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Il régla l’engin en mode étourdisseur plutôt qu’en mode létal. Un prisonnier en vie aurait été pour lui le plus beau des cadeaux. Vu que l’ennemi le savait, il ne s’attendait pas à une nouvelle attaque – pas aujourd’hui, du moins.

« Prenez aussi un désintégrateur, suggéra Chaim. Ça leur ressemblerait bien de vous attaquer par les airs. Faire surgir un sauteur au bon moment, planer quelques secondes en antigrav et ouvrir le feu. Ils ne partagent pas notre souci de discrétion, après tout. »

Everard plaça cette seconde arme à sa ceinture. En les apercevant, un Phénicien penserait à de simples talismans et, en outre, il prendrait soin de les recouvrir de sa cape. « Je ne pense pas que ma personne vaille la peine de courir un tel risque, dit-il.

— Elle le valait bien tout à l’heure, non ? Au fait, comment ce type a-t-il deviné que vous étiez un agent ?

— Peut-être lui avait-on donné ma description. Merau Varagan est bien du genre à dresser la liste des agents non-attachés qualifiés pour cette mission. Ce qui me pousse à croire que c’est bien à lui que nous avons affaire. Auquel cas notre adversaire est aussi rusé que redoutable.

— Veillez à rester bien en vue, supplia Yael Zorach. Et rentrez avant la tombée de la nuit. La criminalité n’est guère répandue ici, mais il n’y a pas d’éclairage public et, la nuit, les rues sont quasiment désertes. Vous feriez une proie facile. »

Everard s’imagina chassant son chasseur en pleine nuit, mais il renonça à cette idée, la situation n’étant pas désespérée à ce point. « Entendu, je serai là pour dîner. J’aimerais savoir à quoi ressemble la cuisine tyrienne – en ville, je veux dire, je connais déjà l’ordinaire des marins. »

Son hôtesse se força à sourire. « Elle n’est pas terrible, j’en ai peur. Les indigènes ne sont pas des épicuriens. Toutefois, j’ai enseigné plusieurs recettes modernes à notre cuisinière. Que diriez-vous d’une carpe farcie en guise de hors-d’œuvre ? »

4

Les ombres s’étaient allongées et l’air rafraîchi lorsque Everard sortit dans la rue des Accastilleurs. Dans l’artère perpendiculaire à cette dernière, la circulation n’avait rien perdu de son intensité. De par leur situation en bord de mer, Tyr et Usu étaient exemptes de la chaleur méridienne qui justifiait la coutume de la sieste dans bien des contrées, et, de toute façon, aucun Phénicien digne de nom n’aurait préféré le sommeil au commerce.

« Maître ! » lança une voix joviale.

Mais c’est mon petit rat des quais ! « Salut... euh... Pummairam », dit Everard. L’adolescent, assis contre un mur, se leva d’un bond. « Qu’est-ce que tu fais là ? »

Le corps mince et bronzé se fendit d’une révérence, mais les yeux comme les lèvres ne perdirent rien de leur malice. « J’attends, dans l’espoir fervent de pouvoir être utile à sa luminescence ! »

Everard fit halte et se gratta la tête. Ce gamin s’était montré étonnamment vif, et sans doute lui avait-il sauvé la couenne, mais... « Eh bien, je regrette, mais je n’ai plus besoin de ton aide.

— Oh ! sire, tu plaisantes. Permets-moi de m’esclaffer de cette saillie ! Un guide, un entremetteur, un rempart contre certains vauriens... voire pire – un seigneur de ta magnanimité n’osera point priver un misérable comme moi de la gloire de sa présence, de la profondeur de sa sagesse, du souvenir qu’il chérira éternellement de son auguste compagnie. »

Si ce discours sentait le sycophante, ce qui n’avait rien d’incongru dans cette société, on ne pouvait pas en dire autant du ton sur lequel il était prononcé. Pummairam s’amusait comme un fou, comprit Everard. Sans doute était-il également dévoré par la curiosité et impatient d’en savoir davantage. Il frissonnait devant lui, les yeux plantés dans les siens.

Everard prit une décision. « Tu as gagné, mon lascar », lança-t-il, souriant de toutes ses dents lorsque Pummairam se mit à danser de joie. Ce n’était pas une mauvaise idée que d’engager un serviteur, de toute façon. Son but n’était-il pas de mieux connaître la cité, sans se cantonner au superficiel ? « Maintenant, dis-moi ce que tu penses pouvoir faire pour moi. »

Le garçon se figea, inclina la tête sur le côté, posa un doigt sur son menton. « Cela dépend du désir de mon maître. S’il est ici pour affaires, quel en est le type et qui est son partenaire ? S’il cherche le plaisir, les questions sont les mêmes. Mon seigneur n’a qu’à parler.

— Hum. » Eh bien, pourquoi ne pas lui dire la vérité, dans la mesure où cela m’est autorisé ? S’il se révèle insatisfaisant, je peux toujours le renvoyer, même s’il risque de s’accrocher comme une tique. « Alors, écoute-moi bien, Pum. Je suis venu à Tyr pour y traiter des affaires de la plus haute importance. Oui, peut-être même qu’elles concernent les suffètes et le roi. Comme tu l’as vu, un magicien a tenté de m’attaquer. Tu m’as aidé à le repousser. Cela risque de se reproduire, et peut-être aurai-je moins de chance. Je ne puis t’en dire plus, cela m’est interdit. Mais je pense que tu le comprendras, j’ai besoin d’en savoir davantage sur ta cité et de rencontrer nombre de ses habitants. Que me suggérerais-tu ? Une taverne, peut-être, où j’offrirais la tournée générale ? »

Sur les traits de l’adolescent, la malice laissa place à la concentration. Le front plissé, il regarda dans le vide pendant quelques instants, puis il claqua des doigts et gloussa. « Ah ! oui. Eh bien, ô mon excellent maître, je ne saurais mieux recommander comme entrée en matière qu’une visite au grand temple d’Asherat.

— Hein ? » Surpris, Everard consulta les données stockées dans son cerveau. Asherat, que la Bible appellerait Astarté, était la compagne de Melqart, le dieu tutélaire de Tyr – Baal-Melek-Qart-Sor... C’était une déité des plus puissantes, déesse de la fertilité des hommes, des animaux et de la terre, une guerrière qui avait bravé l’enfer pour ressusciter son amant d’entre les morts, une reine des mers dont Tanith n’était peut-être qu’un avatar... oui, c’était l’Isthar des Babyloniens et, plus tard, les Grecs la vénéreraient sous le nom d’Aphrodite...

« Enfin ! mon maître si sage ne saurait ignorer qu’un visiteur arrivant dans notre cité, un visiteur, qui plus est, aussi important que lui, aurait grand tort de ne pas lui rendre hommage, de peur qu’elle ne sourie point à son entreprise. En vérité, si les prêtres avaient vent d’une telle omission, ils se dresseraient contre toi. Certains des émissaires de Jérusalem ont rencontré par le passé de semblables difficultés. Et puis, n’est-ce pas accomplir une bonne action que de libérer une dame de la servitude et de la frustration ? » Pum se fendit d’une œillade suggestive, d’un sourire salace et d’un coup de coude complice. « En plus, c’est une occasion de tirer un coup. »

Le Patrouilleur comprit enfin. L’espace d’un instant, il se sentit désarçonné. Comme la plupart des sémites de cette époque, les Phéniciens exigeaient que toute femme née libre sacrifie sa virginité à la déesse, en servant dans son fanum[5] comme prostituée sacrée. Elle n’avait le droit de se marier qu’après qu’un homme avait payé pour ses faveurs. Cette coutume n’avait rien de licencieux ; elle trouvait son origine dans de terribles rituels de fertilité datant de l’Age de pierre. Certes, elle attirait aussi des pèlerins et d’autres visiteurs étrangers, dont le séjour était source de revenus.

« J’espère que le peuple de mon seigneur ne proscrit pas de telles visites, dit le garçon d’une voix inquiète.

— Euh... non.

— Bien ! » Pum prit Everard par le coude et l’entraîna à sa suite. « Si mon seigneur autorise son serviteur à l’accompagner, je ne manquerai pas de lui désigner une personne dont la connaissance lui sera utile. En toute humilité, je précise que je connais bien notre cité et que je sais me servir de mes yeux et de mes oreilles. Les uns comme les autres sont entièrement au service de mon maître. »

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5

Terrain  consacré / Temple (NScan)