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— Parlez-moi de Monique de Souvelle, brigadier…

Il ne demande que ça, le self-pédicure. Du moment qu’on lui donne de l’importance, il est partant. Lui, les premiers grands rôles en costumes, c’est son vice. Il doit être d’Alençon : il aime broder. Et le voilà qui démarre en rase-mottes :

— Faut dire que le vieux de Souvelle y a pris peine. Joueur que vous pouvez pas vous imaginer. Sa culotte qu’il a laissée sur les champs de courses…

Pinaud participe, vite fait.

— L’oncle de ma femme était comme ça, assure le Croulant. Brave homme, mais tout pour le cheval. Il avait une épicerie fine à Montrouge, si je vous disais…

— Non, tranché-je, ne le dis pas ; écris-le plutôt sur du papier à musique et fais-le orchestrer…

Il hausse les épaules et s’abstient. Le pandore peut continuer.

Le brigadier qui a des usages sort une bouteille de pastaga de son placard ainsi que quatre verres douteux et il prend un vieil arrosoir plein d’eau.

Il sert d’abondantes rations.

— Vous mettez de l’eau dedans ? demande-t-il.

— Une goutte, pour parfumer, dit Pinaud.

— Et moi, une goutte aussi, par hypocrisie, roucoule le gars Béru radieux comme un soleil d’Austère-Litz.

L’atmosphère est à la détente. D’ailleurs, mis en confiance, le brigadier desserre son ceinturon de deux crans afin de libérer son abdomen.

Il avale son pastis sec, claque de la menteuse, se torche les mollusques et attaque :

— Veuf de bonne heure avec une fille sur les bras. Y s’occupait pas d’elle. C’était la dégringolade au château. Monique, à peine qu’elle a eu ses dix-huit ans, elle s’est barrée, comprenez !

Un triple hochement de carafons lui indique que nous comprenons. Voyant qu’il a affaire à des psychologues convaincus, le gendarme poursuit :

— Ce qu’elle a pu maquiller, c’te gosse, j’en sais trop rien. Toujours z’est-il qu’elle a fait causer d’elle. La foiridon. La vie de barreau de chaise après la vie de château. Du coup, le vieux s’est barricadé dans sa bicoque. Il avait honte et voulait plus voir personne. Il était fauché et ne bouffait que du fromage.

— On en fait du bon, dans la région ? demande Bérurier, lequel a deux couvercles de boîte de camembert à la place des yeux.

— Pas mauvais, assure le gendarme.

— Fromage cuit ? insiste le Gravos.

— Non, fromage gras.

— A combien ?

— Cinquante-cinq pour cent.

— C’est la bonne moyenne ! décrète l’Enflure.

— Ensuite ? coupé-je.

Le brigadier va pour continuer, mais un marmot barbouillé de confiture entre en chialant et dit à son papa que le fils du voisin vient de le traiter de fils de bourrique.

Le brigadier console, en bon père, promet ses sévices et, comme son hoir ne se calme pas assez vite, l’évacue du burlingue à coups de savate dans le prosper.

— On causait de quoi ? me demande-t-il, un peu égaré en dégrafant son col.

— De Monique… Vous la connaissez ?

— Comme je vous vois. Elle venait de temps à autre voir son vieux. Elle roulait dans des autos de luxe…

— Une M.G. ? demande Pinaud, infaillible dans ses déductions.

— Non, y avait pas d’initiales dessus… La dernière fois elle s’est annoncée avec une bande de mal embouchés, ç’a été la goutte d’eau qui met le feu aux poudres. De Souvelle l’a virée.

— C’était quand ?

— Semaine passée.

— Décrivez-moi la jeune personne, please, brigadier.

L’autre se concentre comme un athlète qui va essayer les douze mètres cinquante au saut à la perche.

Il annonce, d’un ton haché menu et saupoudré de persil :

— La vingtaine… Taille un mètre soixante-cinq environ. Cheveux blonds. Front moyen. Yeux clairs. Nez droit. Signes particuliers : néant.

Il se tait, s’essuie les quelques centimètres carrés de peau qui lui servent de front et me regarde.

— Vous voyez, commissaire ?

— Je vois.

Et c’est vrai. Je vois.

Je vois que c’est bien miss de Souvelle qui m’a joué la grande scène de « Madame en reveut » hier soir. C’est la fille du comte qui m’a prêté sa chignole. Une tire achetée au nom de son dabe pour des raisons imprécises…

Alors là, les potes, j’avoue que je suis dans les vapes. S’amuser à flouer un poulet sous son vrai blaze, l’envoyer au casse-pipe dans sa propre bagnole, voilà qui n’est pas courant. A vrai dire, c’est la toute première fois que ça m’arrive…

— Ça te la coupe, hein ? remarque le bienheureux Pinaud.

J’acquiesce.

— Vous permettez que j’use de votre téléphone, brigadier ?

— Abusez-z-en ! renchérit le gradé.

Je décroche le bigophone à moulinet gyroscopique à bain d’huile monté sur plate-forme tournante et j’obtiens une voix féminine et méridionale qui me demande ce qu’il y a pour mon service…

Je lui réclame la communication avec un grand journal du soir que je ne nommerai pas afin de ne pas faire une publicité disproportionnée à M. Pierre Lazareff.

L’ayant obtenue, je me fais brancher sur le service de mon ami Larronde, le champion du monde du bobard toutes catégories.

— Mais c’est le commissaire de Mé-choses ! brame le loustic en identifiant mon organe. Alors, bel emplumé, quoi de sensationnel dans ton compartiment de fumeurs ?

— Je t’apporte une information, mon grand.

— La principauté de Monaco déclare la guerre à l’U.R.S.S. ?

— Mieux que ça !

— Oh ! oh !

— Tu as entendu parler du comte de Souvelle ?

— Nenni, c’est un bon ami à toi ?

— Non.

— Dommage, les bons comtes font les bons amis !

— Très drôle, mais je l’ai déjà faite dans un précédent bouquin, grincé-je. En même temps que l’existence de ce personnage, je t’informe de son décès.

La voix de mon pote devient sérieuse.

Je l’entends appuyer sur le déclencheur de son stylo à bille.

— Assassiné ?

— Suicidé seulement !

Il s’emporte :

— Et c’est pour cette broutille que tu me fais perdre mon temps ! Alors que je suis jusqu’au trognon sur les amours d’une grande vedette de l’écran avec un prince homologué !

— A force de passer ta vie dans les bidets, tu vas finir par te noyer, prophétisé-je. Si je te dis de tartiner sur mon comte, c’est que j’ai mes raisons. Affaire à suivre, si tu vois ce que je veux dire ? Cette fin de comte n’est peut-être qu’un commencement…

Larronde cesse d’ergoter.

— O.K. ! La une, ça te botte ?

— Sur au moins deux colonnes, j’accepte…

— Conclu. Où ce qu’il perche, ton défunt à blason ?

— Domaine de Lamain-Aupanier par Courmois-sur-Lerable.

— C’est parti. A bientôt, valeureux chevalier. Ton Bérurier est toujours aussi immonde ?

— De plus en plus. Je l’ai sous les yeux et je peux te dire que je n’invente pas.

Il ricane une plaisanterie sur les malheurs conjugaux du Gros[1], et raccroche.

— Puis-je te demander les raisons de… ? commence le Pinaud des Charentes.

— Plus y aura de publicité sur le décès du comte, plus ça attirera du monde aux obsèques.

— Je comprends.

— En attendant, je te charge d’une mission de confiance, Pinuche.

— Je n’en attendais pas moins de toi, bêle le Vioque, satisfait de cette considération.

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Voir : On t’enverra du monde.