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— Ils ont emporté les plans, hurle le calvitié distingué…

Bon, c’est au valeureux commissaire San-Antonio de jouer.

— Quels plans, monsieur le directeur ?

— Ceux de l’Alizé 3…

— Vous pensez bien que j’ignore tout de l’Alizé en question… Mais d’après son nom, je suppose qu’il s’agit d’un engin tsoin-tsoin[28].

Je pose des questions classiques, presque routinières, parce qu’il faut un début à toute enquête.

— Qui avait accès au coffre ?

— Deux de mes ingénieurs et moi-même…

Je m’absente souvent, les deux ingénieurs en question possédaient la combinaison car ils avaient besoin des plans pour la direction des travaux.

— Qui sont-ils ?

— MM. Conseil et Bolémieux…

— Leur adresse ?

Il me les communique et Bérurier note ça sur un carnet qui lui fut gracieusement offert par une marque d’apéritif.

— Bolémieux est en vacances, je vous le signale, déclare le directeur.

— Depuis longtemps ?

— Deux jours… Il a assuré la permanence cet été…

— Je pense que vous avez les doubles des plans ?

— Certes, ils sont déposés dans une banque. Mais la disparition de ces documents est une catastrophe pour notre pays, d’autant plus qu’on n’a pas volé que les plans, mais aussi la maquette, petit modèle du prototype… Or cette maquette est essentielle ! Je ne veux pas entrer dans des explications techniques, monsieur le commissaire, mais l’intérêt de ce nouveau modèle d’avion réside principalement dans la possibilité de décollage à la verticale.

Je m’approche du fauteuil pivotant dans lequel Pinuche en écrase. Parce qu’il est dans une usine d’avions, il ronfle comme l’escadrille Normandie-Niémen. Je chope un bras du fauteuil et imprime à ce dernier un violent mouvement de rotation dans le sens inverse de celui des aiguilles d’une montre de fabrication suisse.

Pinaud est propulsé sur la moquette du burlingue, épaisse comme un édredon. Il se réveille en grommelant des choses incertaines relatives à son âge certain, si peu pris en considération par ses cadets.

— Béru et toi, vous allez visiter les environs, lui dis-je… J’aimerais parler au gardien qui n’est pas revenu de sa ronde, en admettant qu’il puisse encore s’exprimer…

Montfort a un sursaut qui déplace son troisième et avant-dernier cheveu.

— Vous pensez que ces crapules l’ont assassiné ?

— Ça ne me paraît pas impossible… Mais je ne crois pas, à la vérité.

Sortie de mes deux acolytes sur l’air de Laurel et Hardy. Le directeur s’abat dans un fauteuil non pivotant et se prend la rotonde à deux mains.

— C’est épouvantable, soupire-t-il.

Il paraît sincèrement atterré.

Je ne dis rien. Il est trop tôt pour que je baratine… Il redresse son beau visage d’aristocrate essoufflé et tend la main vers le téléphone. Je stoppe son geste.

— Je vous demande pardon, monsieur le directeur, qui voulez-vous appeler ?

— Mais, Conseil, mon collaborateur… Je préfère l’informer du désastre plutôt que de lui laisser apprendre ça par les journaux…

— N’en faites rien, je l’avertirai moi-même…

Mon interlocuteur me regarde avec indécision. J’enchaîne, rapide.

— Il est indispensable que je contacte tous les gens ayant accès au coffre, comprenez-vous ?

Il n’insiste pas… Par contre, je me sers de son cornichon pour affranchir le Vieux des événements de la nuit. Il est drôlement commotionné, le boss ! C’est la grosse tuile pour lui ! Quand le ministre va savoir que le vol et le meurtre se sont opérés sous nos yeux, et quasiment avec notre bénédiction, il va becqueter son portefeuille ou bien le refiler à un autre, plus toquard que lui. En matière de ministères, c’est comme au rugby : il faut toujours faire les passes derrière soi.

À l’instant précis où je raccroche, mes boy-scouts radinent, portant un gars inanimé.

— Bourgès ! s’écrie le directeur en devenant pâle comme une calotte glacière.

Bérurier et Pinaud allongent le mec sur la carpette. L’arrivant horizontal est un grand type maigre, au nez en bec de perroquet.

Il a dans les trente piges, il est blond sale tirant sur le roux et quand il rouvre les carreaux, je constate que ceux-ci sont noirs.

Il bat des paupières…

— Il était dans le bout du couloir, explique Béru qui en a vu d’autres, beaucoup d’autres, et des plus défraîchis !

— Que vous est-il arrivé, Bourgès ? demande le directeur…

Le gars pousse un gémissement qui fendrait le cœur d’un percepteur de contributions directes.

— Ma tête ! balbutie-t-il… Ma pauvre tête…

J’examine ladite pauvre tête et je n’y décèle rien de suspect, pas même une bosse.

— On vous a assommé ? questionné-je.

— Oui… Je passais dans le couloir… Tout d’un coup, j’ai ressenti un coup terrible derrière ma tête, puis plus rien…

— Mon pauvre Bourgès, s’apitoie le directeur avec la sincérité d’un bradeur de bagnoles d’occase…

— Qu’allez-vous faire ? me demande-t-il.

— Conduire cet homme à l’hôpital, dis-je…

Ensuite je commencerai mon enquête… En attendant, monsieur le directeur, je vous prie de regagner votre domicile et de ne parler de ceci à personne avant demain…

Il est de plus en plus déprimé.

— Comme vous voudrez, monsieur le commissaire…

Et le cortège s’ébranle.

* * *

Dans le poste de garde, Charvieux tient compagnie au gardien Maheu après avoir expédié les défunts à la morgue. Je lui dis de finir la nuit ici pour réceptionner les gnards de l’identité, ceux du labo, ainsi que les journaleux qui ne manqueront pas de ramener leur fraise.

Puis je gagne ma voiture. Pinaud monte à l’arrière avec le malheureux Bourgès… Je me glisse au volant, flanqué de Bérurier.

— Avant d’aller à l’hôpital, dis-je au blessé, il serait bon de prévenir votre famille, non ?

— Je vis seul, soupire-t-il.

— Je tiens tout de même à prévenir votre concierge, la presse va se précipiter chez vous au petit matin, et je ne veux pas que cette dame débloque trop, vous comprenez ?

— J’habite rue de Vaugirard, au 7…

— Quel étage ?

— Troisième…

— Ça ne vous ennuie pas qu’on fasse le crochet ?

— Non, je me sens mieux… Ce n’est peut-être pas la peine d’aller à l’hôpital ?

— Après un traumatisme pareil, il vaut mieux faire une radio… Ça peut avoir des conséquences…

Je fonce à tombeau entrebâillé sur le Luxembourg. Moins d’un quart de plombe plus tard, je stoppe devant le 7 de la rue de Vaugirard. Le porche est béant, car la porte vétuste ne doit plus avoir le courage de se fermer.

L’ayant franchie, je m’élance dans un escalier branlant jusqu’au troisième. Une fois là, j’utilise mon sésame, grâce auquel, vous le savez déjà, je peux ouvrir n’importe quelle serrure. Et me voilà dans la carrée de Bourgès.

Elle ressemble à des gogues publics. Une entrée, une chambre, une cuisine exiguë… Le tout en désordre…

Dans la cuisine, se trouve un Himalaya de vaisselle non lavée, et dans la chambre, le méchant lit de cuivre a des draps qu’on ne pourrait pas utiliser comme drapeau blanc pour aller faire sa reddition. On vous prendrait plutôt pour un corsaire !

Je me plante au mitan de la chambre, perplexe. En ce moment, les gars, j’sais pas si vous vous êtes rendu compte, mais je suis aussi survolté que le zig de Sing-Sing à qui on dit : « Asseyez-vous, on va vous mettre au courant ! »

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28

Tsoin-tsoin : locution intraduisible en français. À l’origine elle ne se parlait pas mais s’éternuait. C’est à la suite de la découverte d’Aspro qu’elle a fait son apparition triomphante dans le langage courant.