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Oui, monsieur, dit Gilbert un peu tourdi de tout ce quil venait de voir et dentendre.

Jacques sortit en lui souriant, puis il revint.

Demain nous causerons, dit-il. Je pense que vous ne rpugnerez point travailler, nest-ce pas?

Vous savez, monsieur, rpondit Gilbert, que travailler, au contraire, est tout mon dsir.

Voil qui est bien.

Et Jacques fit de nouveau un pas vers la porte.

Travail digne, bien entendu, rpondit le pointilleux Gilbert.

Je nen connais pas dautre, mon jeune ami. Ainsi donc, demain.

Bonsoir et merci, monsieur, dit Gilbert.

Jacques sortit, ferma la porte en dehors, et Gilbert resta seul dans son galetas.

Dabord merveill, puis ptrifi dtre Paris, il se demanda si ctait bien Paris, cette ville o lon voyait des chambres pareilles la sienne.

Puis il rflchit quau bout du compte M. Jacques lui faisait laumne, et comme il avait vu faire laumne Taverney, non seulement il ne stonna plus, mais ltonnement commena de faire place la reconnaissance.

Sa chandelle la main, il parcourut, en prenant les prcautions recommandes par Jacques, tous les coins du galetas, soccupant peu des habits de Thrse, dont il ne voulut pas mme distraire une vieille robe pour se faire une couverture.

Il sarrta aux piles de papiers imprims qui veillaient au dernier point sa curiosit.

Elles taient ficeles; il ny toucha point.

Le cou tendu, lil avide, il passa des liasses ficeles aux sacs de haricots.

Les sacs de haricots taient faits dun papier fort blanc, toujours imprim, joint avec des pingles.

Dans un mouvement un peu brusque quil fit, Gilbert toucha la corde avec sa tte: un des sacs tomba.

Plus ple, plus effar que sil et forc la serrure dun coffre-fort, le jeune homme se hta de ramasser les haricots pars sur le plancher et de les remettre dans le sac.

En se livrant cette opration, il regarda machinalement le papier, machinalement encore ses yeux lurent quelques mots; ces mots attirrent son attention. Il repoussa les haricots, et, sasseyant sur sa paillasse, il lut, car ces mots taient si parfaitement en harmonie avec sa pense et surtout avec son caractre, quils semblaient crits, non seulement pour lui, mais encore par lui.

Les voici:

Dailleurs, des couturires, des filles de chambre, de petites marchandes ne me tentaient gure; il me fallait des demoiselles. Chacun a ses fantaisies; a toujours t la mienne, et je ne pense pas comme Horace sur ce point-l. Ce nest pourtant pas du tout la vanit de ltat et du rang qui mattire, cest un teint mieux conserv, de plus belles mains, une parure plus gracieuse, un air de dlicatesse et de propret sur toute la personne, plus de got dans la manire de se mettre et de sexprimer, une robe plus fine et mieux faite, une chaussure plus mignonne, des rubans, de la dentelle, des cheveux mieux ajusts. Je prfrerais toujours la moins jolie, ayant tout cela. Je trouve moi mme cette prfrence fort ridicule, mais mon cur la donne malgr moi. [1]

Gilbert tressaillit et la sueur lui monta au front; il tait impossible de mieux exprimer sa pense, de mieux dfinir ses instincts, de mieux analyser son got. Seulement, Andre ntait pas la moins jolie ayant tout cela. Andre avait tout cela et tait la plus belle.

Gilbert continua donc avidement.

la suite des lignes que nous avons cites venait une charmante aventure dun jeune homme avec deux jeunes filles; lhistoire dune cavalcade accompagne de ces petits cris charmants qui rendent les femmes plus charmantes encore, parce quils trahissent leur faiblesse; dun voyage en croupe derrire lune delles, et dun retour nocturne plus charmant et plus dlicieux encore.

Lintrt allait gagnant; Gilbert avait dpli le sac et avait lu tout ce quil y avait dimprim sur le sac avec un certain battement de cour; il interrogea la pagination et se mit chercher si les autres pages ny faisaient pas suite. La pagination tait interrompue, mais il retrouva sept ou huit sacs qui paraissaient se suivre. Il en ta les pingles, vida les haricots sur le plancher, les assembla et lut.

Cette fois, ctait bien autre chose encore. Ces nouvelles pages contenaient les amours dun jeune homme pauvre, inconnu, avec une grande dame. La grande dame tait descendue jusqu lui, ou plutt il tait mont jusqu elle, et la grande dame lavait accueilli comme sil et t son gal, et elle en avait fait son amant, linitiant tous les mystres du cur, rves de ladolescence qui ont une si courte ralit, quarrivs de lautre ct de la vie ils ne nous apparaissent plus que comme un de ces mtores brillants, mais fugitifs, qui glissent au milieu dun ciel toil de printemps.

Le jeune homme ntait nomm nulle part. La grande dame sappelait madame de Warens, nom doux et charmant prononcer.

Gilbert rvait au bonheur de passer ainsi toute une nuit lire, et le plaisir saugmentait de cette scurit quil avait une longue file de sacs dpouiller les uns aprs les autres, quand tout coup un lger ptillement se fit entendre; la chandelle, chauffe par le rcipient de cuivre, senfona dans la graisse liquide, une vapeur infecte monta dans le grenier, la mche steignit et Gilbert se trouva dans lobscurit.

Cet vnement tait arriv si rapide, quil ny avait pas eu moyen dy porter remde. Gilbert, interrompu au milieu de sa lecture, tait prs den pleurer de rage. Il laissa glisser la liasse de papiers sur les haricots amasss prs de son lit et se coucha sur sa paillasse, o, malgr son dpit, il sendormit bientt profondment.

Le jeune homme dormit comme on dort dix-huit ans; aussi ne se rveilla-t-il quau bruit du cadenas criard que Jacques avait plac la veille la porte du grenier.

Le jour tait grand; Gilbert, en ouvrant les yeux, vit son hte entrer doucement dans sa chambre.

Ses yeux se portrent aussitt sur les haricots pars et sur les sacs redevenus feuillets.

Les yeux de Jacques avaient dj pris la mme direction.

Gilbert sentit le rouge de la honte lui monter aux joues, et sans trop savoir ce quil disait:

Bonjour, monsieur, murmura-t-il.

Bonjour, mon ami, dit Jacques; avez-vous bien dormi?

Oui, monsieur.

Seriez-vous somnambule, par hasard?

Gilbert ignorait ce qutait un somnambule, mais il comprit que la question avait pour but de lui demander une explication sur ces haricots hors de leurs sacs, et sur ces sacs veufs de leurs haricots.

Hlas! monsieur, dit-il, je vois bien pourquoi vous me dites cela; oui, cest moi qui suis coupable du mfait, et je maccuse humblement, mais je le crois rparable.

Sans doute. Mais pourquoi donc votre chandelle est-elle use jusquau bout?

Jai veill trop tard.

Et pourquoi avez-vous veill? fit Jacques, souponneux.

Pour lire.

Le regard de Jacques parcourut, plus dfiant encore, le grenier encombr.

Cette premire feuille, dit Gilbert en montrant le premier sac quil avait dcroch et lu, cette premire feuille, sur laquelle jai jet les yeux par hasard, ma tellement intress Mais vous, monsieur, qui savez tant de choses, vous devez savoir de quel livre elle vient?

Jacques y jeta ngligemment les yeux et dit:

Je ne sais.

Cest un roman, sans doute, fit Gilbert, un bien beau roman.

Un roman, croyez-vous?

Je le crois, car on y parle damour comme dans les romans, except quon en parle mieux.

Cependant, reprit Jacques, comme je lis au bas de cette page le mot Confessions, je croyais

Vous croyiez?

Que ce pouvait tre une histoire.

Oh! non, non; lhomme qui parle ainsi ne parle pas de lui-mme. Il y a trop de franchise dans ses aveux, trop dimpartialit dans son jugement.

Et moi, je crois que vous vous trompez, dit vivement le vieillard. Lauteur, au contraire, a voulu donner cet exemple au monde, dun homme se montrant ses semblables tel que Dieu a fait lhomme.

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[1] Les Confessions, livre IV.