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Le dentiste eut une ruade qui le débarrassa de sa compagne. La prostituée roula sur le plancher, tenta de se relever, mais à l’instant d’y parvenir, un vertige la saisit et elle retomba, face à terre.

— Qui êtes-vous ? demanda le paveur de mâchoires.

Sir David lui adressa une mimique vague, signifiant « quelle importance ». Et lâcha un dernier jet soporifique dans la figure de sa victime. Il eut le plaisir de voir le regard affolé de l’homme se révulser. Alors il remit le spray dans sa poche.

La lumière intense le gênant, il éteignit et attendit de se réhabituer au clair-obscur avant d’agir. Il songeait que la fatalité l’obligeait à tuer. Plus incongru que jamais dans ce cabinet dentaire, sanglé dans son pardessus d’enfant, il se demandait comment il devait s’y prendre pour ôter la vie à ce couple. Depuis qu’il connaissait les fantasmes de ce porc, il lui vouait une haine plus intense que celle le poussant à mettre à mal les autres amants de Victoria. Celui-là, il l’avait vu à l’œuvre.

Soucieux de ne pas réitérer le gâchis de Tenerife, il emprunta une blouse blanche suspendue à un portemanteau et mit un masque de gaze. Le lieu l’inspirait : c’était l’endroit idéal pour infliger des sévices.

Quand il se jugea suffisamment protégé, il décrocha de son support la fraise redoutable qui l’avait épouvanté dans son jeune âge. Il savait la faire fonctionner.

L’odieux vrombissement se produisit, sifflant, acide. L’instrument miaulait, emplissant sa main d’un léger frisson. Lentement, il l’approcha de l’œil droit de sa victime, il s’y enfonça comme dans une pâte molle.

Le dentiste n’eut pas un frémissement. L’outil creva la paupière baissée, le globe oculaire, plongeant à l’intérieur de la tête où il commettait d’irréparables dégâts.

Les dents serrées, David poussait toujours. Parfois, une résistance s’opérait qu’il neutralisait d’une pression plus forte. Il ne s’interrompit que lorsque le manche de la fraise fut engagé aux deux tiers dans la tête de celui qui l’avait tant maniée. Il la lâcha et le moteur se tut.

Le nain examina la blouse dont le bas traînait au sol, n’y vit aucune tache de sang. Alors, il se consacra librement à l’affreux spectacle. Loin de s’en effrayer, il l’admira. Cet homme vieillissant, allongé sur la moleskine beige du fauteuil transformé en couche, avec son sexe sorti de ses brailles et l’outil d’acier planté dans la tête évoquait la couverture d’une publication vouée à l’horreur. Demain, la presse ferait un sort à l’affaire.

Sir David s’arracha à sa louche contemplation pour « s’occuper » de la femme. A cause de la fellation commencée, ses lèvres étaient barbouillées de rouge, ce qui la rendait ridicule. Il s’agissait d’une fille ayant franchi la quarantaine, aux joues molles et soufflées. Elle émettait des râles stupides dans son sommeil.

Le cadet des Bentham avisa une pile de bavettes en papier, soigneusement pliées dans un placard vitré. Il alla les prendre, ouvrit la bouche de la prostituée à l’aide d’un instrument chromé dont il ne décelait guère l’usage et se mit à enfourner les serviettes froissées au fond de sa gorge, une à une. Il eut la surprise d’en faire tenir huit. Il s’empara ensuite d’un rouleau de toile adhésive dont il se servit pour obstruer les narines.

La catin trépassa rapidement, la poitrine agitée de soubresauts sporadiques.

Content de lui, David revint au dentiste, lequel avait également cessé de vivre.

Rassuré, il se débarrassa de la blouse, la jeta sur la figure du défunt et quitta le cabinet dentaire après avoir procédé à une minutieuse inspection des lieux pour vérifier qu’il n’y laissait aucun indice. Il se retira, le cœur content.

62

Victoria l’attendait au volant de la Hilmann, dans une voie adjacente. Depuis deux jours, elle conduisait de nouveau en bandant très fort sa cheville. Elle commençait à s’inquiéter, trouvant qu’il mettait beaucoup de temps à exécuter son projet. La nurse pensait que s’il lui arrivait de se faire prendre, elle ne saurait plus vivre sans lui. Le petit homme occupait tous ses jours, toutes ses pensées. Qu’avait donc cet être minuscule pour exercer pareille attirance sur certaines femmes ?

A mesure que le temps passait, son angoisse croissait. Elle allait partir en reconnaissance quand la portière s’ouvrit sans qu’elle l’ait vu approcher. Il se glissa dans le véhicule furtivement, elle démarra sans un mot. Ce ne fut qu’au bout d’un moment qu’elle se risqua :

— Je commençais à m’alarmer.

— Vous n’aviez pas tort, répondit-il. Ce triste sire est arrivé à son cabinet, flanqué d’une prostituée avec laquelle il a forniqué.

Il ajouta d’un ton acerbe :

— Vous devez connaître son attrait pour son fauteuil de dentiste ?

Il se tourna vers elle, vit qu’elle était soudain pâle et crispée.

— Naturellement, vous eûtes droit à ces voluptés professionnelles lorsque vous étiez sa maîtresse ?

Comme elle se taisait, il glapit :

— Mais répondez-moi, putain !

Victoria se mit à pleurer si fort qu’elle dut stopper, aveuglée par les larmes. Alors il la frappa de ses petits poings durs. Il lui lançait des coups dans le visage, sur les oreilles, aux épaules, aux seins, emporté par une noire colère.

— Vous vous êtes comportée en traînée ! Il vous a assujettie à ses caprices ! C’était un profanateur dont le plaisir consistait à avilir.

Parce qu’il usait du temps passé, elle comprit que le dentiste n’existait plus, alors, malgré la fureur de David, malgré ses violences, elle ressentit un soulagement grisant.

— Vous l’avez tué, sir, n’est-ce pas ? Dites-moi que ce pervers n’est plus !

Le nain cessa de la battre, soudain honteux.

— Exact, fit-il : je lui ai enfoncé sa roulette dans l’œil jusqu’au cerveau.

— Oh ! merci, s’exclama-t-elle en baisant son poing. C’est le plus beau présent que vous pouviez me faire !

Ce fut une étrange nuit qu’ils passèrent à s’aimer et à pleurer. Ils firent l’amour, pris du besoin de s’engloutir. Le jour filtrait des rideaux tirés quand ils parvinrent enfin à s’assoupir, soûlés de chagrin, repus de plaisir. Ils gisaient au travers du lit, enlacés, meurtris, et y restèrent jusqu’à l’après-midi du jour suivant, selon une habitude maintenant bien établie.

Sans doute auraient-ils dormi davantage si la duchesse ne les avait arrachés à leur hibernation par un coup de téléphone péremptoire. Comme chaque fois, elle demandait à son fils de se hâter, sa vivacité naturelle se refusant à toute attente.

Par crainte de la voir débarquer et de s’entendre accabler de sarcasmes, le nain bondit dans ses vêtements et, inrasé, courut la rejoindre. Elle travaillait dans son atelier sur une toile dont il était encore impossible de définir ce qu’elle représenterait.

Elle paraissait mi-figue, mi-raisin (mais davantage raisin que figue). Un enthousiasme intérieur rendait son regard plus brillant que d’ordinaire.

— Que puis-je pour vous, mère ?

Elle déclara sourdement :

— Je suis heureuse, David, excessivement heureuse.

— Vous m’en voyez réjoui. Qu’est-ce qui provoque ce grand bonheur ?

— On vient de m’informer que je suis décorée du M.B.E.[8]

David eut une mimique sincèrement admirative.

— C’est un très grand honneur, mère ; peu de femmes peuvent se prévaloir d’une telle distinction.

— Attendez, ce n’est pas tout. Cette décoration me sera remise par Sa Majesté elle-même au cours d’un dîner à Buckingham Palace auquel sont également conviés le lord et mes deux enfants.

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8

Ordre britannique réservé généralement aux artistes. M.B.E. signifiant « Membre de l’Empire Britannique ».