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Mon dernier livre (avant celui que vous tenez entre les mains) s’appelait Des garçons américains sur la Lune et s’est bien vendu malgré l’absence d’imprimatur du Dominion[110]. Il a reçu les louanges de M. Charles Curtis Easton, qui a lui aussi survécu à l’incendie, mais est encore plus âgé que ma vénérable machine à écrire et met un terme à sa carrière. Pour écrire ce roman, je me suis inspiré de mon exemplaire d’Histoire de l’Humanité dans l’Espace. Ce très vieux livre est en ce moment même posé sur mon bureau, en compagnie d’un certain nombre de souvenirs récupérés sur le domaine palatin : une lettre à l’écriture passée qui commence par Liefste Hannie ; un billet de train, validé de Montréal à New York ; un dollar Comstock orné du visage de Deklan le Conquérant (Julian n’a pas duré assez longtemps pour frapper ses propres pièces) ; une affiche de la première de Darwin sur Broadway ; un Assommoir décoratif (très taché) et d’autres articles du même acabit. Ils retrouveront demain leur place habituelle.

La brise semble émettre un commentaire muet en feuilletant les pages d’un calendrier accroché au mur. J’ai du mal à croire que huit ans seulement nous séparent du vingt-troisième siècle ! Le temps m’est mystérieux… je m’habitue difficilement à sa manière de s’écouler. Peut-être suis-je devenu vieux jeu, peut-être resterai-je à jamais un Homme du Vingt-Deuxième Siècle.

Voilà que Calyxa traverse mon bureau pour aller dans le jardin.

Notre villa est située sur un haut promontoire et il ne pousse guère chez nous que du fenouil de mer et du sable, mais Calyxa a depuis longtemps fait ériger un mur protecteur autour d’un carré de bon terreau, dans lequel elle plante chaque année de la lavande, du mimosa et des tournesols. Elle m’a été d’une aide inestimable pendant que je rédigeais ma biographie de Julian… en complétant les phrases en français dont je ne gardais qu’un vague souvenir, en les recopiant avec les accents grave# et aigu# ou autres fioritures.

Elle s’arrête pour m’adresser un sourire énigmatique. « Tu es l’homme le plus gentil et le plus innocent que je connaisse. Tu rends supportables les laideurs de la vie. Sans toi, elles seraient insoutenables#. »

Sans doute une petite plaisanterie à mes dépens, car Calyxa est sceptique de nature et formule souvent ses ironies en français, langue qu’au bout de seize ans dans ce pays, je ne comprends toujours pas très bien. « C’est ce que tu crois », je lui réponds, et elle part en riant, sa jupe blanche virevoltant autour de ses chevilles.

J’ai l’intention d’abandonner ma machine à écrire pour la suivre. L’après-midi est trop tentant. Nous ne vivons pas au Paradis, loin de là, mais le mimosa est en fleur et un agréable souffle frais monte de la mer. Par des journées comme celle-ci, je pense à ce pauvre Magnus Stepney et à son Dieu vert en évolution qui nous incite tous à le rejoindre dans l’Éden. La voix du Dieu vert est si faible que nous sommes très peu nombreux à l’entendre correctement, et c’est ce qui fait notre malheur, j’imagine, en tant qu’espèce… mais je l’entends haut et clair, en ce moment. Elle me demande de sortir au soleil, et j’ai l’intention d’obtempérer.

FIN

Remerciements

Julian n’aurait pu être écrit sans la générosité et le soutien d’un trop grand nombre de personnes pour que je les cite toutes (parmi lesquelles, une fois encore, mon épouse Sharry à l’infinie patience). Des bouquinistes que j’ai consultés par légions au cours de mes recherches, deux méritent une mention spéciale : Jeffrey Pickell, de Kaleidoscope Books & Collectibles à Ann Arbor, le premier à attirer mon attention sur l’œuvre d’« Oliver Optic » (William Taylor Adams), et Terry Grogan, de BMV Books à Toronto, qui jouit du très étrange talent de trouver le bon livre au bon moment. Merci beaucoup aussi à Mischa Hautvast, Peter Hohenstein, Mark Goodwin et Claire-Gabriel Robert pour leur aide sur les passages en hollandais et en français… bien entendu, les éventuelles erreurs sont toutes de mon fait. Enfin et surtout, mes sincères remerciements à Peter Crowther, de PS Publishing, dont la jolie édition indépendante de ma novella « Julian : un conte de Noël » a ouvert la voie à ce travail beaucoup plus volumineux.

Note du traducteur

La citation de Herman Melville est tirée de Moby Dick, traduction Henriette Guex-Rolle, GF-Flammarion, Paris, 1989.

Les chapitres 1 à 7 constituaient, sous une forme très proche, la novella « Julian : un conte de Noël » paru en 2008 chez le même éditeur dans le volume Mysterium. La traduction en a été retouchée et adaptée.

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110

Sam a émis quelques critiques sur cette œuvre. Il a avancé qu’une Fusée Spatiale enfouie un siècle et demi sous les sables de Floride ne pourrait être remise en état par une simple bande de garçons, même si certains d’entre eux étudiaient les arts mécaniques. Peut-être pas, mais comme ils auraient difficilement pu aller sur la Lune par un autre moyen, j’ai conservé telle quelle cette improbabilité.