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Ainsi s'exprimait le comte, en préconisant ses travers. Essayais-je de lui parler de l'être auquel il devait tout, et des chagrins que de pareils désordres donnaient à cette respectable tante, je n'apercevais plus dans lui que du dépit et de l'humeur, et surtout de l'impatience de voir si longtemps, en de telles mains, des richesses qui, disait-il, devraient lui appartenir; je n'y voyais plus que la haine la plus invétérée contre cette femme si honnête, la révolte la plus constatée contre tous les sentiments de la nature. Serait-il donc vrai que quand on est parvenu à transgresser aussi formellement dans ses goûts l'instinct sacré de cette loi, la suite nécessaire de ce premier crime fût un affreux penchant à commettre ensuite tous les autres?

Quelquefois je me servais des moyens de la religion; presque toujours consolée par elle, j'essayais de faire passer ses douceurs dans l'âme de ce pervers, à peu près sûre de le contenir par ces liens si je parvenais à lui en faire partager les attraits; mais le comte ne me laissa pas longtemps employer de telles armes. Ennemi déclaré de nos plus saints mystères, frondeur opiniâtre de la pureté de nos dogmes, antagoniste outré de l'existence d'un Être suprême M. de Bressac, au lieu de se laisser convertir par moi, chercha bien plutôt à me corrompre.

– Toutes les religions partent d'un principe faux, Thérèse, me disait-il; toutes supposent comme nécessaire le culte d'un Être créateur, mais ce créateur n'exista jamais. Rappelle-toi sur cela les préceptes sensés de ce certain Cœur-de-Fer qui, m'as-tu dit, Thérèse, avait comme moi travaillé ton esprit; rien de plus juste que les principes de cet homme, et l'avilissement dans lequel on a la sottise de le tenir ne lui ôte pas le droit de bien raisonner.

Si toutes les productions de la nature sont des effets résultatifs des lois qui la captivent; si son action et sa réaction perpétuelles supposent le mouvement nécessaire à son essence, que devient le souverain maître que lui prêtent gratuitement les sots? Voilà ce que te disait ton sage instituteur, chère fille. Que sont donc les religions, d'après cela, sinon le frein dont la tyrannie du plus fort voulut captiver le plus faible? Rempli de ce dessein, il osa dire à celui qu'il prétendait dominer qu'un Dieu forgeait les fers dont la cruauté l'entourait; et celui-ci, abruti par sa misère, crut indistinctement tout ce que voulut l'autre. Les religions, nées de ces fourberies, peuvent-elles donc mériter quelque respect? En est-il une seule, Thérèse, qui ne porte l'emblème de l'imposture et de la stupidité? Que vois-je dans toutes? Des mystères qui font frémir la raison, des dogmes outrageant la nature, et des cérémonies grotesques qui n'inspirent que la dérision et le dégoût. Mais si, de toutes, une mérite plus particulièrement notre mépris et notre haine, ô Thérèse, n'est-ce pas cette loi barbare du Christianisme dans laquelle nous sommes tous deux nés? En est-il une plus odieuse? une qui soulève autant et le cœur et l'esprit? Comment des hommes raisonnables peuvent-ils encore ajouter quelque croyance aux paroles obscures, aux prétendus miracles du vil instituteur de ce culte effrayant? Exista-t-il jamais un bateleur plus fait pour l'indignation publique! Qu'est-ce qu'un Juif lépreux qui, né d'une catin et d'un soldat, dans le plus chétif coin de l'univers, ose se faire passer pour l'organe de celui qui, dit-on, a créé le monde! Avec des prétentions aussi relevées, tu l'avoueras, Thérèse, il fallait au moins quelques titres. Quels sont-ils, ceux de ce ridicule ambassadeur? Que va-t-il faire pour prouver sa mission? La terre va-t-elle changer de face; les fléaux qui l'affligent vont-ils s'anéantir; le soleil va-t-il l'éclairer nuit et jour? Les vices ne la souilleront-ils plus? N'allons-nous voir enfin régner que le bonheur?… Point, c'est par des tours de passe-passe, par des gambades et par des calembours [2] que l'envoyé de Dieu s'annonce à l'univers; c'est dans la société respectable de manœuvres, d'artisans et de filles de joie que le ministre du ciel vient manifester sa grandeur; c'est en s'enivrant avec les uns, couchant avec les autres, que l'ami d'un Dieu, Dieu lui-même, vient soumettre à ses loin le pécheur endurci; c'est en n'inventant pour ses farces que ce qui peut satisfaire ou sa luxure ou sa gourmandise, que le faquin prouve sa mission; quoi qu'il en soit, il fait fortune; quelques plats satellites se joignent à ce fripon; une secte se forme; les dogmes de cette canaille parviennent à séduire quelques Juifs: esclaves de la puissance romaine, ils devaient embrasser avec joie une religion qui, les dégageant de leurs fers, ne les assouplissait qu'au frein religieux. Leur motif se devine, leur indocilité se dévoile; on arrête les séditieux; leur chef périt, mais d'une mort beaucoup trop douce sans doute pour son genre de crime, et par un impardonnable défaut de réflexion, on laisse disperser les disciples de ce malotru, au lieu de les égorger avec lui. Le fanatisme s'empare des esprits, des femmes crient, des fous se débattent, des imbéciles croient, et voilà le plus méprisable des êtres, le plus maladroit fripon, le plus lourd imposteur qui eût encore paru, le voilà Dieu, le voilà fils de Dieu égal à son père; voilà toutes ses rêveries consacrées, toutes ses paroles devenues des dogmes, et ses balourdises des mystères! Le sein de son fabuleux Père s'ouvre pour le recevoir, et ce Créateur, jadis simple, le voilà devenu triple pour complaire à ce fils digne de sa grandeur! Mais ce saint Dieu en restera-t-il là? Non, sans doute, c'est à de bien plus grandes faveurs que va se prêter sa céleste puissance. A la volonté d'un prêtre, c'est-à-dire d'un drôle couvert de mensonges et de crimes, ce grand Dieu créateur de tout ce que nous voyons va s'abaisser jusqu'à descendre dix ou douze millions de fois par matinée dans un morceau de pâte, qui, devant être digérée par les fidèles, va se transmuer bientôt au fond de leurs entrailles, dans les excréments les plus vils, et cela pour la satisfaction de ce tendre fils, inventeur odieux de cette impiété monstrueuse, dans un souper de cabaret. Il l'a dit, il faut que cela soit. Il a dit: «Ce pain que vous voyez sera ma chair; vous le digérerez comme tel; or je suis Dieu, donc Dieu sera digéré par vous, donc le Créateur du ciel et de la terre se changera, parce que je l'ai dit, en la matière la plus vile qui puisse s'exhaler du corps de l'homme, et l'homme mangera Dieu, parce que ce Dieu est bon et qu'il est tout puissant.» Cependant ces inepties s'étendent; on attribue leur accroissement à leur réalité, à leur grandeur, à leur sublimité, à la puissance de celui qui les introduit, tandis que les causes les plus simples doublent leur existence, tandis que le crédit acquis par l'erreur ne trouva jamais que des filous d'une part et des imbéciles de l'autre. Elle arrive enfin sur le trône, cette infâme religion, et c'est un empereur faible, cruel, ignorant et fanatique qui, l'enveloppant du bandeau royal, en souille ainsi les deux bouts de la terre. Ô Thérèse, de quel poids doivent être ces raisons sur un esprit examinateur et philosophe? Le sage peut-il voir autre chose dans ce ramas de fables épouvantables, que le fruit de l'imposture de quelques hommes et de la fausse crédulité d'un plus grand nombre? Si Dieu avait voulu que nous eussions une religion quelconque, et qu'il fût réellement puissant, ou, pour mieux dire, s'il y avait réellement un Dieu, serait-ce par des moyens aussi absurdes qu'il nous eût fait part de ses ordres? Serait-ce par l'organe d'un bandit méprisable qu'il nous eût montré comment il fallait le servir? S'il est suprême, s'il est puissant, s'il est juste, s'il est bon, ce Dieu dont vous me parlez, sera-ce par des énigmes et des farces qu'il voudra m'apprendre à le servir et à le connaître? Souverain moteur des astres et du cœur de l'homme, ne peut-il nous instruire en se servant des uns, ou nous convaincre en se gravant dans l'autre? Qu'il imprime un jour en traits de feu, au centre du Soleil, la loi qui peut lui plaire et qu'il veut nous donner; d'un bout de l'univers à l'autre, tous les hommes la lisant, la voyant à la fois, deviendront coupables s'ils ne la suivent pas alors. Mais n'indiquer ses désirs que dans un coin ignoré de l'Asie; choisir pour sectateur le peuple le plus fourbe et le plus visionnaire; pour substitut, le plus vil artisan, le plus absurde et le plus fripon; embrouiller si bien la doctrine, qu'il est impossible de la comprendre; en absorber la connaissance chez un petit nombre d'individus; laisser les autres dans l'erreur, et les punir d'y être restés… Eh! non, Thérèse, non, non, toutes ces atrocités-là ne sont pas faites pour nous guider: j'aimerais mieux mourir mille fois que de les croire. Quand l'athéisme voudra des martyrs, qu'il les désigne, et mon sang est tout prêt. Détestons ces horreurs, Thérèse; que les outrages les mieux constatés cimentent le mépris qui leur est si bien dû… A peine avais-je les yeux ouverts, que je les détestais, ces rêveries grossières; je me fis dès lors une loi de les fouler aux pieds, un serment de n'y plus revenir; imite-moi, si tu veux être heureuse; déteste, abjure, profane ainsi que moi et l'objet odieux de ce culte effrayant, et ce culte lui-même, créé pour des chimères, fait, comme elles, pour être avili de tout ce qui prétend à la sagesse.

– Oh! monsieur, répondis-je en pleurant, vous priveriez une malheureuse de son plus doux espoir si vous flétrissiez dans son cœur cette religion qui la console. Fermement attachée à ce qu'elle enseigne; absolument convaincue que tous les coups qui lui sont portés ne sont que les effets du libertinage et des passions, irai-je sacrifier à des blasphèmes, à des sophismes qui me font horreur, la plus chère idée de mon esprit, le plus doux aliment de mon cœur?

J'ajoutais mille autres raisonnements à cela, dont le comte ne faisait que rire, et ses principes captieux nourris d'une éloquence plus mâle, soutenus de lectures que je n'avais heureusement jamais faites, attaquaient chaque jour tous les miens, mais sans les ébranler. Mme de Bressac, remplie de vertu et de piété, n'ignorait pas que son neveu soutenait ses écarts par tous les paradoxes du jour; elle en gémissait souvent avec moi; et, comme elle daignait me trouver un peu plus de bon sens qu'à ses autres femmes, elle aimait à me confier ses chagrins.

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[2] Le marquis de Bièvre en fit-il jamais un qui lui valut celui du Nazaréen à son disciple: «Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église»? Et qu'on vienne nous dire que les calembours sont de notre siècle!