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— Ja, ja ! Gut ! Gut !

— Dites à vos dames de compagnie que vous voulez marcher un peu sur le ponton pour respirer l’air du large. Si elles veulent vous suivre, fâchez-vous, compris ?

— Gut ! Guuuuut !

— Je serai au bout du ponton, avec un canot à moteur. Vous prendrez place à mon côté et je vous conduirai dans une propriété paradisiaque, toute proche où je pourrai vous faire vraiment l’amour. L’amour complet, l’amour total. L’amour qui fait crier…

— Ahrrrr ! Guuuut !

Elle se calme et murmure :

— Que diront Anna et Alexandra ?

— Vous leur expliquerez que vous avez demandé au moniteur de ski nautique de vous faire faire une promenade en mer.

Mais elle ne paraît pas convaincue.

— Elles m’accompagneront, assure-t-elle ; jamais elles ne me laissent seule.

J’évoque l’hypothèse numéro 2 de Duck.

— Eh bien, — qu’elles vous accompagnent.

— Mais alors, si elles me suivent…

— Ayez confiance en moi, je saurai bien les convaincre.

— Elles !

Natacha hausse ses montagneuses épaules.

— Moi ! promets-je en ponctuant d’une caresse aphrodisiaque.

* * *

Mon canot danse contre les pilotis moussus. Le bois immergé ne se corrompt pas, mais quand le niveau baisse sous le phénomène de la mini-marée, ça se met à pourrir. Ainsi de nous. Dans l’eau du sein maternel nous nous développons et devenons des êtres humains. Dès que nous sommes en contact avec l’air, nous commençons à nous gâter et devenons des morts en puissance.

La plage est presque vide à pareille heure. Quelques jeunes jouent déjà au volley-ball, à l’arrière-plan. Un vieux type en pantalon blanc fait son footinge, les coudes au corps, pour tenter de se désoutrager des ans. Mais les ans, tiens, fume ! Bras d’honneur. Tu veux du chêne ou du sapin ?

J’aperçois enfin un trio admirable sur l’allée conduisant à l’hôtel Bella Vista. Les trois grasses ! En jaune, en rouge, en bleu. Le drapeau roumain, pour ainsi dire.

Mamie marche entre ses deux angesses gardiennes. C’est elle la plus grosse. Et de loin. Elles forment le nombre 101, dans cette formation, les chéries.

Je les vois qui larguent leur petit fourbi dans la cabine. Il fait un temps sublime, le soleil commence déjà à cogner.

Ma Natacha parlemente… Délibérément, elle se dirige vers mon ponton (comme nos voleurs).

Ça y est, ça ne fait pas un pli : ses deux gaillardes sautent dans sa roue, d’autor !

Les méchantes salopes ! Tu parles d’un bonheur, Mémère, de se coltiner cet attelage à longueur d’existence sous prétexte que son kroum est un personnage important du régime ! Pour vivre heureux, vivons couchés. La mamie saute-au-paf, elle préférerait avoir marié un O.S., voire un simple manar du charbon-acier ! Elle pourrait se faire pointer à l’aise pendant qu’il irait se respirer les trois-huit, le gaillard.

Le trio s’annonce sur la jetée de bois, laquelle s’avance loin dans la mer. Bon, le sort en est jeté, comme disait César avant de prendre le bac pour traverser le Rubicon. Je vais devoir user des big moyens. Duck m’a donné un repère : le premier des pneus destinés à amortir les accostages.

J’attends que les trois dadames l’atteignent ; voilà, elles y sont. Je tire alors sur une poignée de fer logée sous les planches du ponton. Comme dans les actualités, quand on voit des immeubles préalablement minés s’écrouler au ralenti, une partie de la jetée de bois s’affaisse brusquement, sans bruit. Et plouf ! les trois grognasses sont dans la tisane. Quel beau travail ! Mon admiration pourrait être turque car elle va croissant. Un impect boulot de sape. Les pilotis ont été sectionnés dans l’eau et il suffisait d’un pet de moustique pour que tout s’écroule. Voilà qui est fait.

Je manœuvre en souplesse pour foncer au secours des naufragées. Les trois commères se débattent, empêtrées dans leurs vêtements. Je les repêche de mon mieux. Pas fastoche. D’abord, la générale, puis ses duègnes. Logique, non ? Tu verrais les trois vachasses suffocantes et crachoteuses, ruisselantes, congestionnées, les yeux comme des boules de pétanque ! Du grand spectacle.

Mais je ne me perds pas en contemplation. Y a urgence. A partir de tout de suite, chaque seconde compte. Alors je pique le long de la côte. Les rares estivants qui ont assisté au « drame » se rassemblent devant le ponton. Me voyant foncer avec mes naufragées, ils estiment que je les emmène à l’hosto. Rien, en effet, ne pourrait faire songer à un enlèvement.

Je mets pleins gaz, mon canot vole sur les flots. Les « malheureuses » reprennent tant mal que bien leurs esprits. Elles claquent des ratiches dans la fraîcheur matinale. Y en a même une qui adresse une prière à Marx-le-Père, à Lénine, son fils unique, notre Sauveur, à saint Staline, son disciple[3]

Je défile devant le front des hôtels. Ensuite, il y a des maisonnettes Sam’suffit, puis des raffineries de pétrole, des conserveries de poissecailles, des usines mal identifiables. Et encore après, la campagne.

L’une des ogresses a repris du poil de la bestiole.

— Où nous emmenez-vous ? elle demande en roumain (du moins je suppose).

Je lui souris et adresse un geste rassurant.

— Où allons-nous ? reprend-elle, en mauvais anglais cette fois.

Idem, je lui réponds par un sourire qui devrait être ensorceleur mais ne lui fait pas plus d’effet qu’une pipe à une statue de marbre.

La vieille carne se met à palper ses hardes détrempées et finit par en sortir un ya allongé dont elle fait jouer la lame livide. Un rayon de soleil vient faire joujou sur l’acier.

Mémère a son retour d’âge ou quoi ?

Je dégaine l’ustensile que m’a fourni Duck et le braque sur la nergumène. Ça ressemble à un pistolet, ça a la couleur d’un pistolet, mais ça n’est pas du Canada Dry. Je presse la détente. Un léger « tchlouc », presque mutin. Poupette s’écroule. Pour éviter d’autres vilaines réactions, j’assaisonne de même la seconde cheftaine. Voilà qui est net.

— Qu’est-ce que vous faites ? tente de s’enquérir mon himalaya de saindoux aux seins doux.

Je lui gigote ma langue, salingue.

— Gut ! Gut ! je lui promets.

* * *

Ma caltade dure une quinzaine de minutes. Enfin, j’aperçois sur la rive le mât annoncé par Duck, au sommet duquel flotte le drapeau roumain ainsi qu’un pavillon rouge frappé d’une étoile d’or.

Je pique droit dessus et opère un accostage impeccable. Le temps d’attacher mon embarcation à un pieu et j’aide Mamie Natacha à débarquer.

Elle semble ravie par l’aventure. Oh ! elle se gaffe bien que les choses prennent une drôle de tournure, mais elle a confiance en moi et envisage sans angoisse la perspective d’un enlèvement. Elle échangerait volontiers son Kremlin contre le Kremlin-Bicêtre, Babouchka.

A son âge, chiquer les Juliette, c’est encore mieux qu’une platée de côtelettes pojarski, malgré qu’elle aime la bouffe.

Nous nous dirigeons vers un bois de hêtres ou de nepasaîtres, impossible de trancher sans être arboriculteur.

Tout est silencieux, à l’exception des oiseaux.

Nous parcourons une centaine de mètres, hand in the hand, et débouchons à l’orée d’une vaste carrière de sable abandonnée. Au fond de la carrière, stationne un hélicoptère aux couleurs roumaines.

J’aide la vieille à dévaler jusqu’à lui.

Elle est trop essoufflée pour pouvoir poser des questions, mais me suit sans l’ombre d’une résistance.

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3

Je sais une bande de Mousus qui va égosiller comme quoi je fais de l’anticommunisme primaire. J’insurge. Primaire, ça oui : je le suis. M’en vante. Mais anticommuniste, non. Y a toujours un moment de la journée où je suis marxiste ; comme il y en a toujours un où je suis constipé. Et puis je vais à la selle et ça va mieux. L’autre matin, en m’éveillant, je me suis senti canuetiste, mais ça venait du repas de la veille. A vrai dire, je te le répète : je suis tout et rien. Surtout rien. C’est ce qui fait ma richesse.