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Son mari a mis un costar, mais ne s’est pas résolu à nouer une cravetouze. Sa chemise largement ouverte découvre une poitrine fiasque de gros vieux bébé, sur laquelle végètent quelques misérables poils blancs. Leur fifille est vêtue d’un tailleur de toile jaune, très seyant, et son toubib d’époux a sur lui le costar qu’il portait tantôt. Je le trouve particulièrement rageur. Un drôle de teigneux, ce faux nain ! Sa lèvre inférieure est pliée comme une tuile romaine à la renverse, toute prête à laisser s’écouler des sarcasmes. Dalbuche a mis un beau complet marron-merdeux dont les revers frisés s’ornent d’une grosse chaîne de montre. Lui a une cravate, sorte de ficelle élimée, sans couleur précise, qu’il a élégamment enfouie dans sa chemise à la sortie du nœud. Le camarade Ambroise est en tous les jours. Il propose à boire, mais seuls Béru, Lachaise et Dalbuche ont accepté de trinquer.

La belle-mère à Lachaise marmonne des présages funestes devant son poste de télé éteint. Elle est en manque de Zitrone, Mémère. On sent que ça lui crée des spasmes, des tourments gastro-métaphysiques. Elle fixe l’écran éteint, sinistrement blafard, comme un fumeur intoxiqué s’obstine à téter sa pipe éteinte en un lieu où il est interdit de fumer. La femme d’Ambroise est collée à la cloison, espèce d’humble cariatide du quotidien un moment perturbé. M’man et Berthe jouent à la bataille. Quant à ma gente Angélique, elle écoute son transistor qui, en sourdine, diffuse un machin yé-yé. V’là l’ambiance. Mon arrivée donne un sang nouveau à cette attente exsangue. On frémit, on s’anime, on se dresse, on déglutit, on se gratte, on fourmille, on m’apostrophe.

— Ah ! tout de même ! glapit Chkoumoune, allez-vous nous expliquer pourquoi…

— En voilà des façons ! meugle Lachaise, juste le soir que j’avais rendez-vous avec le ministre des pins-du-nord de Suède pour acheter cent mille hectares de forêt !

— Et moi qui devais assister monsieur le curé de Saint-Xavier-Salomon pour l’organisation de l’école libre de la paroisse ! proteste Mme Chkoumoune, pincée.

Y a que la Ninette, avec son massif sur la frite qui ne moufte pas ; non plus que Dalbuche d’ailleurs. Morveux comme il se sent, il dérouillerait des tartes sur le museau, recta, biscotte le Gros l’a à l’œil et en grippe !

Voilà le bon Mastar qui me fonce sur le colback, bille en tête.

— C’t’était temps que tu rappliquasses, me chuchote-t-il, y a z’eu des grincements de chailles, espère un peu ! Alors, elles sont au point, tes maniganceries ?

— C’est après que je te dirai ça, Pépère, selon les résultats.

— Les bijoux ?

— On est en train de diffuser leur signalement ; mais faut pas compter obtenir des résultats avant quarante-huit plombes au moins.

Comme les convoqués continuent de rouspéter, je lève la main à la romaine, style duce au balcon.

— Je vous en prie !

Un calme bouillonnant se fait.

— Mesdames, messieurs, conférencé-je, vous devez bien penser que si j’ai pris la liberté de vous réunir toutes affaires cessantes ici, c’est pour une raison majeure. Un concours de circonstances nous a permis de faire au Franc-Mâchon une découverte très particulière. Pour tout vous dire, un crime y a été commis voici cinq ans environ.

Murmures effarés dans l’assistance…

Angélique, depuis son recoin, me regarde en souriant. Comme elle m’admire, cette petite ; et comme elle a raison ! Je lui permets de vivre une belle aventure de fin de vacances et je lui fournis un prétexte valable pour rater sa deuxième cession de bac. Elle pourra dire « Avec tout ça, que voulez-vous ? ». Dans l’existence, il est important de se préparer des motifs d’échec, ainsi les réussites n’en sont que plus brillantes.

Je dompte la rumeur d’un geste moutonnant de la main.

— Mesdames, messieurs, solennisé-je, j’ai de bonnes raisons de croire que l’un de vous est l’auteur ou tout au moins le complice de cet assassinat.

Cette fois, les murmures se changent en vociférations. On me traite de vilains noms. Chkoumoune décide que j’exerce un abus de pouvoir. Lachaise assure que, si je continue d’insinuer des choses sous son toit, il va me claquer la frime, tout commissaire que je suis.

— Silence ! m’emporté-je (pas loin, car j’ai besoin de rester dans les environs). N’oubliez pas une chose, mesdames, messieurs, c’est qu’en disant cela je ne m’adresse qu’à l’assassin ! Je m’excuse auprès des autres. N’en concluez pas que je soupçonne toutes les personnes réunies ici, mens-je, j’ai voulu réunir toutes celles qui ont eu la possibilité de commettre le crime.

Ça se tasse un brin, mais pas complètement.

— Maintenant, suivez-moi jusqu’à la chambre aux orgues ! enjoins-je.

Les dames se lèvent à leur tour. Ninette, au chef fleuri, demande de sa voix aigrelette, à la fois soumise et péremptoire :

— Mais qui donc a été tué ?

— La suite dans la séquence suivante ! rétorqué-je.

Curieux, cette caravane électrique dans la lumière terne de la cour que deux grosses ampoules grillagées ne suffisent pas à éclairer convenablement.

Malgré l’heure tardive, le ciel n’est pas complètement noir. Là-bas, au couchant, il se produit encore des choses fabuleuses : des clartés tourmentées, des fulgurances bleuâtres et roses, des moutonnements. La nuit a du mal à évacuer cette tenace journée d’été.

On compose un important cortège, tous. Le chien de la ferme vient nous renifler les targettes en bougeant la queue. Il fait un choix circonspect et se décide pour Béru qu’il se met à suivre, la truffe collée au talon.

Je regarde l’esplanade déserte. Mathias et ses assistants ont mis ma petite conférence à profit pour évacuer leur fourgon dans l’ombre des arbres après avoir rentré leur matériel.

Maintenant plus personne ne jacte. C’est trop émotionnant. Tous — yes, moi y compris — nous sentons qu’il va se passer quelque chose et que ça sera un temps fort de notre vie.

Le hall glacial malgré la belle saison… Les marches de pierre sonores où nos multiples pas font un bruit d’armée victorieuse… La grande chambre enfin… Elle baigne dans un éclairage savamment tamisé. Tamisé sur le bon numéro, comme dirait Breffort. Les orgues, déplacées, composent une sorte de monstrueux et barbare paravent. Au milieu de la pièce, il y a une toile de bâche légèrement gonflée. Mathias se tient debout, immobile, devant le petit tas sombre.

Un grand silence cloaqueux se fait. Mes cobayes retiennent leur souffle, comme si ce sevrage d’oxygène pouvait les protéger contre les maléfices qu’ils pressentent.

— Mesdames, messieurs, reprend le célèbre, le distingué, le remarquable San-Antonio[33], nous avons découvert le fantôme du Franc-Mâchon. Il était caché dans un ancien conduit muré depuis fort longtemps.

Je me sens devenir guide de musée. Visite des catacombes. Ici les oubliettes, attention à la marche et merci pour le pourboire !

Je pousse la troupe derrière l’orgue. Il y a la fameuse brèche de la nuit dernière… Mais, en plus, masquant l’angle formé par l’orgue et le mur, une autre bâche tendue comme un rideau.

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33

Je le dis moi-même avec assez de verve, mais je souhaiterais qu’un autre me le serve !