix à leurs travaux.

(Ménénius paraît.)

BRUTUS. – Nous avons bien fait de tenir bon. – N’est-ce pas là Ménénius.

SICINIUS. – C’est lui, c’est lui. Oh! oh! il s’est bien adouci depuis quelque temps! – Salut, Ménénius.

MÉNÉNIUS. – Salut, vous deux.

SICINIUS. – Votre Coriolan n’est pas fort regretté, si ce n’est par ses amis. Vous le voyez, la république subsiste encore, et continuera de subsister, en dépit de tout son ressentiment.

MÉNÉNIUS. – Tout est bien, et aurait pu être encore mieux, s’il avait pu temporiser.

SICINIUS. – Où est-il allé? en savez-vous quelque chose?

MÉNÉNIUS. – Non, je n’en ai rien appris: sa mère et sa femme n’ont eu de lui aucunes nouvelles.

(Arrivent trois ou quatre citoyens.)

LES CITOYENS. – Que les dieux vous conservent!

SICINIUS. – Salut, voisins.

BRUTUS. – Salut, vous tous, salut!

PREMIER CITOYEN. – Nous, nos femmes et nos enfants, nous devons à genoux adresser pour vous nos vœux au ciel.

SICINIUS. – Vivez et prospérez.

BRUTUS. – Adieu, nos bons voisins. Nous aurions souhaité que Coriolan vous aimât comme nous vous aimons.

LES CITOYENS. – Que les dieux veillent sur vous!

LES DEUX TRIBUNS. – Adieu, adieu.

(Les citoyens sortent.)

SICINIUS. – Ce temps est plus heureux, plus agréable pour nous, que lorsque ces gens couraient dans les rues en poussant des cris confus.

BRUTUS. – Caïus Marcius était un bon officier à la guerre; mais insolent, bouffi d’orgueil, ambitieux au delà de toute idée, n’aimant que lui.

SICINIUS. – Et aspirant à régner seul, sans partage ni conseil.

MÉNÉNIUS. – Je ne suis pas de votre avis.

SICINIUS. – Nous en aurions fait tous la triste expérience, à notre grand malheur, s’il fût arrivé au consulat.

BRUTUS. – Les dieux ont heureusement prévenu ce danger, et Rome est en paix et en sûreté sans lui.

(Entre un édile.)

L’ÉDILE. – Honorables tribuns, un esclave que nous venons de faire conduire en prison rapporte que les Volsques, en deux corps séparés, sont entrés sur le territoire de Rome; qu’ils exercent toutes les fureurs de la guerre, et détruisent tout sur leur passage.

MÉNÉNIUS. – C’est Aufidius qui, ayant appris le bannissement de notre Marcius, ose encore montrer ses cornes. Lorsque Marcius défendait Rome, il se tenait dans sa coquille, et osait à peine jeter un coup d’œil à la dérobée.

SICINIUS. – Que dites-vous de Marcius?

BRUTUS, à l’édile. – Allez, et faites fustiger ce porteur de nouvelles; il n’est pas possible que les Volsques aient l’audace de rompre la paix.

MÉNÉNIUS. – Ce n’est pas possible? Nous avons de quoi nous souvenir que cela est très-possible; et j’en ai vu, moi, dans l’espace de ma vie, trois exemples consécutifs. Mais, du moins, interrogez à fond cet esclave avant de le punir; sachez de lui d’où il tient cette nouvelle, et ne vous exposez pas à fouetter et à battre le messager qui vient vous avertir du danger qui nous menace.

SICINIUS. – Ne m’en parlez pas: moi, je suis convaincu que cela est impossible.

BRUTUS. – Non, cela ne se peut pas.

(Arrive un messager.)

LE MESSAGER. – Les nobles, d’un air très-sérieux, vont tous au sénat: il est arrivé quelque nouvelle qui leur a fait changer de visage.

SICINIUS. – Ce sera cet esclave! (À l’édile.) Allez, vous dis-je, et faites-le battre de verges devant le peuple assemblé. Une nouvelle de son invention! – C’est son rapport qui cause tout ceci.

LE MESSAGER. – Oui, digne tribun, c’est le rapport de l’esclave, mais appuyé par d’autres avis plus terribles encore que le sien.

SICINIUS. – Et quels autres avis plus terribles?

LE MESSAGER. – On dit beaucoup et tout haut (à quel point le fait est probable, je n’en sais rien) que Marcius, ligué avec Aufidius, conduit une armée contre Rome, et qu’il a fait serment d’exercer une vengeance qui enveloppera tout, depuis l’enfant au berceau jusqu’au vieillard infirme.