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Auparavant, je vais remiser ma chignole à encablure raisonnable des lieux. Une impasse propice l’accueille, une ombre complice l’enveloppe. Satisfait, je me repointe à pied d’œuvre, non sans m’être muni d’un outil à usages multiples que tu trouveras au B.H.V. à droite de l’escalier principal ; tu ne peux pas te gourer, la vendeuse a un bec-de-lièvre et vend aussi des becs-de-cane.

Mon choix se porte sur la porte principale, composée d’un large panneau basculant et qui permet à des véhicules de pénétrer dans les locaux. Elle est actionnable grâce à une cellule hygiéno scrafeuse, posée à quatre mètres de l’entrée. Elle cesse de fonctionner lorsqu’on coupe le contact. Pour le rétablir, il convient d’introduire une clé spéciale dans une serrure en forme d’interrupteur fixée au-dessus de la cellule, tu me suis ? Tu piges bien tout ? Ah, c’est technique, je sais bien. Je suis un maniaque de la documentation, moi, mon pauvre chéri. Tu sais, il vaut mieux être comme ça que d’avoir la vérole ou de lire les œuvres complètes de Mme Yaourth Noir.

Bibi, pas emprunté pour une fève, je glisse l’un des manches de ma pince sous la serrure, car ce manche est goupillé en arrache-clou, tandis que le second fait tournevis, et tout en exerçant mon métier de flic de choc, j’exerce simultanément une pesée de droite à gauche trois fois égale au poids du liquide déplacé. Le socle d’acier supportant l’interrupteur joue. Moi aussi, mais au con. Gling-gling ! L’autre manche peut se couler par l’interstice. A l’aide d’un caillou, voire même d’une pierre, je frappe la tête de l’outil. Psouc ! J’ai senti que je sectionnais des fils. Parfait. Ces déprédations me suffisent.

Ne me reste qu’à évacuer les lieux. Aucun signal sonore n’a retenti, ce qui n’est pas surprenant, compte tenu de l’isolement de l’usine ; si protection d’alarme il y a, celle-ci s’effectue à distance, soit dans un poste de police, soit chez des particuliers. Il faut attendre, se planquer et laisser lancequiner le mouflon.

Je trouve l’asile qui me convient, à savoir un pin parasol fourchu sur une éminence de terrain. Ses rudes écailles ne vont pas servir la gloire de mon costar, mais peu importe. J’ai donc du pin sur la planche, une fois lové dans cette fourche rugueuse, signe d’une victoire toujours garantie dans mes ouvrages, qu’un jour, merde, je te feinterai en terminant un book dans les noires calamitas, mystères non résolus, dégueulades en tout genre. Manière de vérifier si tu seras capable de m’aimer encore un peu après ce coup d’arnaque. Mais je doute. Je te devine peu pardonneur. Je t’en veux pas : on en est tous là.

Jouant les « Baron Perché », j’attends.

Et ce n’est point trop longuet. Peu after, une chignole policière se radine, deux flics en sortent, torches électriques en main, qui se mettent à vérifier le bidule.

Et puis une seconde auto, occupée par un seul mec en civil, vêtu d’un manteau léger et coiffé d’un feutre souple. Il se déplace en s’appuyant sur une canne.

Je le vois parlementer avec les perdreaux. Ces messieurs examinant les lieux, les communs, les lieux communs, tout bien, jusqu’à ce qu’ils découvrent l’origine de l’alerte. Il y a con s’il y a bulle. Les palabres se poursuivent encore. Puis l’homme boitillant ouvre la porte des bureaux et le trio va vérifier à l’intérieur si j’y suis. Mais l’Antonio demeure sagement dans son arbre comme le corbeau sur sa branche, bien décidé à ne pas larguer son frometon.

Un quart d’heure s’écoule. Les poulets vont examiner les alentours pour chiquer aux consciencieux vis-à-vis du gars. Vite fait, bien fait. Une locomotive haut le pied échapperait à leurs investigations si elle n’était pas peinte en orange fluorescent.

Ils se retirent, le bonhomme à la canne également. Je décide de compter jusqu’à seize mille huit cent trente sept avant d’agir.

Et j’agis.

Sans barguigner, cette fois-ci.

Le dispositif d’alarme ne sera réparé que demain. Sans doute, les poulets ont-ils cru à une tentative de cambriole avortée. La loi des probabilités excluant une deuxième violation au cours de la même nuit, ils sont retournés à la niche, certains d’avoir épouvanté les malfrats par leur prompte venue.

Ne me reste plus qu’à chanter le grand air de « Cède ou crève » à la porte des burlingues. C’est l’affaire de quatre minutes. Je pousse un cri d’allégresse muet, car un cri peut très bien demeurer mental. Ce serait de moi, on ne s’exprimerait plus que par cris, ou onomatopées, comme dans la préhistoire. Quand l’homme a organisé la parole, il s’est mis à déconner. C’était franchement pas la peine. Eurf eurf, gnougnouf et berg suffisaient à mon bonheur. Maintenant on se croit obligé, on affûte, on tartine, donc on dérape de la pensée « Madame, quand je vois ton regard posé sur moi, un trouble étrange m’envahit ». Merde ! son braque, c’est-il-t’y pas plus fort, plus direct et éloquent ? Des phrases, encore des phrases, au lit, chez l’épicier, aux enterrements, au Parlement. « Françaises, Français, dans l’intérêt général de la nation, et compte tenu des données fondamentales… » Merde encore ! Merde toujours ! L’économie. Le geste ! Le cri, quoi ! Tiens, j’ai connu un bordel de province chez Mamie Germaine, où la plainte, le cri, le mot étaient tarifés. Elle avait pigé, la gravosse. « Encore ! », « Oh ! voui ! », ça coûtait cinq francs pièce. Il y avait des « Donne tout » à dix balles. L’article le plus chérot étant « Maman ! ». Elle plaisantait pas avec les grands sentiments, Mme Germaine. Le gazier qui voulait qu’on lui bieurle « Maman » dans les manettes au moment électrique, fallait qu’il passe à la caisse. Vingt-cinq francs ! Toc ! C’est te dire, Mme Germaine, l’économie des mots comme elle la défendait pied à pied. Dans sa crèche (pleine de rois mages) fallait pas s’attendre aux grandes extases lyriques, style « Enfonce-moi ta grosse louloute, grand sauvage ! » ou encore « Arrête, tu me rends folle ! ». Tout dans la sobriété, chez Mme Germaine. Un système de phonie lui permettait de comptabiliser les clameurs. Et si, au moment de raquer, le clille grinchait, ce qui est fréquent chez les mecs venant de s’essorer les burnes, elle lui repassait la bande (si je puis dire). « Comptez vous-même, monsieur Charles ! » L’ergoteur vérifiait et devait admettre le bien-fondé.

Moi, ayant clamé dans mon subconscient, manière de ne déranger personne, tu sais quoi ? Je fais l’inventaire des lieux. En deux coups de crayon à pot je t’en dessine la distribution. L’entrée, avec deux grands burlingues vitrés à droite. Le hall de travail, puis l’aire d’embarquement, très modeste, dans le fond de l’usinette. La zone de mise en conserve comprend : le sas d’arrivage en containers frigorifiques, des tables de décorticage, des chaudrons de stérilisation, une chaîne de mise en bocaux et d’étiquetage, l’emballage, le stockage, très proche de la sortie.

Moi, tu me connais ? Sinon, va falloir tout reprendre depuis le début, remonter aux croisades où un de mes arrière-grands-pères combattit sous les ordres des Onze, et dévaler la pente jusqu’à ce jour d’hui, ou plutôt cette nuit d’hui qui n’en finit pas, mais tant pis, je la passe à Perte et Profit, mes hommes d’affaires habituels qui gèrent ma fortune avec une splendide compétence. Mais admettons que tu me connaisses bien. Au cours de cet éminent récit qui me vaudra un regain d’estime de mes pairs et un surcroît d’activité de ma paire, tu as déjà, à l’aide de ta minuscule cervelle de poche, opéré le raisonnement suivant : des moules arrivent de Hollande, alors qu’on en cultive d’excellentes en France, et notamment à Bouchot dans les Côtes-du-Nord. Ces moules arrivent par modestes quantités, ce qui justifie mal l’exploitation EMAFNIAL S.A. Il est surprenant que la conserverie soit située sur la Côte d’Azur, si loin de leur point de départ. Une équipe bizarre dirigée par un banquier libanais plus étrange encore s’occupe de leur diffusion. Automatiquement, tu penses quoi, técolle ? Comme moi, non ? Ben voyons ! Et toi aussi, petite madame jolie, t’arrives à la conclusion que ce « moulinage » couvre un trafic. On se sert des aimables mollusques aux valves oblongues et renflées pour faire passer des choses de Hollande en France, puis de France dans d’autres pays. Tope là, ma gosse, nous alunissons de conserve[5]. Il est en conséquence de quoi judicieux d’examiner les moules d’arrivée, et les moules de départ. Les premières sont dans leurs coquilles, les secondes dans leurs bocaux.

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5

Ceci est un mot d’esprit très représentatif de celui de San-Antonio.

Renan