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«... Vous transmettrez ces données sous forme numérique depuis Palo Alto, Californie, États-Unis d’Amérique, durant les 24 heures de la journée du vendredi 13 juin 1980. La longueur d’onde à utiliser... le code numérique... En guise de reçu, vous aurez droit au prolongement de votre ligne temporelle...»

Ça aussi, c’était rusé. Le message ne risquait pas d’être capté accidentellement par un habitant de la Silicon Valley, mais l’activité électronique était si importante dans cette région qu’il serait impossible de localiser son récepteur.

«... Nous n’utiliserons pas cet appareil sur la planète Terre. Par conséquent, la Patrouille du temps ne doit pas craindre de violer sa Prime Directive en nous assistant de cette manière. Au contraire, c’est pour vous le seul moyen de préserver votre existence, n’est-ce pas ?

« Salutations, nous sommes dans l’attente. »

Pas de signature.

« Il n’y aura pas de transmission, n’est-ce pas ? » demanda Yael à voix basse. Ses yeux étaient énormes dans la pénombre de la pièce. Elle a des enfants en aval, se rappela Everard. Ils disparaîtraient en même temps que leur monde. « Non, répondit-il.

— Et notre réalité est toujours là ! s’écria Chaim. Vous êtes venu jusqu’ici, en partant de 1980. Donc, nous avons dû appréhender ces criminels. »

Le soupir que poussa Everard sembla lui glacer le torse. « Vous savez bien que ce n’est pas aussi simple, dit-il d’une voix atone. La nature quantique du continuum... Si Tyr est détruite, eh bien, nous serons toujours là, mais nos ancêtres, vos gosses, tout ce que nous connaissions aura disparu. L’Histoire du monde aura changé de façon radicale. Quant à savoir si les vestiges de la Patrouille pourront la restaurer – prévenir le désastre, en d’autres termes –, cela reste problématique. Je dirais même improbable.

— Mais en quoi cela profiterait-il à ces criminels ? » Cette question était quasiment un cri.

Everard haussa les épaules. « Sans doute en retireraient-ils une cruelle satisfaction. La tentation de jouer à Dieu visite parfois les meilleurs d’entre nous, n’est-ce pas ? Sans parler de celle de jouer à Satan. En outre, s’ils veillent à se poster en amont de la catastrophe, ils seront épargnés par celle-ci. Et ils auraient de grandes chances de régner sur un avenir où seuls de rares survivants de la Patrouille pourraient s’opposer à eux. Et, à tout le moins, ils se seraient bien amusés. »

Moi-même, il m’est arrivé de me rebeller face aux restrictions qu’on m’imposait. « Amour, si nous pouvions prendre au Destin / Le triste plan des choses de ce monde[3]...»

« En outre, ajouta-t-il, il est possible que les Danelliens annulent notre décision et nous ordonnent de leur livrer le secret. En regagnant mon époque, je constaterai que cette donnée de mon univers a été altérée. Une variation mineure pour ce qui est du XXe siècle, sans aucune conséquence notable.

— Mais les autres siècles ! hoqueta Yael.

— Ouais. Nous n’avons que la parole de ces truands pour nous garantir qu’ils séviront dans un avenir lointain et en dehors du système solaire. Une parole sans aucune valeur, je vous le parierais. Vu les capacités du transmuteur, pourquoi rester à l’écart de la Terre ? Celle-ci demeurera à jamais le domaine des humains, et je ne vois pas comment la Patrouille pourra s’opposer à leurs agissements.

— Mais qui sont-ils ? murmura Chaim. Avez-vous une idée sur la question ? »

Everard but une gorgée de whisky et inhala une bouffée de tabac, comme si la chaleur de l’un et de l’autre pouvait gagner son esprit. « Il est trop tôt pour se prononcer, que ce soit sur ma ligne temporelle... ou sur la vôtre, hein ? Selon toute évidence, ils viennent du futur, sans doute en amont de l’Ère de l’Un qui précède l’avènement des Danelliens. Au fil des millénaires, il était obligé que des fuites se produisent – suffisamment pour qu’une partie intéressée se fasse une idée de l’appareil et de ses possibilités. Nous avons très certainement affaire à des desperados sans foi ni loi, qui se fichent de savoir que leurs actes risquent d’entraîner la disparition de la société qui les a engendrés, et de tous leurs proches qui en font ou en ont fait partie. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse de Neldoriens[4] par exemple. Cette opération est trop sophistiquée. L’adversaire a consacré beaucoup de temps et d’effort à apprendre à connaître le milieu phénicien et à s’assurer de son caractère de nexus.

« Le cerveau de l’entreprise est sans doute un génie. Mais un génie du genre puéril – vous avez remarqué cette date du vendredi 13 ? Il y a aussi le fait que le sabotage a été perpétré tout près de chez vous. Ce modus operandi... plus le fait que l’on m’ait identifié comme un Patrouilleur... tout cela suggère fortement... Merau Varagan.

— Qui ça ? »

Everard ne répondit pas tout de suite. Il se mit à marmonner comme s’il parlait tout seul. « Oui, c’est possible. Quoique ça ne nous aide guère. La bande a fait son boulot en amont, pas de doute... oui, elle a besoin d’une base de données recouvrant plusieurs années. Et cette antenne est en sous-effectif. Comme l’ensemble de la Patrouille, bon sang ! » Même si les agents jouissent d’une longévité accrue. Tôt ou tard, nous y passerons tous, jusqu’au dernier. Et il nous est interdit de prévenir la mort d’un camarade à laquelle nous avons assisté, tout comme nous n’avons plus le droit de le revoir avant son décès, car cela déclencherait des remous dans le temps, des remous qui pourraient déboucher sur un maelström ; sans parler de notre propre souffrance. « Nous pouvons détecter l’arrivée ou le départ d’un véhicule temporel, à condition de savoir où pointer nos instruments. C’est peut-être ainsi que cette bande à localisé le QG de la Patrouille, à moins qu’elle n’ait interrogé des visiteurs naïfs. Mais peut-être nos adversaires sont-ils arrivés dans cette ère en un lieu éloigné, gagnant ensuite cette ville par des moyens de transport normaux afin de passer inaperçus, un peu comme j’ai tenté de le faire.

» Il nous est impossible de fouiller tous les points de l’espace-temps local. Nous n’avons pas les ressources humaines nécessaires, et, de plus, une telle activité entraînerait des anomalies temporelles que nous préférons éviter. Non, Chaim, Yael, nous devons trouver des indices, rétrécir le champ de nos investigations. Mais comment faire ? Par où commencer ? »

Comme sa couverture était flambée, Everard accepta la chambre d’amis que lui proposaient les Zorach. Il y serait plus à l’aise que dans une auberge et pourrait y installer l’équipement dont il avait besoin. Toutefois, il resterait à l’écart de la vie de la cité.

« Je vais vous arranger une entrevue avec le roi, promit son hôte. Ça ne posera aucun problème : c’est un homme brillant, qui ne peut manquer d’être intéressé par un visiteur aussi exotique. » Gloussement. « Il est tout naturel que Zakarbaal le Sidonien, qui a besoin de cultiver l’amitié des Tyriens, dise à Sa Majesté qu’il vient de faire votre connaissance.

— Parfait, répondit Everard, et une telle rencontre ne peut être que positive. Peut-être même que le roi nous sera utile. En attendant... euh... la journée est loin d’être finie. Je pense que je vais me balader en ville, m’en faire une meilleure idée, fouiner en peu en espérant renifler une piste. »

Rictus de Zorach. « C’est peut-être vous qu’on reniflera. Votre agresseur est encore dans les parages, j’en jurerais. »

Everard haussa les épaules. « C’est un risque à courir, et c’est peut-être lui qui le court. Prêtez-moi une arme, s’il vous plaît. Un sonique. »

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3

Edward Fitzgerald, Les Rubaiyat d’Omar Khayyam, LXXIII, trad. F. Roger-Cornaz, éd. Payot. (N. d. T.)

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4

Voir « L’Autre Univers », op. cit. (N.d.T.)