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— Un vrai ! s’extasie le Vioque.

— Garanti sur facture. Il porte même l’adresse d’un bazar de Chicago, c’est te dire !

— Il est de la tribu des Asticots ?

— Des asticots ?

— Ben oui, y a bien la tribu des Asticots là-bas ?

— Tu veux parler des Aztèques ?

— Oui.

— Tout me porte à le supposer.

Poignée de main. On se sépare. Quand la silhouette du Chétif a disparu, je me mets à considérer Félicie avec incertitude.

— C’est alarmant, n’est-ce pas ? murmure-telle.

— Oh ! c’est plutôt ridicule. Ces deux vieilles noix jouant les Nick Carter !

— A ton avis, qu’est-ce qui est arrivé à Hector ?

— Le type qu’il filait sera parti en voyage et il vadrouille peut-être en ce moment du côté de Limoges ou de Valenciennes…

— Hector est un garçon pondéré. Il aurait prévenu M. Pinaud.

C’est aussi mon avis. In petto, comme disent les chauds Latins, je ne suis pas très content de cette histoire. Tout à fait entre nous et le château d’If, j’ai le pressentiment que ce crétin de Totor s’est embarqué dans un coup fourré à la gomme.

Il est fait pour être détective, comme Georges Brassens pour être sacristain. Afin de rassurer Félicie, je chique à l’insouciant. On passe à table et je lui raconte mon voyage. Mais, dans sa prunelle, un je ne sais quoi d’inquiet subsiste.

L’après-midi, je vais faire une petite visite au big boss. La conférence dure deux plombes. Je lui rends compte de ma mission, on discute du pourquoi du comment du chose, après quoi je cours écluser un beaujolais en compagnie de Mathias. Bérurier a pris un jour de congé et je regrette son absence, d’autant plus que j’ai pris son sombrero dans ma chignole et que je comptais bien faire marrer la Maison Poulardin avec cet élément vestimentaire.

A six plombes pétantes, je remonte les Champs-Elysées. Le bureau de la Pinaudère Agency Limited est situé en haut de la triomphale avenue et en haut, tout en haut d’un immeuble. En fait, il s’agit d’une chambre de bonne transformée. Je presse le timbre de la sonnette. Il fait dring ! et, illico, le crépitement d’une machine à écrire se déclenche.

— Entrez ! glapit une voix.

Je tourne le loquet et je pénètre dans un vaste local d’un mètre quarante sur deux. Il y a la place pour une minuscule table, pour un classeur et pour deux chaises. La première est envahie par une ravissante demoiselle de soixante-quatorze piges dont les kilogrammes sont supérieurs aux ans. Elle ressemble à un boxer sans dents. Elle porte un corsage mauve contenant un quintal de glandes mammaires. Elle a des lunettes à monture d’écaille, façon Marcel Achard, un chignon signé Pauline Carton, un cordon de velours autour du goitre et de la pommade au soufre sur les quatorze mille six cent vingt-deux bubons qui lui constellent la frime.

Elle continue de tapoter sans s’occuper de moi. L’air sauvagement pressé, qu’elle a, cette dame ! A sa frénésie dactylographique, on pourrait penser qu’elle tape le recours en grâce d’un gnace qui va passer au coupe-cigare dans trente secondes. Comme mon arrivée ne l’affecte pas, je tousse, mais c’est en pure perte. Alors je m’avance délibérément, ce qui ne nécessite qu’un effort modéré étant donné que nous ne sommes éloignés l’un de l’autre que d’une bonne vingtaine de centimètres.

— Dites, chère mignonne, susurré-je, qu’est-ce qu’on fait dans un cas pareil ? On attend qu’une crise de rhumatisme articulaire vous stoppe ou on flanque votre Underwood par le vasistas ?

Tout en parlant, j’examine son travail et je m’aperçois qu’elle est en train de recopier l’annuaire des Téléphones.

— C’est un travail de longue haleine, n’est-ce pas ? compatis-je.

La môme aux bubons s’immobilise. Ce qu’elle doit bouffer comme strombolis pour avoir une irruption pareille ! Elle ne va tout de même pas prétendre que c’est de l’acné juvénile.

Elle me virgule un sourire qui me découvre complaisamment une molaire beige clair qui ne doit pas lui servir à casser des noisettes.

— SSSSe m’excssssss ! fait-elle du ton modeste d’un pneu qui perd de la valve.

Elle se penche, rafle un énorme sac à mains[3] posé par terre et le hisse en geignant jusqu’à ses genoux. Elle y prend un objet que je n’identifie pas tout de suite et qui, à seconde vue, s’avère être un dentier. Elle se l’introduit dans le tout-à-l’égout, l’essaie, le ressort, prend une burette, huile les charnières, revisse deux canines qui précisément se faisaient la paire, arrache une incisive trop branlante et se réintroduit le piège à saucisse. Son élocution y gagne à quatre-vingts pour cent, du moins pendant les premières phrases.

— Mon appareil me bleffe, dit-elle, je ne le mets que pour cauzser.

« C’est à quel sujet ? Le directeur de l’agence n’est pas encore rentré. »

— J’ai rendez-vous avec lui.

— Fi vous voulez bien attendre, prenez le fiège !

Elle va pour ajouter autre chose, mais son râtelier se bloque et elle reste avec la bouche ouverte. Je détourne pudiquement les yeux afin de ne pas m’abîmer dans la contemplation de son slip. La vaillante secrétaire extrait sa mécanique à racler les feuilles d’artichaut au moyen d’un coupe-papier. Ensuite elle essaie de fulminer, mais ne produit plus qu’un bruit d’ébullition et je me désintéresse de son cas.

J’attends un quart de plombe, une demi-plombe, une plombe, soit un total approximatif de soixante minutes. Je commence à me faire tartir copieusement. C’est pas que j’exige l’air conditionné dans les salons d’attente où je suis obligé de séjourner, mais cette mansarde et cette vieille édentée qui tape le Bottin pour me faire croire que l’Agency marne à plein bord me dépriment honteusement. Je sais pas où ils l’ont pêchée, leur secrétaire, les Cono’s brothers, mais elle est gratinée.

A sept plombes, la vioque commence à loucher sur sa breloque grand sport carossée par Lip.

— Si vous voulez partir, m’empressé-je, n’hésitez pas. Je suis un copain de Pinaud, je peux garder les établissements.

Mais elle, c’est « Devoir avant tout ! »

Elle hoche la tête. Pour vaincre ses scrupules, je lui montre ma carte de police.

— Vous pouvez avoir confiance, ma beauté. Je suis le commissaire San-Antonio !

— Oh ! bourrasque-t-elle, ssssc’est vous ?

Je vois que Pinuche a soigné ma légende auprès de son personnel.

Soulagée, la secrétaire range l’annuaire dont elle a déjà tapé les cent vingt premières pages ; elle met une housse à sa machine, se barbouille le bas de hure de rouge à lèvres, prend ses béquilles derrière le classeur, rajuste la bretelle de sa jambe de bois, vérifie la pression de son sein gauche qui marche au gaz de ville et se lève. Elle s’approche d’un morceau de miroir en parfait état, retire sa perruque pour pouvoir mieux la recoiffer, la rajuste, l’orne d’un chapeau et enfin se dirige vers la lourde que je m’empresse de lui ouvrir après qu’elle m’ait cycloné un gentil bonsoir qui ressemble à un jet d’arroseur municipal dans un quartier à forte pression.

Me voilà seulabre. Je m’approche du téléphone. Par chance, il fonctionne. Je compose le numéro du bistrot Pinuchard et la vaillante épouse de mon collègue retentit à l’autre bout du fil.

— Ici San-A., chère madame, m’annoncé-je. Votre glorieux mari est-il chez vous ?

— Non, se lamente dame Pinette. Je ne l’ai pas revu depuis ce matin.

« Avez-vous des nouvelles de votre cousin ? »

— Non plus.

Dame Pinette hésite, puis :

— Je suis inquiète. Peut-être mon mari est-il allé chez Bérurier ? Il m’avait dit que s’il ne vous trouvait pas, il ferait appel à Benoît-Alexandre.

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3

Ça n’est pas par inadvertance que j’écris « mains » au pluriel. Son sac est tellement mahousse qu’il faut au moins deux mains pour le manœuvrer.

(Note de l’Auteur.)