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Ils demeurèrent immobiles, regardant Jafar se vider de son sang. Malko essayant de surmonter son dégoût. Finalement les deux Yéménites jetèrent le cadavre encore chaud dans le coffre. Et tous remontèrent dans la Buick. Le plastique des sièges sembla glacial à Malko. Jusqu’au freeway, le sheikh et lui n’échangèrent pas un mot. Puis le Koweiti demanda :

— Que voulez-vous faire maintenant ?

C’était vraiment une parfaite nuit de réveillon.

— Me coucher, dit Malko.

Le sheikh montra toutes ses incisives d’or.

— Vous devriez m’accompagner, dit-il. Je vais terminer la soirée chez un homme très riche et très puissant, qui m’avait invité il y a quelque temps. Jafar vient de me rappeler cette invitation en me donnant son nom. Celui qui a donné l’ordre de tuer le prince Saïd, votre ami…

Chapitre IV

Abdul Zaki étala avec tendresse le Koweit Time sur la table en marqueterie et désigna à Malko l’éditorial du quotidien. Malko le parcourut rapidement, retenant un sourire. C’était, à peu de chose près, la copie de l’éditorial du Volkische Beobachter[5] du 1er septembre 1939, expliquant que les Juifs avaient déclenché la Seconde Guerre mondiale, premier pas dans leur plan de dominer le monde…

Le Koweit Time, après avoir agité l’épouvantail du fameux « Protocole des Sages de Sion », concluait le plus sérieusement du monde que les Israéliens voulaient rejeter à la mer toutes les populations arabes pour mettre à la place des colons juifs !

Abdul Zaki se redressa, faisant face à Malko, une lueur de triomphe dans ses grands yeux noirs.

— Mais nous autres, Arabes, nous ne nous laisserons pas faire. Vous savez pourquoi les Israéliens ont accepté de se retirer du Canal ?

Malko avoua son ignorance. Abdul Zaki pointa vers lui un doigt prophétique.

— Parce que les commandos égyptiens et algériens se glissaient dans les lignes israéliennes et volaient les chars juifs ! En tuant les équipages la nuit… Ils en ont volé près de deux cents en une semaine. Les Israéliens eux-mêmes l’ont reconnu.

Malko opina poliment. À côté des exploits égyptiens, Aladin et sa lampe merveilleuse n’étaient que des besogneux ! Son hôte n’avait pourtant pas l’air d’un imbécile. Il était même beau, avec un visage énergique, des yeux intelligents, le visage barré d’une grosse moustache. Drapé dans une dichdacha brodée. Les Koweitis ne s’habillaient jamais à l’européenne, au Koweit du moins, afin de bien se différencier des étrangers.

Depuis leur arrivée, Abdul Zaki avait entrepris Malko qui avait été présenté par le sheikh Sharjah comme un businessman. Discrètement, le sheikh s’était installé à l’écart, sirotant du J & B tiré de son flask personnel…

Le « palais » de Zaki était une énorme horreur rectangulaire aux fenêtres en ogive, au coin du 3ème Ring et de l’avenue Istiqual. Ruisselant de marbre, de dorures, de marqueteries, tout le rez-de-chaussée occupé par l’enfilade des pièces de réceptions.

Voyant que l’attention de Malko faiblissait, son hôte le prit par le bras.

— Venez manger quelque chose.

Il le traîna jusqu’au gigantesque buffet, l’arrêta devant un chameau rôti. À l’intérieur, il contenait un mouton rôti lui-même farci de poulets qui, à leur tour, contenaient des pigeons farcis, eux, d’œufs durs…

Malko se contenta d’un œuf dur. Il ne restait plus qu’une dizaine d’invités mangeant avec leurs doigts les chameaux rôtis. Aucun Bédouin ne peut résister à l’attrait d’un banquet.

Depuis son arrivée, Malko observait son hôte. Celui qui, d’après Jafar, était responsable de l’assassinat du prince Saïd ; donc mêlé au complot pour tuer Kissinger. Au moins, il ne dissimulait pas ses opinions… Mais Malko ne voyait pas ce qu’il pouvait en tirer pratiquement. Il n’était qu’un étranger, à peine toléré dans un pays peu amical.

— Voici ma femme, dit soudain Abdul Zaki. Venez, elle sera contente de vous rencontrer.

Malko se retourna, s’attendant à une plantureuse Arabe et crut rêver.

La créature qui s’avançait vers lui n’aurait pas déparé une soirée à Beverly Hills. Très grande – dépassant son mari de 1 ou 2 pouces – de longs cheveux châtains tombant sur ses épaules, une poitrine somptueuse en grande partie découverte par une longue robe blanche sans bretelles, un visage harmonieux et dur, adouci par la sensualité de la bouche.

— Ma femme, Winnie, dit Abdul Zaki. Elle est Danoise.

Malko prit la main tendue et s’inclina. Son hôte devait faire beaucoup de jaloux… Elle l’examinait d’un regard froid et scrutateur, contrastant avec sa beauté épanouie. Malko lui sourit.

— Il y a beaucoup d’étrangères mariées à des Koweitis ?

Winnie Zaki eut un rire sec, pas féminin du tout.

— Cela vous étonne, n’est-ce pas ? Vous vous attendiez à trouver des harems… Nous sommes plusieurs centaines. Avec un club. Nous organisons des soirées au profit des Palestiniens.

Un bras passé sous celui de son mari, elle défiait Malko du regard. Comme si elle avait su qui il était.

— Vous apprenez aussi à fabriquer des cocktails molotovs ? demanda Malko mi-figue, mi-raisin.

La pulpeuse Winnie eut une moue méprisante.

— Vous croyez la propagande sioniste ! Les Palestiniens ne sont pas des assassins, mais des patriotes luttant pour retrouver leur terre natale.

On aurait cru entendre le colonel Kadhafi… Malko n’insista pas. Il ne retirerait rien d’un affrontement verbal.

— Je suis certain que vous vous battez pour une cause juste, dit-il avec diplomatie.

Les derniers invités s’en allaient. Dans leur coin les musiciens continuaient à jouer en sourdine les mélodies aigrelettes rythmées par les tambours.

D’innombrables serviteurs pieds nus circulaient sans arrêt, offrant aux invités du café à la cardamome dans des tasses minuscules, amer, brûlant et fort.

Il était près de 3 heures du matin. La soirée avait été longue… Il pensa à la jeune Anglaise qui commençait l’année à l’Amiri Hospital.

Lutter contre un Abdul Zaki n’allait pas être facile. Avant leur arrivée, le sheikh Sharjah lui avait expliqué que c’était un commerçant avisé et immensément riche, fanatiquement pro-palestinien. Mais, jamais, jusque-là, son nom n’avait été lié à des activités terroristes. Le Koweiti avait précisé à Malko :

— Soyez très prudent. Abdul Zaki est très puissant. Je ne peux même pas parler de la confession de Jafar à notre oncle l’émir. Il risquerait de ne pas me croire.

Encourageant.

Malko acheva son verre de Gini. Il n’y avait pas d’alcool chez Zaki.

— Je vais aller me coucher, dit-il.

Tandis que la pulpeuse Winnie s’éclipsait, son hôte le raccompagna, cueillant au passage le sheikh Sharjah. Dans le jardin, Malko remarqua une cage dorée, avec un gros oiseau.

— C’est mon faucon, expliqua Zaki. Je chasse encore beaucoup de cette façon.

Là, on faisait un bond de quelques centaines d’années en arrière. Lâché sur sa proie, le faucon lui crevait les yeux et on n’avait plus qu’à venir l’achever…

Abdul Zaki serra longuement la main de Malko.

— Happy New Year !

Malko sourit machinalement, pensant que pour Jafar le Palestinien, l’année avait été mauvaise et extrêmement courte.

En sortant, Sharjah lui glissa :

— On dit que Zaki, lorsqu’il est en colère, lâche son faucon sur ses serviteurs…

Charmant personnage, pensa Malko.

Il avait hâte de rencontrer Richard Green, le chef de station de la CIA au Koweit. Pour faire le point.

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5

Organe officiel du parti Nazi en Allemagne.