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— Pas des masses. Il était méfiant, Tonin, il avait peur que son petit commerce soit découvert, sa devise, à lui, était chi va piano va sano, aussi ne traitait-il qu’un ou deux malades à la fois.

— Et vous, dans le tableau ?

— Quoi, moi ?

— Votre rôle ?

Elle prend un air apitoyé.

— Faut vous faire un dessin ?

— Vous paracheviez les guérisons, en somme ?

— Moi, je me suis toujours plus ou moins expliquée. Avant Tonin, déjà je marchais en amazone avec une copine voiturée. On faisait la porte Maillot, en lisière du Bois. Si je vous disais, maman, autrefois, travaillait dans la galanterie. Pendant la guerre, elle était en boîte, à Casa : on constitue pratiquement une dynastie de pétasses.

Ça paraît l’amuser et aiguiser sa fierté.

— Pardonnez-moi la réflexion que je vais vous faire, Fernande, mais il me semble que la mort de votre mari ne vous affecte pas beaucoup.

Elle hoche la tête :

— Je ne suis pas une truqueuse, en dehors du boulot, tout au moins. Non, le Tonin, c’était un faux malin, l’esprit baderne, malgré ses petits coups fourrés. Il se prenait au sérieux, croyait doucement à sa mission, si vous voyez ce que je veux dire ? Mais surtout c’était un timoré. Rien que le fait de garder sa place au métro, à cause de la retraite ! Dites, y avait pas de quoi se poignarder le prose avec une andouille ? La retraite ! En plus, cradingue… Vous pouvez le constater. (Elle désigne le décor du « cabinet ».) J’avais depuis longtemps repris ma vitesse de croisière, et je ne venais plus ici que pour les séances, professionnellement, quoi !

— Vous ne divorciez pas ?

— Quelle idée ! Ç’avait déjà été assez glandu de se marida. Vous croyez encore à ces conneries, vous ?

— Avait-il des ennemis ?

— Lui ? Un beurre !

— Des clients déçus, par exemple, sur lesquels le « traitement » aurait été inopérant ?

— Il savait les choisir, car n’oubliez pas qu’il les choisissait. De ce fait, on n’a jamais eu d’échec. Vous venez de voir m’sieur l’Avoine ? Eh ben, c’est le style du reste. On risquait rien avec des pommes à l’huile de ce gabarit, admettez ? Des cloches qui ont besoin de surnaturel, c’est du loukoum ! C’était nous ou le mage Trucmuche des petites annonces pour ces ramollis.

— Pourtant, ma belle, votre bonhomme a bel et bien été assassiné.

— Pensez-vous ! Les témoins se sont monté le caberlot… Il s’agit d’une bousculade. Qui donc serait allé flanquer le Tonin sur la voie ? Si, un fou, à la rigueur…

— Où vivez-vous ?

Ma question en forme de volte-face la déconcerte.

— Qu’est-ce que ça peut vous fiche ?

— Supposez que j’aie des choses à vous dire ?

La veuve du cardinal a un geste en chasse-mouches, genre l’ambassadeur de France époussetant la frime du bey de Tunis.

— Je crèche à l’hôtel Belcrampe, rue de l’Amiral René-Cossu.

— J’aimerais en savoir davantage à propos de l’améthyste disparue.

Pour le coup, elle se met à grimper à l’échelle de sa rogne, comme une grenouille exécutant une prestation de beau-temps-probable.

— Ah, oui ; bravo ! Reparlons-en ! Un coup des types de la morgue. Au moment du décarpillage, vous parlez qu’ils se la sont annexée facile, la bague de mon bonhomme. Un caillou pareil !

— D’où la tenait-il ?

Fernande hennit comme une jument qui va se faire escalader par un étalon à une brique la saillie.

— Il la tenait de ses économies, mon vieux, tout culment. Il l’avait achetée chez un antiquaire. Tonin, en vrai péquenot, aimait les valeurs solides : l’or, la terre, le bestiau. Son caillou joignait l’utile au placement.

— Et vous dites qu’il la conservait dans sa poche ?

— Pendant son service, oui. Je lui avais cousu une petite pocket à fermeture Eclair à l’intérieur de la poche normale, ce dans chacune de ses vestes. Un vrai prudent. C’est pourquoi il ne faut pas me vendre de salades comme quoi la bague a été perdue. On l’a volée. Vous entendez, les flics ? Volée !

Un silence suit.

Crépitant de colère chez Fernande. Huileux de méditation chez nous, les deux messieurs.

C’est Béru, dont l’intense mutisme finit par dégager quelque chose de fascinant, qui prend sur soi de le rompre.

— Sana, me dit-il, pardonne-moi de m’excuser, mais j’sus parti sans artiche. Tu pourrais pas me prêter cinq sacs ?

Vaguement surpris (peut-on l’être beaucoup lorsqu’on connaît et subit des lubies béruréennes depuis des années ?) je lui tends la coupure souhaitée. Il la rafle prestement et enchaîne en la promenant comme un flacon de sels sous le pif tumultueux de la donzelle :

— Dites-moi, ma petite grand-mère, du moment que j’ sus-ci dans un titre purement amical et compatriotique, vous voulez bien que nous passassions dans la turne à côté, vouze et moi. Y a quéque chose dans votre histoire de traitement que j’aimerais approfondir.

Bon, alors que je te dise : ils vont dans « la sacristie ». Le Gravos pousse sa bramante des grands jours. Moi, during this time (comme disent les Anglais qui parlent mal le français) j’en profite pour fouiller le logement. Et je dégauchis un carnet à couverture noire (t’as rien à branler de ce détail mais j’te le donne quand même pour te prouver que j’mens pas) recelant la comptabilité occulte du défunt cardinal Duplessis. Les noms et adresses de ses chers « malades » y figurent. Intelligent comme je suis, t’as déjà pigé que ce document va m’être utile et tu trouves naturel que je l’enfouille. Parfait.

Béru ressort, l’œil brouillé et le futal en instance de K2R. On quitte Fernande. Dans l’escadrin, le Glanduleux me dit maussadement : « Une pute, c’t’ une pute, jamais la technique remplacera le sentiment. » Ce qui est profond de sa part, hein ? Alors, pour le coup, je te vas finir ce premier chapitre là-dessus, parce qu’en fait, hein, un chapitre, lorsque t’es un grand romancier, si tu le bâcles pas sur un coup de feu ou une porte qui s’ouvre en grinçant, t’as intérêt à le conclure sur un bon mot.

En somme.

Non ?

CHAPITRE « B »[7]

— Je vous demande pardon, monsieur, vous ne seriez pas Napoléon III ?

Badinguais (c’est écrit sur sa porte en cuivre et en gothique) me décoche un sourire ultra-bienveillant.

— L’un de ses descendants seulement, par une branche bâtarde, s’humilie-t-il.

Et il nous fait entrer dans un logement de vieillard solitaire plein d’odeurs rances, de chats pelés et de souvenirs ébréchés. La vie d’un vieux tout seul, c’est un drôle de purgatoire, tu ne trouves pas ? Ça ne ressemble plus à rien. C’est de la décomposition au ralenti. Un naufrage dont tu suis l’engloutissement. Au lieu de faire de l’eau, il fait du néant, le vieux type. L’éternité l’empare parmi ses pouilleries lamentables. Les gens sont tartes de s’acharner à conserver des objets. Chaque dix ans, au plus (et au moins), faudrait détruire ou bazarder ce qu’on a. Faire peau neuve tant mal que bien. Régénérer l’environnement de manière à s’appuyer sur du neuf, du sans passé, du sans mémoire lorsque arrive le temps de la radote… Mais non, ils fétichent en troupeau, et leurs délabreries les enfoncent. Les contaminent. Ils s’encroûtonnent pieusement, se patinent, pisseusent, bancalent, ravis, on dirait, de se muséer dans des torpeurs insanes. Le cocon lentement sécrété ne contient plus que de la moisissure. Bye bye la belle soie à faire rutiler les rondeurs de mesdames nos dames. Pourri, je te dis. Tout : poussière puante. Qu’à la fin, il ne reste plus d’eux qu’une dégueulasse odeur qui tarde à s’engloutir.

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7

T’as vu comment qu’il était long, mon premier chapitre ? Plus je vais, plus je deviens copieux. Si je continue sur cette lancée, arrivé au chapitre « Z », te faudra un treuil pour remettre ce bouquin dans ta bibliothèque.