Выбрать главу

San-Antonio

La matrone des sleepinges

A Alain Laville,

mon ami.

San-A.

Non ! Alain Peyrefitte n’aime pas les antilopes.

* * *

Les morts vieillissent mal.

* * *

Il est con et ne s’en cache pas.

San-Antonio
* * *

Quand un obèse pleure, on croit qu’il transpire.

Patrice Dard

JEUDI

Gare de l’Est, 21 h 24

Superbe !

De nos jours, avec un préservatif et une tête de nœud, t’arrives à reconstituer le buste de n’importe qui. Note que notre spécialiste a eu du boulot. Y en a fallu des essayages ! Mais le résultat est hallucinant.

Elle est assise dans un fauteuil du salon des V.I.P. de la gare, ses gros jambons croisés sous sa longue robe de soie mauve. Elle est coiffée d’une capeline violette, relevée par-devant ; de longs gants de même couleur, en peau souple comme celle dont le Créateur s’est servi pour envelopper mes couilles. Elle arbore un sautoir de perles à trois rangs, dont la plus petite te permettrait de jouer au billard, et elle est chaussée de bottillons à lacets, deux tons : crème et violet, qui indiquent la classe de cette personne.

— J’ai beau que j’la r’garde, j’arrive pas à croive qu’ c’est ma Berthe ! me chuchote Béru.

— Parce que ce n’est plus elle, mais la baronne Van Trickhül, soupiré-je.

— Bricolée d’la sorte, ell’ est moche comme un cul !

— J’ai rencontré des culs sublimes, Gros.

— C’pif qu’on est allé y sculpter ! Crochu, av’c une verrerue.

— Le nez de la baronne belge, amigo !

— Moive, j’s’rais d’une baronne, j’me ferais refaire le tarin. Ma Berthy, é m’fout la gerbe, comme ça. T’sais que j’s’rais t’incapab’ d’la tirer avec ce masque su’ la bouille ? Je croiverais baiser la fée Carabosse.

— La question ne se pose pas puisque, précisément, notre mission consiste à l’ignorer.

— Tu penses qu’é court un danger, ma Grosse ?

— Minime : nous allons la surveiller comme de l’huile dans une friteuse.

— Et où qu’elle est, la vraie véritab’ baronne ?

— Dans la maison de santé où Berthe est allée prendre sa place. La mère Van Trickhül est donc entrée dans cette clinique. Une nuit, Berthe, à qui l’on a fait sa tête, a occupé sa chambre tandis qu’on évacuait discrètement la baronne dans une autre : le tour était joué. Ceux qui sont attachés à la perte de la grosse Belge filent l’illustre Mme Bérurier depuis sa sortie de l’établissement de Knock-Hout-Mazoute. Que va-t-il se passer ? Mystère et angoisse ! Ouvrons pas seulement l’œil, Alexandre-Benoît, mais nos quatre z’yeux.

— Et comment sait-on-t-il que c’est pendant ce voiliage de l’Orient-Espress qu’on va essayer de faire un turbin à la baronne ?

— J’ai été contacté, il y a dix jours, par le chef de la Sûreté de Bruxelles, Nicolas Buton-Debraghette, avec qui j’entretiens, depuis des années, d’excellents rapports, au point que j’ai baisé sa fille à la suite d’un dîner chez lui. Il m’a dit que « certains indicateurs dignes de foi » l’avaient formellement prévenu qu’une action se préparait à l’encontre de Mme Van Trickhül et que celle-ci serait tentée au cours d’un voyage que la dame s’apprêtait à entreprendre à Budapest par l’Orient-Express. Il prenait cette info très au sérieux et me conjurait de l’aider.

« Comme il m’apportait le « dossier » de la baronne, j’ai été frappé par la ressemblance qu’elle présentait avec Berthe. »

— Merci pour elle ! ronchonne le Mastoche. J’savais pas qu’ ma légitime était aussi tartouze. Note : j’avais des doutes, mais pas à ce point !

— Je te parle de la corpulence. Pour le reste, évidemment qu’il n’y a rien de commun puisqu’on a dû lui faire un masque.

Mon pote remâche des rancœurs :

— Moui, y a rien d’nouveau sous l’soleil : c’est les pauvres qui s’fait buter à la place des riches ! Berthy monte en première ligne du temps qu’l’aut’ vachasse r’garde « Questions pour un Champion » à la téloche, dans sa clinique huppée. T’sais qu’elle est courageuse, ma rombière, d’avoir accepté d’jouer c’te comédie ?

— Héroïque, admets-je. Mais si elle a accepté, c’est parce qu’elle a confiance en nous, gars !

— De Montélimar, ricane l’Enflure.

A cette superbe période de notre dialogue, une hôtesse de la compagnie vient annoncer aux voyageurs que le fastueux train est prêt à les accueillir.

Tout le monde s’ébranle avec une lenteur de gens aisés, voire blasés, se rendant acquéreurs d’un plaisir tarifé.

Il y une sorte de comptoir volant, sur le quai, avec, derrière, des employés en grande tenue : uniforme bleu nuit, nœud pap’ ; grooms en spencer rouge. L’un de ces derniers te guide à ton wagon où le steward te prend en charge, superbe, bien qu’Anglais, dans son uniforme bleu gansé d’or. Il ne parle pas une broque de français, ce qui contraint Sa Majesté à lui déballer illico ce langage hybride dont il use avec les sujets de la mère Zabeth :

— It-is-t-il possible de to drinque ouane bire, my pote ? Le plus couiquely sera le betteur, biscotte les escarguinches de mon goûter trouvent pas la sortie of my estom’. J’croive qu’j’ai eu tort d’en claper quat’ douzaines, surtout après une choucroute…

Je ne puis m’empêcher d’être fasciné par ce train de légende, bleu, à toit blanc, au-dessus des fenêtres duquel courent ces mots magiques : « Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens. » Qui n’a pas rêvé de prendre place à bord de ce palace à roulettes, escorté d’une frangine qu’il calcera langoureusement, bercé par le mouvement complice du convoi ?

Nous occupons la voiture B. Béru a le compartiment 1, la « baronne » le 2, moi le 3 ; ce qui fait que nous encadrons la fausse Mme Van Trickhül. La moindre des choses. Je n’ai pu obtenir l’acceptation de Berthe pour jouer « la chèvre[1] » dans cette affaire qu’à la condition que nous ne la quitterions pas de la prunelle. Moyennant cette certitude, l’admirable femme joue parfaitement son rôle, portant avec grâce toilette haute couture, bijoux de grand joaillier et sac Hermès.

Les bagages sont déjà dans nos « cabines ». J’extrais mon smokinge de ma Vuitton. M’man me l’a si bien rangé, fourrant du papier de soie dans les manches et les pliures, qu’il peut être porté sans le moindre repassage. Chère Félicie ! Ne manque pas un bouton de manchette ou de plastron. Elle m’a laissé le choix entre deux nœuds papillon : un noir et un violet, et deux pochettes correspondant aux nœuds. Mes escarpins vernis étincellent et chacun d’eux héberge une chaussette de soie. J’étale le tout sur le canapé pas encore transformé en couchette.

L’endroit est exigu, bien sûr, mais luxueux. Cloisons recouvertes de marqueterie couleur miel, coussins de velours frappé, lampes délicates en forme de corolles. Le train s’ébranle sans secousse, tambour, ni trompette, d’une allure moelleuse, « comme en un rêve ». Le cabinet de toilette d’angle illumine l’étroit local. Une rose rouge est piquée dans un porte-fleur, la glace en fait deux !

Inspection de la porte de communication qui me sépare du compartiment de la Baleine. Elle est dûment verrouillée et ce n’est pas mon sésame qui peut en avoir raison, because la simplicité du système. Je tente de couler un bout d’œil chez la Gravosse. J’équipe ma petite percerette de poche en forme de stylo et pratique un trou de trois millimètres de diamètre dans un motif de la marqueterie représentant une pivoine. Pile au cœur de la fleur ; facile à obstruer ensuite avec un peu de ce chewing-gum qui a transformé les Américains en ruminants verticaux.

вернуться

1

Elle est davantage douée pour les rôles de vache.