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Jack Thomas le regarda ironiquement.

— Vous êtes volontaire ? Il n’y a pas plus imperméable que ces millionnaires de Beverly Hills. Ils vous verront venir à un kilomètre. Ce ne sont pas des truands, même si ce sont des requins. Cela prendra des années. Et des millions.

Frank Madden regardait l’extrémité de sa cigarette, pensif :

— Et pourtant, je suis sûr que la clef de la mort de ce Navajo est ici, à Los Angeles.

Jack Thomas soupira :

— Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre l’inspiration. La NSA soutient que c’est une affaire de première importance, si secrète qu’elle ne veut pas nous dire en quoi les Cubains peuvent s’intéresser à un Navajo.

Nos amis de la Division des Plans vont s’en donner à cœur joie. Il n’y a plus qu’à espérer que Remparts[6] n’apprenne pas que ces messieurs de la CIA opèrent sur le territoire de notre bien-aimée Californie… Ils crieraient encore à la Gestapo, et tout ce qui s’ensuit…

Frank Madden poursuivait ses réflexions.

— Et si c’était tout simplement un accident ? suggéra-t-il. Il y a tellement de dingues dans ce pays qui ont des animaux sauvages. Il a pu se faire bouffer, l’Indien…

Son supérieur hiérarchique secoua la tête :

— Vous ne connaissez pas ces gens-là. Gene Shirak, avec le fric qu’il a, pourrait étouffer bien pire que cela. Si c’était vraiment un accident, l’affaire ne serait jamais venue jusqu’à nous. Le shérif de Beverly Hills aurait reçu un gros chèque pour ses œuvres et un juge ami aurait délivré un non-lieu dans les cinq minutes.

— C’est dégoûtant, fit Frank Madden. Jack Thomas haussa les épaules.

— On ne peut pas refaire le monde. Croyez-moi, si Gene Shirak a peur, c’est qu’il a de bonnes raisons d’avoir peur…

Le téléphone sonna, Jack Thomas décrocha. Frank Madden n’entendait pas la conversation, mais vit le visage de son supérieur se rembrunir. Il répondait par monosyllabes à son interlocuteur et finit par raccrocher.

— Mon cher, dit-il ironiquement, la CIA pense que vous avez besoin de repos. C’était notre ami Albert Mann de la « Domestic Opérations Division ». Vous savez bien, la branche qui n’existe pas… Il se lance sur la piste. Il paraît que dans le Piper Comanche détruit, on a retrouvé un plan de vol pour Cuba. Alors ils sont comme des fous…

Frank Madden haussa les épaules :

— On va voir s’ils sont si forts…

— Allons, allons, conclut Jack Thomas, vous ferez vos débuts dans la vie mondaine une autre fois… Ne soyez pas amer.

Chapitre V

— Attachez vos ceintures.

Le voyant lumineux s’alluma au-dessus de la tête de Malko. Helga, la svelte hôtesse, vint délicatement enlever sa coupe de Champagne et l’avertit.

— Nous traversons une zone de turbulences. Un orage magnétique. Nous risquons d’être secoués…

Malko suivit la silhouette de Helga qui disparut dans le cockpit. Longues jambes, poitrine haute, un visage fin et de grands yeux gris. Tout ce qu’il aimait. Une des raisons pour lesquelles il voyageait souvent sur les Scandinavian Airlines. Toutes les compagnies ont les mêmes avions et les mêmes prix. Certaines ont un petit quelque chose en plus. Comme les yeux gris de Helga ou le Champagne glacé Krug qu’il buvait pratiquement sans interruption depuis Copenhague. L’hospitalité Scandinave ne se démentait jamais sur les jets des Scandinavian Airlines. Un peu vieux jeu, Malko était sensible à cette ambiance de confort « personnalisé » dans un monde où tout est de plus en plus stéréotypé.

Sous le Super-DC-8 des Scandinavian, le Pacifique était gris et houleux. Temps rare pour la Californie. Ils étaient partis de Copenhague avec un soleil radieux. Les ailes de l’avion frémissaient sous les rafales, mais Malko se sentait parfaitement tranquille.

Trois des voisins de Malko étaient Japonais. À Copenhague, ils étaient passés directement du « Transasian Express » – le vol direct Bangkok-Copenhague des Scandinavian Airlines – au Super-DC-8 en route pour Seattle et Los Angeles. C’était plus court et plus rapide que de traverser tout le Pacifique.

— Nous nous excusons, grésilla la radio de bord, mais, en raison d’un orage magnétique, nous sommes obligés de retarder notre arrivée à Los Angeles de trente minutes environ.

Helga réapparut, une coupe de Champagne à la main. Les yeux dorés de Malko se firent plus tendres, mais elle ignora l’invite. Déçu, il se plongea dans le New York Herald Tribune. On annonçait déjà le prochain vol d’Apollo 11 vers la lune.

Malko resta songeur. Il savait que ces merveilles qui se déroulaient en apparence si bien demandaient le dévouement de milliers d’obscurs collaborateurs. Comme lui, par exemple.

Qui pouvait soupçonner Son Altesse Sérénissime le prince Malko Linge, chevalier de l’Ordre des Séraphins, margrave de Basse-Lusace, maître de l’Ordre de la Toison d’or, Chevalier de droit de l’Aigle noir, comte du Saint-Empire romain, landgrave de Kletgaus, chevalier d’honneur et de dévotion de l’Ordre souverain de Malte, propriétaire d’un château historique aux confins de l’Autriche-Hongrie, d’être une barbouze de luxe mais terriblement efficace pour la Central Intelligence Agency, ou CIA ?

Un espion.

Mais c’est un mot que les gens du « Renseignement » abhorraient. Particulièrement les patrons de la CIA, presque tous anciens de l’OSS[7] que les mauvaises langues de Washington appelaient « Oh So Social ». Les titres de Malko les impressionnaient beaucoup. Étrange métier.

Une fois de plus, Malko se retrouvait dans un avion, volant pour la CIA.

Le voyant lumineux s’éteignit. Maintenant, le DC-8 glissait sans secousse à neuf cent soixante à l’heure. Confortablement installé dans son moelleux fauteuil, Malko se demandait pourquoi la CIA l’avait une fois de plus arraché à la réfection de son château. Onze heures de vol depuis Copenhague. Il passait toujours par le Danemark, à cause de l’argenterie, des merveilleuses porcelaines et du confort de la Scandinavian.

Et puis, en voyageant sur la SAS, il avait l’impression d’être un peu sur ses terres… Ses amis américains avaient contracté son titre en ces trois initiales, ce qui avait dû faire se retourner ses ancêtres dans leur tombe…

Helga lui apporta le menu. Son dernier repas « européen » avant l’absence de cuisine américaine. Heureusement que la Scandinavian était affiliée à la Chaîne des Rôtisseurs, la plus vieille société gastronomique du monde.

Dix minutes plus tard, Malko étalait à la petite cuillère du caviar sur un toast. Il fit ensuite descendre la langouste avec une demi-bouteille de Laffite-Rothschild et revint au Champagne pour le dessert. Une euphorie béate l’envahissait. Il aimait le luxe et le confort des grands jets et l’hospitalité Scandinave.

Un peu plus tard, Helga lui apporta pour se rafraîchir le visage une petite serviette imbibée d’eau de Cologne. Le DC-8 des Scandinavian descendait lentement vers Los Angeles. Malko était intrigué. D’habitude, c’est le FBI qui traitait les questions de sécurité à l’intérieur des USA.

Bien sûr, la CIA s’était implantée « clandestinement » dans la plupart des grandes villes et possédait un département spécialement chargé des activités américaines : la « Domestic Opérations Division ». Le centre nerveux était tout près de la Maison-Blanche, à Washington, 1 750 Pennsylvania Avenue. Cet organisme qui n’avait pas d’existence légale se dissimulait sous le titre bizarre de « US Army, Joint Opération Group ».

Évidemment, aucune unité de ce nom n’existait dans l’armée des USA. C’est pourtant sur son ordre que Malko allait à Los Angeles.

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6

Magazine publié à San Francisco, farouchement antigouvernemental.

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7

Office of Spécial Service.