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— San-A., je t’annonce une chose : je vais fonder une agence.

— Immobilière ?

— Non : de police privée.

Je considérai le Détritus d’un œil incertain.

— Tu vas travailler dans le bidet, Pinuche, après une carrière si riche en enquêtes passionnantes ?

— Faut vivre !

— Vivre des cocus, c’est triste ! Excuse-moi, mais j’aime pas le pain de fesses.

Lors, le digne homme s’indigna :

— Y a pas que les cornards, San-A., qui s’adressent à une agence privée. Y a aussi les assureurs, les notaires…

— Ne biaise pas, vieillard, ça n’est plus de ton âge. Tu sais parfaitement que quatre-vingt-dix-neuf pour cent des clients sont des bonshommes qui ont des doutes ou des bonnes femmes qui veulent des preuves.

Pinuche rajusta sa vaillante casquette de camionneur, ralluma sa moustache en croyant attiser son mégot. La flamme fumeuse du briquet noircit son nez tortueux.

— Eh bien ! je travaillerai dans l’adultère s’il le faut, fit-il, je suis philosophe ! A mon âge on peut pas jouer encore les Mac Karty, je veux dire, les Book-Maker… Non ! les Nick Carter !

C’est pour lors que le très vulnérable cousin Hector, le tireur de langue d’élite du ministère des travaux en cours de brouillon de projets laissa tomber, comme fiente un pigeon sur la statue d’un général :

— Si vous avez besoin d’un collaborateur, cher monsieur Pinaud, je suis votre homme. Je compte en effet, Antoine le sait, prendre ma retraite anticipée, et comme mes revenus ne me permettront pas de vivre sans rien faire…

Ce disant, il déposa sa carte sur la table de marbre.

— Voici mon adresse…

Pinaud répondit que c’était à voir et votre ravissant San-Antonio éclata d’un rire qui fêla la glace du comptoir.

— Qu’est-ce qu’il y a de risible dans ma proposition ? rouscailla Hector, hautain.

— Je te vois hantant les maisons de rendez-vous, cousin ; chopant des orgelets à force de mater par les trous de serrure ; attrapant des rhumes et des bronchites en attendant que des dames polissonnes aient achevé leurs petites parties de jambes-en-l’air sur terrain mou.

— Je préfère risquer ma santé et être tranquille plutôt que de subir les brimades et les humiliations de mes collègues et de mes chefs. La liberté est un bien dont je conçois le prix un peu tardivement et…

Il se tut. Bérurier venait de s’écrouler sur la table avec un ronflement de pic pneumatique.

Ceci se passait il y a cinq mois.

CHAPITRE II

Le taxi me débarque devant mon pavillon. Je cigle le général russe et je m’immobilise entre mes deux valtouzes, attendri jusqu’aux larmes par cette maison paisible, drapée de lierre, à l’intérieur de laquelle ma Félicie attend son grand garçon.

Je vous l’ai dit mille fois et je le répète pour ceux d’entre vous qui n’étaient pas à l’écoute au début de l’émission, mais pour l’homme aventureux que je suis, Félicie et notre pavillon représentent quelque chose comme le paradis terrestre. Après les parties de castagne, c’est le havre de grâce.

La grille grince. Mes semelles font crisser les graviers roses de l’allée. Voilà le printemps, les gars. C’est le moment où les demoiselles ne se nourrissent plus que de pommes vapeur. Les arbres et le tarin des collégiens bourgeonnent. La terre sent le « remettez-nous une tournée, c’est le Bon Dieu qui paie ». Je gravis le perron. La porte n’est pas fermaga.

Félicie ne se barricade jamais. Elle n’a pas les chocotes des voleurs, ma vieille. C’est quelqu’un dans le style de l’évêque de Digne cher au père Hugo : elle trouverait des casseurs au turbin chez nous, elle leur cloquerait les chandeliers de la salle à manger (les gros qui nous viennent de tante Léocadie, celle qui avait des moustaches à guidon bas et le nez en trompette because son menton le tenait relevé).

Une chouette odeur de ris de veau au madère me caresse la cloison nasale. Je marque un nouveau temps d’arrêt. Félicie chante dans sa cuistance. Elle a bien reçu mon télégramme et elle est toute joyce, la chérie. Je pose mes bagages et je m’avance sur la pointe of the feet. M’man porte sa blouse noire par-dessus laquelle elle a noué un tablier mauve. Elle chante un truc du passé : Que ne t’ai-je connue au temps de ma jeunesse. Sa voix chevrote un peu et elle marque bien les « r », comme il était de mise jadis. C’est pourtant vrai que Félicie a été jeune. Elle a aimé, on l’a aimée… Mais je sais que ces amours-là n’étaient que le prologue de son amour personnel. Une espèce de bref apprentissage qui préparait la venue dans sa vie de San-Antonio. Pour elle, oui, je suis bien le seul, le vrai, l’unique, l’incomparable, le merveilleux, le superbe, le triomphant, le suprême, l’adorable, l’irrésistible, le suave, l’enjôleur, l’extraordinaire San-Antonio.

— ’jour, m’man !

Elle se tait, fait volte-face avec dans la main une grosse cuillère en bois qu’elle brandit comme un sceptre.

— Oh ! mon grand, te voilà !

On s’attrape à pleins bras et on se serre l’un contre l’autre.

— Je ne t’attendais pas si tôt, Antoine.

— En arrivant à Orly, je n’ai pas pu résister : je me suis fait amener ici dare-dare[2] avant de passer à l’usine.

— Comme tu es gentil, mon petit. Tu as fait bon voyage ?

— Oui, excellent.

— Ça t’a plu, Cuba ?

— Pas mal. Mais j’ai préféré le Mexique.

— Tu n’as pas été trop en danger au moins ?

La pauvre chérie s’imagine que plus je vais loin, plus je risque mes os.

— Penses-tu. C’était un simple voyage d’information. Le Vieux mijote un truc là-bas… Il voulait que j’aille me rendre compte sur place. Alors j’en ai profité pour pousser une pointe jusqu’au Yucatan. Tiens, je t’ai rapporté un poncho de Mérida.

— Un quoi ? murmure M’man.

J’ouvre une valise et j’y prends un magnifique poncho fabriqué main.

— C’est une couverture ?

— A peu près. Tu pourras te la mettre sur les jambes si tu veux, le soir, quand tu tricotes en m’attendant.

— Elle est merveilleuse. Je vais m’en servir comme dessus de lit.

— J’ai rapporté aussi un souvenir à Pinuche et un autre à Bérurier.

— Tu penses à tout le monde.

— Pour Béru, un sombrero avec des pompons et des grelots, regarde !

Je sors un immense bitos noir et rouge, un peu meurtri par le voyage.

— C’est très joli, admet Félicie.

Elle contient mal son envie de rire.

— Tu imagines la tronche du Gros, là-dessous, hein, m’man ?

— Oui, fait-elle en s’esclaffant. Ce qu’il sera drôle.

— Et voici pour Pinaud.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Una pipa de la paz, c’est-à-dire un calumet de la paix.

« Il mesure près de quatre-vingts centimètres, de cette façon au moins il ne se brûlera plus les moustaches.

Voilà brusquement le visage de ma Félicie qui se crispe.

— Mon Dieu, à propos de M. Pinaud, j’oubliais de te dire…

— Quoi donc, m’man ? Il n’est pas mort pendant mon absence, j’espère ?

— Non. Mais depuis hier il m’a téléphoné trois fois pour demander si tu étais rentré. Il a quelque chose de très urgent à te communiquer, paraît-il…

Ecoutez, mes mecs, on collerait ça dans une pièce de théâtre, les spectateurs diraient que ça fait gratuit (malgré le prix élevé des places). A peine Félicie vient-elle de m’annoncer la chose que la sonnette of the grille tintinnabule. On mate par la croisée et on voit s’amener le révérend Pinuchet.

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2

San-Antonio avait écrit dard-dard, par étourderie supposons-nous.

(Note de l’Editeur.)